Le journaliste et écrivain Antoine Kaburahe, aujourd’hui à l’étranger s’exprime sur les menaces qui pèsent sur le média qu’il a fondé il y a bientôt 11 ans . Pour lui, Iwacu est important pour tous les Burundais et doit continuer son travail.
Si ma mémoire est bonne, je pense que c’est Mère Teresa qui disait que « les bons projets survivent toujours à leurs fondateurs ». Lorsque j’ai été contraint de quitter mon pays, Iwacu ne s’est pas effondré. Parce que justement Iwacu est un bon projet et ne m’appartient pas. Il me dépasse.
Il appartient aux 54 personnes qui travaillent chaque jour dans des conditions difficiles pour produire une information de qualité. Iwacu c’est en effet un hebdomadaire en français et kirundi, une Newsletter quotidienne, un magazine mensuel, une web TV, une web radio, un site internet ( le plus visité sur le Burundi), une présence soutenue sur Twitter et une maison d’édition.
Je dis toujours que c’est une petite institution, un joyau national qu’il faut protéger, développer.
Iwacu,un média ouvert
Le CNC au lieu d’être à l’affût, en embuscade pour menacer de fermeture ce média, devrait au contraire se placer dans un rôle plus positif, rappeler plutôt à l’ordre ces communicateurs institutionnels qui ont fait d’Iwacu le paria.
Qui disent ouvertement qu’ils ne peuvent pas lui donner une information, réagir à des allégations des citoyens. Peut-être justement pour pousser à la « faute » le média qui sera par la suite « accusé de déséquilibre de l’information » par le régulateur. CQFD.
De loin, j’entends toutes les hypothèses, que pour ma part j’estime farfelues. Certains expliquent doctement qu’il existerait un plan de « fermer Iwacu avant les élections ». Je n’y crois pas. Pourquoi ? Pour quel crime ? Parce qu’Iwacu donne la parole à tout le monde ? Mais n’est-ce pas là justement le propre d’un bon média ?
Iwacu ce sont toutes les « Voix du Burundi », c’est notre devise, c’est à dire, toutes les voix, même les voix dissonantes. Parce que nous croyons que dans une démocratie elles doivent justement être écoutées.
Sur ces accusations, le mieux serait que le CNC joue la transparence et expose publiquement« les crimes » du journal. Nous n’avons pas peur parce que justement nous pensons que nous respectons, autant que faire se peut, les lois du métier. Le Burundi et le monde comptent des spécialistes dans les médias qui pourraient donner un avis objectif .
Bien entendu, Iwacu peut commettre des erreurs. C’est humain, mais à entendre le CNC, ce serait devenu notre marque de fabrique. Par le passé, avec l’ancien président du Conseil, M. Karenga , lorsque des problèmes survenaient, il nous appelait, non pas pour nous sermonner et nous menacer, mais pour débattre ensemble quand un article posait problème.
Le papier était disséqué. Ligne par ligne. C’était un travail technique, pédagogique, constructif. Les principes journalistiques passés à la loupe. A la fin que ce soit du côté d’Iwacu ou du CNC, on repartait chacun convaincu et apaisé. En général, tout se passait bien.
Et pourtant, comme M. Karenga, l’actuel président du CNC est également journaliste. Rien ne devrait donc empêcher un tel processus plus constructif que les condamnations sélectives et globalisantes.
Dix ans au service de l’information
Dès sa création, nous avons insufflé un esprit de rigueur chez Iwacu. Les formations étaient nombreuses. Des journalistes sont allés se perfectionner dans des médias à l’étranger . Des spécialistes des grands médias internationaux (Le Monde, The Guardian, etc.) sont venus travailler au pays avec nos journalistes. Iwacu fait un travail de qualité reconnu. De ce fait, Iwacu est devenu un vivier convoité par de nombreux recruteurs et une dizaine de confrères travaillent aujourd’hui dans des institutions ou organismes prestigieux au Burundi.
Parfois, à l’évocation de tous ceux qui sont partis ailleurs, on me dit pour me taquiner qu’Iwacu est un « centre de formation », je prends cela comme un compliment. C’est une reconnaissance de la qualité de nos prestations. Et puis, même les anciens d’Iwacu sont au service du pays…
Iwacu ne m’appartient pas , il appartient à tous les citoyens et sa fermeture serait un échec. Un drame personnel certainement pour la quarantaine de personnes (journalistes, graphistes, imprimeurs, chauffeurs, etc.) et leurs familles, surtout dans la situation économique actuelle.
Mais ce serait aussi une régression terrible dans un paysage médiatique déjà moribond. Comme fondateur, j’ose espérer que ce groupe de presse va poursuivre son travail important pour la liberté d’expression au Burundi.Le droit à l’information est en principe garanti par la Constitution du Burundi.
Aux journalistes, je redis ce que je disais à la rédaction, « le professionnalisme est votre seul bouclier. Faites bien ce que vous avez à faire. »
Enfin , je connais l’aversion à mon endroit de l’actuel président du CNC, un ancien camarade à l’université. Il devrait transcender cette attitude personnelle car l’enjeu est plus grand et nous dépasse lui et moi. Je rappelle d’ailleurs que je ne suis plus dans la gestion quotidienne du groupe de presse.
Aujourd’hui, c’est l’avenir d’un joyau de la presse indépendante qui est en jeu, le travail essentiel pour le pays de plusieurs personnes et leurs familles. Le président du CNC et moi, un jour nous ne serons plus là. Mais nos institutions, le CNC et Iwacu, nous survivrons. En tout cas, je le souhaite.