Vendredi 22 novembre 2024

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OPINION* – Le chemin vers les valeurs humaines universelles est encore long

20/06/2020 Commentaires fermés sur OPINION* – Le chemin vers les valeurs humaines universelles est encore long
OPINION* – Le chemin vers les valeurs humaines universelles est encore long

Par Aimé-Pascal Niyongabo

Nous avons tous été surpris par la mort du Président Pierre Nkurunziza survenu le 8 Juin 2020 dans un hôpital à Karusi. Même si pour certains, Pierre Nkurunziza incarne le régime coupable de nombreuses violations des droits de l’homme depuis 15 ans, la tradition Burundaise exige de dépasser les rancoeurs et de ne pas célébrer la mort d’un humain. Peu importe les relations qu’on entretient avec lui.

C’est ainsi que je me suis fait violence pour ne pas fêter la mort d’un homme qui a fait tellement de mal à mon pays. Il fallait aussi respecter le deuil de ses proches. Surtout celui de sa famille parce qu’il est sacré. Je me suis donc contenté de suivre les réactions des uns et des autres via les médias et les réseaux sociaux.

Dune part, certaines des victimes directes de son régime ont laissé exploser leur joie à la disparition d’un personnage qui incarnait un régime politique déterminé à faire taire toute voix discordante.  D’autre part, certains Burundais pleuraient la disparition d’un héros. En fait, chacun a réagi à la mort de Pierre Nkurunziza par rapport à limage qu’il avait du personnage.

Ceci est malheureusement fréquent en Afrique. Le bourreau honni des uns est le héros vénéré des autres. Ce qui montre que nous avons, au Burundi en tout cas, encore beaucoup de chemin à faire avant de converger ensemble vers les mêmes valeurs d’humanisme.

Cependant, la réaction qui ma semblé extrêmement violente et injuste envers les victimes des atrocités commises par le régime de Pierre Nkurunziza est celle du Professeur Fabien Cishahayo dans sa tribune publiée par Iwacu intitulée : « Il était une fois Pierre Nkurunziza. Un Burundais ordinaire, ni un saint, ni un salaud » publiée dans Iwacu le 14.06.2020.

Avec la mort de Pierre Nkurunziza, je savais qu’il y devrait y avoir des Burundais qui allaient rivaliser pour « saluer la mémoire d’un grand homme ». Cependant, j’étais loin de me douter que les premières louanges viendraient d’un intellectuel burundais, M. Fabien Cishahayo, qui vit et travaille dans un pays qui respecte les droits de l’homme, le Canada.

Pour moi, il est peut-être compréhensible que les personnes les plus zélées et se trouvant dans l’entourage du pouvoir de Gitega louent leur chef et se moquent éperdument des pleurs des nombreuses victimes du régime de Pierre Nkurunziza. Cependant, quand un intellectuel, comme M. Fabien Cishahayo, fait un lourd réquisitoire contre ces victimes et contre tous ceux qui s’opposaient à Pierre Nkurunziza, cela donne du dégoût. Excusez-moi de l’expression.

Cela fait longtemps que les fanatiques du pouvoir de Pierre Nkurunziza veulent justifier la monstruosité de son régime par son passé personnel douloureux. Cependant, ce mensonge passe mal dans les oreilles des Burundais qui savent très bien que personne ou aucun groupe ethnique ou idéologique au Burundi na le monopole de la douleur ou de la lutte pour la liberté.

Il me semble que M. Fabien Cishahayo essaie de nous peindre le personnage de Pierre Nkurunziza comme un ange envoyé par Dieu au Burundi pour y ériger un paradis terrestre. Il faut dire que, bien qu’intellectuel, il n’apporte aucune preuve nouvelle par rapport à la communication officielle du régime qui se comporte, à la fois, comme victime, héros et détenteur de toute vérité.

Ainsi donc, toute critique contraire à ce que pense le régime du CNDD-FDD est forcément émise par les ennemis ou émane du complot international. Il faut la faire taire par tous les moyens possibles.

Pour contrer l’intervention du Professeur Fabien Cishahayo, je ne peux pas faire mieux que Lionel Manzi dans sa définition «dune société polarisée vers une société en accord avec les valeurs quelle prétend véhiculer », mais je voudrais quand même le contrarier en abordant l’aspect spirituel que Nkurunziza a toujours utilisé pour obnubiler le peuple Burundais, pour pouvoir l’asservir sans heurts.

Pour moi, en plus des atrocités que subissent les opposants au régime CNDD-FDD, Pierre Nkurunziza a créé un autre univers politico-social différent de la logique universelle. Nous avons assisté, impuissants, à la descente du Burundi aux enfers. Depuis plusieurs années, certaines valeurs deviennent des anti valeurs ou vice-versa.

Depuis son accession au pouvoir, le Président disait qu’il était envoyé de Dieu pour guider les destinées du Burundi. La dérive est venue de là. De cette façon de clore tout débat contradictoire avant de l’ouvrir. Malheur à tous ceux qui osaient le contrarier. Le président n’arrêtait pas de laisser entendre à tous ceux qui osaient critiquer son régime et son parti, à tous ceux qui contrariaient sa volonté, qu’ils s’attaquaient directement à la volonté de Dieu et devraient faire face au châtiment impitoyable de Dieu.

Voilà comment il a divinisé le dur régime devenu une démocratie de façade alors qu’il était parvenu au pouvoir après un compromis politique et après une immunité partielle dont il avait bénéficié même sil avait été condamné à mort. En vérité, nous savons tous que Dieu est toujours juste et droit. Comment peut-on oser contrarier un pouvoir émanant de Dieu ? Selon ses partisans, si on le fait, on est condamnable à priori. Il n y avait donc pas de présomption d’innocence.

Et comme la parole du président est très importante pour l’opinion, certains soutiens du président pouvaient agir impunément en son nom. Des bavures sur des populations innocentes pouvaient être interprétées comme des actes de bravoure qui auraient dû être salués par tous.

Il n’y avait presque plus de libre arbitre pour savoir ce qu’il est bon de faire. Seule la volonté du chef inspirée par Dieu comptait. Avec l’absence du libre arbitre, il y avait toujours le risque d’inversion des valeurs. Le bien étant pris pour le mal et le mal pris pour le bien.

Le peuple a été embarqué sur un terrain où la loi ne peut être interprétée que selon la volonté du « Chef choisi par Dieu » et où le droit n’était plus dit par rapport à la qualification du délit, mais par rapport aux intérêts du régime. L’oppresseur désignant toujours le coupable et la justice ne faisant que suivre la volonté de l’oppresseur.

De cette façon, bien qu’il n’y ait plus de peine de mort dans le code pénal burundais, les opposants subissaient « ce châtiment divin ». Une façon de se dédouaner pour toute bavure commise par le magistrat suprême au Burundi et de blanchir tous les présumés coupables de ces bavures.

Pour de nombreuses victimes et beaucoup d’opposants, ce président a transformé le Burundi en un État de non-droit et en une prison à ciel ouvert où seule la parole du régime constitue la vérité. Un pays où des gens peuvent tuer, créer des veuves, veufs et des orphelins au nom de la volonté de Dieu et pour protéger le régime choisi par Dieu. Actuellement, tout le monde se demande si ce pays, que les autorités ne cessent de proclamer protégé par Dieu, peut continuer à vivre en dehors de toute logique universelle.

Pour moi, M. Fabien Cishahayo a le droit de glorifier son président et de partager son empathie pour son idole comme le font tous les fanatiques qui perdent les leurs. En revanche, ce que je ne trouve pas honnête, c’est d’utiliser son statut d’intellectuel pour faire taire tous ceux qui ne portent pas dans leurs coeurs « le prétendu héroïsme » de Pierre Nkurunziza.

Cet intellectuel nous plonge dans le passé douloureux au cours de l’enfance du président défunt, afin d’expliquer et de relativiser les crimes actuels. Comme le fait exactement le régime du CNDD-FDD, surtout depuis 2015.

Je rappelle que moi aussi je suis pour le respect des morts. Je pense que même les victimes ne devraient pas se réjouir de la disparition du chef d’un régime cruel. D’autant plus que ce dernier part sans avoir affronté la justice pour les crimes présumés. Cependant, je comprends parfaitement les gens qui ne peuvent pas pleurer cette mort et qui regrettent que ce président ait passé 15 ans au pouvoir pour le transformer son régime en dictature sanguinaire.

Même si les avis peuvent diverger, on doit être honnête et reconnaitre qu’il part avec un bilan catastrophique. Les faits sont têtus. Le Burundi est classé « pays le plus pauvre » par le dernier classement de la Banque Mondiale. Transparency international classe le Burundi en 2ème position parmi les pays le plus corrompus dAfrique.

Pierre Nkurunziza nous laisse des mémoires tellement blessées et un peuple tellement fatigué de sa dictature. A titre d’exemple, comment peut-on être fier d’un président qui a déchiré lAccord historique de Paix et de Réconciliation d’Arusha conclu entre les Burundais en l’an 2000 et dont le régime, sous enquête de la Cour Pénale Internationale pour crimes contre humanité, a également poussé des centaines de milliers de réfugiés à l’exil ?

Je suis d’accord avec les gens qui estiment qu’il est impossible de transformer en Mandela quelqu’un qui a dirigé un régime coupable d’avoir créé des milliers d’orphelins, qui a injustement emprisonné des milliers d’opposants pour leurs opinions et qui a été caractérisé par des scandales économiques jamais connus dans l’histoire du Burundi. Et dont le manque de compassion en tant que père de la nation pour les victimes a abouti à une déshumanisation dune partie des Burundais.

Alors M. Fabien Cishahayo, pleurer votre héros est votre droit absolu. Cependant, reconnaissez, au moins, que l’héroïsme ne s’affirme pas grâce à l’émotion suscitée par le fanatisme. Même si ce fanatisme est exprimé par la plume d’un intellectuel. L’héroïsme est attesté par des faits avérés honorant un peuple dans sa totalité.

*Aimé-Pascal Niyongabo , ancien journaliste, cameraman et intellectuel Burundais M. Niyongabo vit en exil depuis 2015. Il est détenteur d’un diplôme de Licence en Sciences de la communication au Burundi et a effectué plusieurs stages et formations en plaidoyer, résolution pacifique des conflits, droits de l’homme et développement durable. Il publie parfois des articles sur des médias en ligne.

*Les articles de la rubrique opinion n’engagent pas la rédaction

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