Par Novat Nintunze
La CVR est dans Makamba, à Vugizo plus précisément. Elle fait un travail important, qui doit être fait, et dont la mission principale est la recherche de la vérité. C’est un travail de détective, qui suit des indices, qui recueille des témoignages, qui doit séparer le sensationnel du vrai. On ne peut que lui souhaiter plein succès. L’avenir de notre pays en dépend.
Le rapport complet de cette commission n’est pas encore sorti. Néanmoins, des bribes de vidéos et des discours circulent sur YouTube et dans d’autres médias sociaux. C’est ainsi que j’ai appris qu’elle est passée par la mission protestante de Kayogoro. Elle y a découvert une fosse commune de Hutus. C’est près de Kayogoro que mon père a été attrapé par les « Mayi Murere ». Il n’est pas le seul Tutsi tué là-bas, et nous ne savons pas où son corps a été enseveli.
Sur les réseaux sociaux, j’ai aussi appris qu’une fosse commune a été identifiée tout près du centre de santé de Vugizo(où étaient les bureaux communaux en 1972 !). Pendant la première semaine de mai, c’est là que les tueurs amenaient leurs victimes tutsies, près de 50 selon certains témoignages. Je peux citer Ntamuheza et ses quatre fils, le mushingantahe Bushimo … et bien d’autres tués par des gens qu’ils connaissaient, des « Mayi Murere ». Ces derniers étaient des Hutus qui habitaient près de chez nous, des voisins, renforcés par des Hutus de Mugara et Nyanza-Lac, et peut-être des « sorciers » burundais ou congolais. Absolument pas de Tutsis parmi eux. Ils ne comprenaient pas tous nos groupes sociaux (nti hari mwo ubwoko bwose). Ils ont érigé leur drapeau devant les bureaux communaux et au centre de négoce de Vugizo. Les après-midis, ils se rassemblaient et abattaient des bovins pillés dans le voisinage, tout en continuant à exécuter les Tutsis attrapés et enfermés dans le cachot communal. C’est là qu’un hélicoptère les a surpris vers la fin de la première semaine de mai. Beaucoup d’entre eux se sont réfugiés en Tanzanie. Certains sont maintenant revenus.
A Gikuzi, il y a eu un grand rassemblement récemment, rehaussé par la présence de la première vice-présidente de l’Assemblée nationale. C’est là qu’un grand nombre de Hutus ont été exécutés en 1972, sans jugement. Beaucoup de femmes se sont retrouvées veuves, et des enfants sont devenus orphelins. Ils ont besoin de vérité aussi. Peut-être que Gikuzi et Vugizo serviront d’inspiration pour un vrai Ettat de droit : on n’exécute pas quelqu’un sur une accusation, ou un soupçon, sans preuve, sans le prononcé d’un jugement, après un procès (équitable).
Vugizo est une petite commune, où séparer le sensationnel du vrai est possible. Bien sûr en y la bonne volonté et des efforts . Par exemple, il n’y a pas eu de viols massifs en 1972 à Vugizo. Comme l’ a déclaré une certaine personnalité médiatique lors de sa tournée dans cette commune.
En général, les gens de Vugizo sont très gentils, prêts à assister leur prochain. Certains ont même sauvé des vies en 1972. Ils veulent vivre en paix. J’ai été agréablement surpris en apprenant que Vugizo est resté calme après l’assassinat du président Ndadaye en 1993 (je vivais déjà aux USA), même si des meurtres ont eu lieu plus tard. J’espère la paix pour Vugizo pour toujours et nous la garderons jalousement…
Novat Nintunze est né en 1958 à Vugizo, dans la province actuelle de Makamba et vit aux aux Etats-Unis d’Amérique, sa seconde patrie. Il est détenteur d’un doctorat en Génie Eléctronique et Informatique de la Washington State University. Depuis plus de 23 ans, il est actif dans la recherche et le développement de composants électroniques pour microprocesseurs. Il a notamment travaillé sur plusieurs générations de microprocesseurs.Lors des massacres des Tutsis dans le sud du pays en avril-mai 1972, il perd son père et plusieurs proches. Malgré ce drame qui l’a fortement maqué, Novat Nitunze prône la réconciliation, mais sans occulter la vérité sur ce passé hideux. C’est ainsi qu’il a écrit ses souvenirs et recueilli les récits des survivants de ces massacres qui ont broyé sa jeunesse. Savoir ce qui s’est passé pour ne pas le revivre. Tel le message essentiel de son témoignage publié aux Editions Iwacu
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