Beaucoup d’informations circulent sur l’identité du candidat du CNDD-FDD à l’élection présidentielle. A 48 heures du congrès, deux journalistes, Antoine Kaburahe* et Egide Nikiza*, ont passé en revue les noms qui reviennent le plus souvent , avec les atouts et les faiblesses de chacun.
Pierre Nkurunziza
Alors que le président a dit partout et dans toutes les langues qu’il ne se (re)présentera pas, son nom revient dans toutes les conversations. « Il ne peut pas partir, ce n’est pas possible », affirment des personnes interrogées. « Ailleurs en Afrique d’autres le font, pourquoi pas lui », disent plusieurs voix. D’autres pensent qu’il garde « un tour dans son sac », en kirundi, «umukenyuro». Quoi qu’il en soit, toutes les sources au CNDD-FDD se rejoignent sur un point : il reste malgré tout le maître d’œuvre et aucun candidat ne passera sans être « adoubé » par M. Nkurunziza, « visionnaire permanent » et président du Conseil des sages du CNDD-FDD, même si celui-ci devra tenir compte de plusieurs paramètres dans le choix du dauphin. Ce mardi 21 janvier, le parlement a voté un « parachute » de 1 milliard de FBU comme indemnité de départ pour le président élu sortant, la construction d’un palais « haut-standing » dans une localité de son choix…Et last but not least, Nkurunziza qui a déjà été élevé au rang de Visionnaire permanent de son parti, le Conseil des ministres vient d’adopter ce mercredi, un projet de loi qui l’élève au rang du « Guide du patriotisme », un titre qui n’existait pas jusqu’ici au Burundi.
Atouts
Les atouts de Pierre Nkurunziza sont simples et évidents. Il faut lui reconnaître une certaine popularité surtout dans le monde rural et s’il devait forcer une quatrième candidature, il aurait tous les moyens pour faire campagne.
Faiblesses
Non seulement ce serait se dédire publiquement, mais selon plusieurs analystes, sa candidature pourrait entraîner une énième scission dans son parti. « Une fronde éclaterait », confie sous couvert d’anonymat un membre influent du parti présidentiel. Plus grave, une désapprobation internationale frapperait sa candidature. Sur le plan sous-régional, le CNDD-FDD perdrait notamment l’appui de la Tanzanie. Le Chama Cha Mapinduzi (CCM) soutient le parti au pouvoir au Burundi, mais a déjà exprimé son attachement à l’alternance, nous dit une source bien informée au CNDD-FDD. Ses opposants contestent cette « popularité » qui ne serait pas « spontanée ».
Evariste Ndayishimiye
52 ans, né à Giheta (Gitega), actuel secrétaire général du parti. Evariste Ndayishimiye, alias « Neva », a fait des études de droit avant de les interrompre suite à la crise survenue à l’Université du Burundi en 1995. Il rejoint alors le maquis. Après la signature du cessez-le-feu en 2003, il deviendra ministre de l’Intérieur et de la Sécurité publique, chef de cabinet militaire et civil à la présidence de la république, puis Administrateur Directeur Général de la SOBUGEA. Evariste Ndayishimiye est secrétaire général du CNDD-FDD depuis août 2016.
Atouts
En théorie, d’après plusieurs sources, ce serait le candidat « naturel » que propulserait le parti. Son parcours semble plaider pour lui : ce n’est pas un « civil », il est passé par la lutte armée, il connaît l’administration avec un passage au ministère de l’Intérieur et c’est un habitué du fonctionnement de la Présidence de la République, dont il a été chef de cabinet militaire et du cabinet civil. Autre atout de taille, Evariste Ndayishimiye n’est pas un inconnu dans la région pour avoir représenté le gouvernement dans le Mécanisme conjoint de vérification et de suivi (MCVS) de l’Accord de cessez-le-feu entre Bujumbura et le Palipehutu-FNL. Selon plusieurs sources, l’homme a ses entrées à Dar Es Salaam, un allié important pour le CNDD-FDD dans la région. Aussi, autre avantage selon beaucoup de personnes interrogées, l’ex général-Major de la FDN ne traînerait aucun dossier de détournement ou de crimes. D’autres enfin soulignent un côté très « humain ». Evariste Ndayishimiye est réputé aimable et très abordable. Par ailleurs, originaire de Gitega, c’est le candidat idéal de ceux qui souhaitent le glissement de « l’axe du pouvoir vers le centre».
Faiblesses
Comme le disent de bons connaisseurs des méandres du parti, il n’a pas notamment les soutiens de tous les « généraux de l’Ouest » et certains détracteurs de « Neva » soulignent qu’il peut être « nerveux et facilement colérique. »
Pascal Nyabenda
Le nom de l’actuel président du l’Assemblée nationale est également cité. 54 ans, Pascal Nyabenda est né à Mpanda (Bubanza). Il est diplômé d’anglais à l’Université Espoir d’Afrique. Ancien gouverneur de Bubanza, il est élu en 2012 président du CNDD-FDD. Il restera à ce poste jusqu’en 2016 pour être remplacé par le général Evariste Ndayishimiye. Il est depuis le 30 juillet 2015 président de l’Assemblée nationale.
Atouts
Il disposerait de l’appui de certains hommes forts de l’armée originaires de l’ouest comme lui. Sa présidence à la tête du parlement lui aurait permis de se bâtir un réseau parmi les députés. Personnalité joviale, il n’a pas beaucoup d’ennemis, disent plusieurs personnes interrogées au sein du parti présidentiel.
Faiblesses
Une « tare » fondamentale : Pascal Nyabenda n’a pas fait la « lutte pour la libération », il n’appartient pas au cercle très fermé « y’abarurwanye», ceux qui ont fait le maquis et, de ce fait, en raison d’un pacte conclu pendant la rébellion, le fauteuil suprême lui serait interdit.
Révérien Ndikuriyo
Agé de 50 ans, Révérien Ndikuriyo est né à Kayogoro dans la province Makamba. Il est étudiant à la faculté des sciences de l’Université du Burundi quand il fuit pour rejoindre la rébellion du CNDD-FDD en 1995. Après la transformation du mouvement en un parti à la suite de la signature du cessez-le-feu en novembre 2003, M. Ndikuriyo connaît une ascension politique fulgurante. Il devient tour à tour gouverneur de sa province natale, député, avant d’être élu sénateur en 2010. En 2015, il accède à la présidence du sénat.
Atouts
Son passage au maquis lui donne la légitimité indispensable dans cette formation qui voue un culte au combattant. Enfin, la présidence de la Fédération de football du Burundi (FFB) qu’il assume depuis novembre 2013 lui donne une certaine influence auprès de la jeunesse.
Faiblesses
Plusieurs observateurs du parti estiment que c’est un « dur ». Dans ses discours, il ne mâche pas ses mots, il est extrêmement direct, voire « cassant », dit un membre du parti qui le connaît depuis longtemps. Il est considéré comme un tenant de la ligne dure, « ce qui peut rebuter l’aile modérée du parti . » Enfin, plusieurs sources rappellent qu’il ne faut pas oublier la « donne régionale ». Ses origines sudistes (Makamba) joueraient contre lui. Discrètement, des voix au sein du parti confient que « le sud a fait son temps à la tête du pays ».
Denise Nkurunziza
Son nom a également souvent circulé. 51 ans, née à Mwumba, (Ngozi), Denise Bucumi Nkurunziza est lauréate de l’ENEFA Kibumbu. Elle travaillait à la Police de l’Air, des Frontières et des Étrangers (PAFE) quand elle a rencontré Pierre Nkurunziza en 1993, alors assistant à l’Institut d’Education Physique de l’Université du Burundi. Elle convolera en justes noces avec ce dernier une année plus tard. Fondatrice et présidente de la Fondation Buntu (propriétaire d’un média Radio TV BUNTU – Ijwi ry’impfuvyi n’abapfakazi qui émet depuis Buye en commune de Mwumba de la province Ngozi), elle est aussi Pasteure de l’Eglise du Rocher. En 2010, elle se verra décerner par la Latin University de Californie aux États-Unis d’Amérique le diplôme de Docteur Honoris Causa. Auteure du livre autobiographique «La force d’espérer», elle détient depuis 2016 une licence en Théologie obtenue à l’Université Espoir d’Afrique, à Bujumbura.
Atouts
Elle aurait naturellement l’appui du président sortant, ce qui n’est pas rien et beaucoup de moyens pour mener à bien la campagne. Elle pourrait incarner une sorte de continuité présidentielle. Les Chrétiens, les évangélistes notamment, pourraient lui apporter leurs voix. Ces derniers temps, elle a multiplié des sorties, reçu des délégations de haut niveau. Mieux, elle a vertement et publiquement attaqué les « gens véreux du pouvoir qui accumulent des richesses illicites». Une façon à elle de montrer qu’elle ne traîne pas de casseroles derrière elle, qu’elle est »clean ». Pasteure rompue aux discours publics, c’est une bonne oratrice. Consciente de l’importance de la communication en politique, elle répondait dernièrement aux questions dans une sorte de conférence publique sur la santé maternelle et reproductive à l’image de ce qui se fait avec les porte-paroles et même avec le président. Tout le monde se rappelle aussi les immenses affiches dans Bujumbura sur les grands axes avec mention : «Femme de destinée ». Le président Nkurunziza n’a d’ailleurs pas manqué de saluer une «Femme de grandeur physique et morale, et [de lui dire que] le Burundi est béni de vous compter parmi ses filles et fils dignes» quand elle lançait la deuxième Conférence internationale des Femmes Leaders organisée en octobre dernier à Bujumbura par la première Dame du Burundi. Un appel ?
Faiblesses
Une source au CNDD-FDD nuance le portrait : Denise Bucumi pourrait être comptable, à tort ou à raison, du bilan de son mari. D’autres sources sont dubitatives. Ils voient mal l’appareil du parti proposer son nom. Par ailleurs, madame Nkurunziza n’est pas vraiment très impliquée en politique même si elle a déjà représenté le Burundi dans des rencontres internationales. Notamment à Perth en Australie, où sa présence avait éclipsé celle du Secrétaire permanent du ministre des Affaires étrangères, représentant officiel du gouvernement à l’ouverture du consulat dans ce pays. L’épisode avait fait courir beaucoup d’hypothèses. Enfin, elle-même, en tout cas officiellement, n’a jamais évoqué un tel projet.
Portrait-robot du candidat du CNDD-FDD
Quel nom sortira de ce congrès ? La réponse n’est pas évidente. Mais en recoupant les analyses et témoignages, avec les risques que cet exercice comporte, on peut essayer de tirer à grands traits le portrait-robot du candidat qui sera choisi dimanche à Gitega.
– Probablement un homme
– Très probablement un ancien de la lutte armée
– Vraisemblablement quelqu’un du centre ou du nord-ouest
– A coup sûr quelqu’un du sérail
Mais fidèle à la tradition du secret qui règne au CNDD-FDD, une surprise n’est pas totalement impossible. Quelques sources ont évoqué un candidat « presque inconnu, un civil ». Le nom d’un certain gouverneur de province a circulé un moment. Une thèse peu crédible, disent les connaisseurs.
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*Les articles de la rubrique opinion n’engagent pas la rédaction
*Antoine Kaburahe est journaliste et écrivain. Fondateur du Groupe de Presse Iwacu, comme de nombreux responsables des médias, depuis 2015, il est contraint de vivre hors de son pays. De son exil, il s’attache à écrire et à éditer des témoignages importants sur l’histoire récente du Burundi.
* Egide Nikiza , diplômé en sociologie, Egide Nikiza est journaliste depuis 2016 à Iwacu où il est chef de service web, et blogueur chez Yaga . Actuellement en formation en science politique à l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne (France).