Vendredi 27 décembre 2024

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Opinion | « Le Burundi aujourd’hui est considéré comme un régime hybride : ni une démocratie ni une dictature. »

26/10/2023 10
Opinion | « Le Burundi aujourd’hui est considéré comme un régime hybride : ni une démocratie ni une dictature. »
Aéroport de Singapour Changi

Un lecteur d’Iwacu répond à l’économiste André Nikwigize suite à son article où il évoquait le « miracle » singapourien et s’interrogeait si le Burundi pourrait faire de même.

M. Ndihokubwayo évoque le prix payé par Singapour pour le « miracle ». Pour lui, ce n’est pas la meilleure voie et il démontre pourquoi. Toujours est-il que lorsque deux Burundais, visiblement bien formés tous les deux débattent, avec respect, c’est tellement enrichissant. Merci à nos deux compatriotes, leurs analyses élèvent le débat.

En avril 2023, lors du Forum national du développement en deuxième Édition, tenue au Palais des congrès de Kigobe, Faustin Ndikumana, dans l’une de ses interventions, il a conclu sa prise de parole en recommandant au président Ndayishimiye de s’inspirer au leader singapourien Lee Kwan Yuu.  C’était après avoir dressé un tableau de comparaison entre le Burundi et le Singapour : population, situation géographique, diversité linguistique, trajectoire historique, etc.  C’est qui m’a interloqué le plus (vous allez le comprendre en bas de ma réflexion) c’était de voir comment un activiste de la société civile, dont la prise de parole ne ménage du tout pas le pouvoir en place à Bujumbura, met les projecteurs sur l’incompétence des autorités politiques.

Et voilà, six mois plus tard, l’économiste Nikwigize conseille aux autorités du Burundi de s’inspirer de Singapour.  En lisant son opinion, je me suis demandé si vraiment, il tient compte des tenants et des aboutissants de la réussite singapourienne.  Si vraiment il a une idée sur les conséquences possibles si les autorités burundaises se mettaient purement et simplement à « reproduire » ce modèle qui n’en est pas un vraiment.

En effet, la réussite économique de Singapour ne peut pas être analysée objectivement si on ignore en particulier le rôle de la démocratie illibérale. C’est pour cette raison que l’on parle de démocratie imparfaite quand il s’agit du Singapour. De ce fait, dans les écoles de développement, sans toutefois remettre en cause ses exploits, le Singapour n’est pas étudié comme un modèle. Il sera difficile de le dupliquer pratiquement.  Vous me diriez, si le Rwanda le fait, le président Kagame s’inspire de lui mais reconnaissons quand même que le Rwanda reste un pays toujours classé parmi les plus pauvres de la planète. De plus, on ne sait pas de quoi demain sera fait, rien ne garantit si ces « miracles » du pays des mille collines vont durer après le Kagame. La Libye, dont les réussites ne peuvent pas être comparées à celles du Rwanda, en est un exemple éloquent). Encore plus, il faut vraiment intérioriser que la comparaison ne permet pas seulement de généraliser, mais qu’elle facilite aussi de dégager des singularités. Alors c’est une erreur de vouloir se comparer au Rwanda ou à un autre pays sans que nous ayons connu la même trajectoire. Chaque pays a sa propre trajectoire, ses propres réalités politiques, économiques, sociales, culturelles.

Lisez comment ça s’est passé à Singapour

Alors par démocratie illibérale, sans donner des définitions très compliquées, il s’agit d’une démocratie de façade, autrement dit, un autoritarisme pur et simple.  Signalons que le Burundi aujourd’hui est considéré comme un régime hybride, donc il n’est ni une démocratie ni une dictature. Alors, si le Burundi du président Neva venait à instaurer une démocratie illibérale, à l’instar de Singapour comme Monsieur Nikwigize et Faustin Ndikumana le recommandent, qu’en seraient les conséquences. Lisez bien comment ça s’est passé au Singapour, vous allez trouver un schéma ressemblant à celui-ci dessous.

–           Assassinats, emprisonnements des leaders politiques qui refusent de se joindre au parti au pouvoir, de jouer le jeu du parti au pouvoir. ( Rwasa, Léonce, etc., en prison, ou sous terre. Mutabazi et consorts survivront et continueront à bénéficier de la cooptation)

–          Interdiction de fonctionnement de la société civile (indépendante) (Faustin Ndikumana, etc. sera bâillonné, emprisonné, voire assassiné). Ceci explique mon étonnement mis en exergue au début de mon texte.
–          Fermeture des médias qui ne sont pas contrôlés par le pouvoir (je vois en particulier Iwacu dans le viseur. Emprisonnement sans jugement, assassinats de ses journalistes. Seuls les médias qui ne dérangent pas du tout le pouvoir seront tolérés.  Les médias qui font de l’ infotainment. Où est-ce que les intellectuels comme Nikwigize, les journalistes critiques comme Kaburahe, et des chercheurs pourront publier leurs opinions et leurs idées)

–          Refus de toute alternance au sommet de l’État. Lee Kwan Yuu est resté au pouvoir pendant 31 ans (1959-1990). Ainsi le président Ndayishimiye pourra rester au pouvoir aussi longtemps qu’il le voudra.

–          Consécration du monopartisme (le parti de Lee Kwan Yuu (People’s Action Party) est au pouvoir depuis 1959). Souhaiteriez-vous cette longévité au sommet de l’Etat burundais, un seul parti, le Cndd-Fdd pour le coup ?

–          Je voudrais poser des questions à Monsieur Nikwigize, en quoi la démocratie illibérale au Burundi pourra nous être utile au Burundi ? Le financement de ce décollage économique par les ressources internes n’étant pas possible, vous savez bien en tant qu’économistes qu’en raison de la faiblesse de l’épargne des Burundais, les autorités burundaises devraient à tout prix faire recours aux ressources externes (principalement les IDE, les aides). Dans un contexte de répression féroce et de restriction des libertés, d’assassinats politiques, d’emprisonnements des leaders politiques et de la société civile, de fermeture de tous les médiaş qui ne sont pas contrôlés par le pouvoir, de consécration du parti unique, de guerres probablement, en tout cas de crises politiques permanentes à coup sûr plus qu’ils l’ont déjà été, d’où est-ce que ce pouvoir tirera les ressources pour financer la concrétisation des exploits singapouriens ? En Russie ? En Chine ? En tout cas, pas auprès des Institutions financières internationales (Banque mondiale).

–          En conclusion, je trouve cette opinion incomplète dans la mesure où elle n’intègre pas l’importance de l’ODD 16 par exemple et son importance dans les études du développement. De surcroît, cette opinion ne creuse pas en profondeur pour comprendre les singularités possibles entre les deux pays pourtant très significatives pour faire décoller l’économie du Burundi. Le Burundi, a-t-il par exemple le potentiel fiscal de Singapour ?

NB : Après le pouvoir, souvent on se rend compte de ses erreurs. En 2010, dans une interview au Times, Lee Kwan Yuu lui-même reconnaissait avoir commis la faute morale d’enfermer des opposants pendant des décennies, sans jugement. Etc.

Si Monsieur Nikwigize, auteur de cette opinion, voudrait que l’on s’appelle pour prolonger la discussion et creuser ce sujet, ce sera avec plaisir.  Voici mon adresse mail : [email protected]

Forum des lecteurs d'Iwacu

10 réactions
  1. KABIZI

    Bravo Paul, Ruvyogo, Expert, je reve.
    Oas de commentaires.
    Je coterais moi aussi pour la ductature à la singapourienne

  2. Claypton

    Douter de la pérénité des « miracles Rwandais » , douter de la « transposabilité » du modèle Singapourien…. douter…douter…ça fait « intellectuel » mais ça ne propose pas de solutions …Alors que faire …Rien ???? Please arrêter Les débats inutiles, mettez en place Les principes de la bonne governance connus de tous et Basta le reste suivra.

  3. Ruvyogo

    Come on.
    Le Burundi, l’un des pays le plus corrompu et le plus pauvre du monde est une dictature.
    period.
    Les élections à l’africaine n’aboutissent pas à une démocratie.
    Bongo, Museveni, Paul Biya, voisin du Nord,Denis Sassou Bguessoetc… (Je ne vois d’ailleurs pourquoi je nomme ces potentats seulement) sont élus dans des simulacres d’élections.
    Où voyez vous la démocratie?
    Rien à ergoter là dessus.

  4. Expert

    De l’art de voir le verre à moitié plein:

    Bravo Mr Ndiho pour votre contribution, mais quelques uns de vos arguments ont du mal à passer et j’ai quelques questions:

    1) Pour ce qui est des assassinats à Singapour, est-il possible que vous ayez confondu Singapour et Taïwan? Quant au cas Burundais, les emprisonnements massifs, n’ont-ils pas été réglés par le pouvoir en condamnant les vrais opposants à l’exil?

    2) Pour ce qui est du régime du Parti Unique qu’il faut à tout prix éviter (à la mode de Singapour), , le CNDD-FDD n’est-il pas un parti unique de fait?

    3) Refus de toute alternance politique. Ne sommes-nous pas déjà dans ce scenario? Je concède qu’il est encore trop tôt d’en parler en ce qui concerne Neva, mais je parie que le moment venu, il trouvera un subterfuge pour se maintenir. Ça, c’est mon petit doigt qui le dit.

    4) Pour ce qui est des investissements qui ne font pas bon ménage avec un régime de terreur, le Burundi n’est-il pas déjà l’un des coins les moins attractifs du monde, tout en ayant un statut hybride?

    Ou veux-je en venir? Les tares que vous reprochez au modèle Singapourien, nous les avons déjà, mais sans que le peuple en tire un quelconque bénéfice. Si un dictateur éclairé (et c’est un grand SI) s’inspirait de ce modèle, qu’aurions-nous à perdre, vues les conditions actuelles?

  5. Paul

    En tant que citoyen burundais, si la question suivante m’était posée lors d’un sondage d’opinion, voici quelle serait ma réponse:

    1. Question: Accepterais-tu d’endurer les mêmes souffrances qu’a connues la population de Singapour sous la gouverne de Lee Kwan Yuu de 1965 à ce jour pour que le PIB du Burundi puisse passer à terme d’emviron 280$ à 102.000$?

    2. Ma réponse sans ambages: OUI

    • Yan

      @Paul
      « Question: Accepterais-tu d’endurer les mêmes souffrances qu’a connues la population de Singapour sous la gouverne de Lee Kwan Yuu de 1965 à ce jour pour que le PIB du Burundi puisse passer à terme d’emviron 280$ à 102.000$? »
      « Ma réponse sans ambages: OUI »

      J’espère que tu te mets à la place de ce qui ont été trucidés au prix de cette ascension économique, genre Kizito. Mais j’ai peur qu’il ne s’agit de démagogie de ta part. Comme dans le conte de cette vieille dame qui disait qu’elle n’avait pas peur de la mort, mais lorsque celle-ci s’approcha, elle cria qu’elle racontait une blague.

  6. Novat Nintunze

    Est-ce que Lee Kwan Yuu a assassiné ses opposants ? je ne trouve ça nulle part (mais je peux me tromper). Cependant des emprisonnements, oui.

  7. Jereve

    C’est un sujet de discussion très riche, mais moi j’ai retenu une leçon: « En 1965, Singapour était gangrénée par l’insécurité et la corruption….. Il est, aujourd’hui, le 5e pays le moins corrompu au monde, et l’un des plus sûrs… ».
    Je n’ai pas les statistiques de cet index pour le Burundi en 1965, mais tout le monde sait aujourd’hui que la corruption est allé crescendo et a atteint des sommets jusqu’à nous placer au hit parade de la 170ème place sur 180 des pays les plus corrompus. Honte sur nous!
    Singapour a réussi à baisser drastiquement la corruption pour prendre le chemin vers le développement et le bien-être. Le miracle s’est produit. Et nous, nous avons laissé la corruption devenir un sport national, pour aboutir où? Au sous-développement et la pauvreté. On n’a pas besoin d’être trop intelligent pour comprendre que développement et corruption sont inversement proportionnels. Moins un pays est corrompu, plus il se développe.
    Pour ceux qui aiment faire des comparaisons et rêvent de devenir des stars comme Singapour, qu’ils sachent que ce rêve est irréalisable aussi longtemps que la corruption règne en maître.

  8. hakizimana jean capistran

    In terms of corruption, le singapour a optee pour la punition non pas de petits poissons mais des gros. ( not to punish only juniors people but the verry siniors people). Est ce que cela n’est pas un exemple qu’il faut copier? J’ai lu avec interet l’article de nikwigize et les doutes emis dans cette opinion! Je trouve humblement que meme si il ne faut pas copier singapour aveuglement, le burundi peut s’en inspirer sous plusieurs aspects. S’il est vrai que la democratie illiberale n’est pas un modele a suivre je doute que la democratie a l’africaine peut ne pas nous amener tres loin. LEE KWAN YUU a fait son temps et ses erreurs mais des valeurs comme la meritocratie, le pragmatisme et l’honnetete dans la gouvernance etaient tres considerees.

  9. Bakame

    Nikwigize, Ndikumana ont juste suggeré de s’inspirer des bonnes choses qu’a fait Singapour.
    C’est copiable.
    Et puis le Singapour dont vous parlez est plus démocratique que le Burundi actuel.
    Au moins au Singapour les Bihangange respectaient leur constitution et déclaraient leurs avoirs avant d’entrer en fonction. Regardez l’indice Transparency International.
    Les citoyens de n’importe quelle république bananière accepteraient une dictacture à la Singapourienne

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