La dernière livraison du magazine mensuel Iwacu numéro 5 axée sur l’année la plus sombre de notre histoire est une prouesse à la fois d’intelligence, de sagacité et surtout de grande sagesse de la part de l’équipe de rédaction sous la houlette d’Antoine Kaburahe.
Intelligence
L’histoire commence… par le commencement. La première séquence des tueries est revisitée à travers des témoins de première main, jamais, auparavant, mis en lumière de façon aussi éclatante. Le film de différentes étapes des tueries est décrit pas à pas, systématiquement et, chaque fois, à travers des témoins oculaires.
L’histoire se poursuit à travers des récits essentiellement de citoyens lambdas qui décrivent dans la simplicité la mise en branle de la machine à broyer d’un état devenu fou et aussi cruel que les ogres de nos contes. « L’Etat-Igisizimwe » est méconnaissable par ces propres citoyens. Bien sûr, comme il se doit, un discours intellectuel va accompagner ses dires pour cadrer les choses, rappeler le contexte politico-social, l’état du monde au niveau de la sous-région. Sans doute ici, peut-on regretter l’absence d’une analyse toute aussi affûtée du rôle des grandes puissances dans notre tourmente…
Comme les méandres d’un fleuve, l’histoire se permet des incursions vers des idées tenaces (l’existence ou non du « Plan Simbananiye ») ou vers les rives du souvenir d’alertes prémonitoires (les écrits du ministre Martin Ndayahoze). Elle se permet des sauts temporels pour nous inviter aux confessions d’un repenti (la demande de pardon du ministre Isidore Hakizimana).
Mais le fil de l’histoire, jamais ne se perd. Tel l’ogre de Birindivuga, nous suivons la spoliation, l’ostracisme, le mépris et surtout la mort de la capitale aux villes de l’intérieur du pays en se permettant des arrêts sur image à l’université du Burundi ou au Grand Séminaire de Bujumbura. La campagne aussi est couverte. Durant des mois qui paraissent des siècles, tout le pays est sous une chape de pleurs, de peurs, mais aussi de rage et de violence inouïe où l’innocence et la fragilité n’ont plus droit de cité…
Sagacité
L’équipe d’Iwacu est consciente de la délicatesse du dossier traité. A aucun moment, elle ne pèche par légèreté, parti pris ou abus de langage. Les textes sont d’une grande tenue. Et si, le plus souvent le discours est indirect, la place du témoignage reste centrale. Il apparaît évident que la responsabilité des déclarations incombe aux personnes interviewées.
L’équipe Iwacu a fait aussi œuvre pédagogique en présentant une bibliographie générale couvrant la question. Elle est allée jusqu’à exposer les grandes questions débattues par les universitaires autour du concept de génocide. Mais encore une fois, sans porter de jugement dans le strict respect de celui du lecteur à venir.
Sagesse
L’équipe Iwacu a été animée d’une grande sagesse durant la rédaction du Magazine NO 5 intitulé : « 1972 : Massacres, répressions. Enquêtes et témoignages ».
En donnant la parole à ceux qui en sont le plus souvent dépourvus, elle a rendu justice à l’histoire. Elle a prêché par l’exemple, en exposant les faits têtus, et elle nous met tous devant nos responsabilités de citoyens. Qu’allons-nous faire, maintenant que nous savons ? Ce rôle n’est pas uniquement dévolus aux responsables de la justice, il nous revient à nous tous de le rappeler, de l’exiger à ceux qui doivent dire la justice.
Et bravo à monsieur Isidore Hakizimana, un des rares Barundi à avoir la grandeur de quémander le pardon à tous ceux qu’il aurait offensé. Peu importe, qu’il l’ait exprimé timidement, voire de façon incomplète. Il l’a reconnu devant son Dieu, sa nation et toute l’humanité. Les enquêtes et la justice prendront le relais, un jour, et ce sera sur un sol débroussaillé.
D’autres, beaucoup d’autres, devraient lui emboîter le pas et se grandir aussi. Au lieu, très souvent, de se murer dans un silence coupable et assourdissant. Ou de poursuivre une course effrénée d’auto justification qui ne trompe personne. Sans oublier qu’une telle attitude ne fait que reculer l’échéance inexorable du rendez-vous avec l’histoire avec H.
Compte tenu de l’importance et de la délicatesse du sujet, ce dossier d’Iwacu est et restera, à mes yeux, une maestria journalistique digne d’avoir beaucoup d’émules chez nous et ailleurs dans le monde.