Par Joseph Sibomana*
Durant les premiers mois qui ont suivi le Coup d’Etat manqué contre le Président Nkurunziza, l’optimisme quant à la chute du régime régnait dans les rangs de l’opposition. Cet optimisme était d’autant plus fondé que l’armée continuait de se vider de ses membres dont des officiers supérieurs, des éléments de l’armée fidèles au Général Niyombare étaient encore en capacité de frapper au coeur même de la hiérachie militaire et l’Union Européenne menaçait d’imposer des sanctions susceptibles de faire plier le chef de l’Etat.
En plus de la ménace de suspension des aides directes au gouvernement par l’UE, c’est surtout sur le retrait éventuel des troupes Burundaises de l’Amisom et de la Minusca que se fondait l’espoir de voir le régime s’écrouler dans un délai relativement court. D’un côté, un tel retrait constituerait une perte énorme en devises pour un pays qui en avait plus que jamais besoin et, de l’autre, l’on ne pouvait pas exclure une fronde de militaires consécutive au manque à gagner financier qui leur serait infligé, et, par conséquent la perspective d’une autre révolte à laquelle adhéreraient un plus grand nombre de militaires toutes sensibilités confondues.
En attendant, il s’est passé beaucoup de choses, et la situation n’est plus ce qu’elle était, tant sur le front militaire que diplomatique.
Sans toutefois verser dans le bashing de l’oppostion qui semble maintenant être dépassée par les événements, l’on peut néanmoins noter des grosses erreurs de calcul par rapport à l’effort nécessaire pour maintenir l’élan qui fut le sien au tout début de la crise, mais aussi par rapport à la durée que devrait prendre le combat amorcé. Erreur de calcul ou absence de vision commune, toute analyse des déboires subis ne peut ignorer le caractère très hétérogène de la coalition de l’opposition. L’échec de l’ADC-Ikibiri cing ans auparavant aurait dû servir de leçon pour éviter que les mêmes causes ne produisent pas les mêmes effets, mais nous Burundais sommes connus pour avoir la sale habitude de refaire encore et encore les mêmes choses tout en espérant des résultats différents. L’évolution socio-politique de notre société depuis l’indépendance en est une parfaite illustration. Bref, l’opposition ne s’est pas vraiment donné les moyens de ses ambitions qui étaient, de préférence, chasser le Président Nkurunziza du pouvoir, ou, à défaut, le forcer à des négociations d’égal à égal qui devraient accoucher d’un gouvernement de transition dont la tâche serait de préparer le départ du Président et organiser des éléctions crédibles pour sa succession.
En plus des erreurs qui lui sont dirctement imputables, il faut reconnaître que l’évolution de la géopolitique régionale, et, dans une certaine mesure, internationale (Macron, Trump, Brexit) n’a pas été favorable à la stratégie adoptée par l’opposition, elle qui avait tant misé sur des pressions internationales sur le pouvoir en plus des opérations militaires ciblées en vue d’un dénoument rapide.
Dès le début de la crise, le gouvernement Burundais a bénéficié d’un soutien indéfectible de l’ancien Président Tanzanien, Jakaya Kikwete, avec qui le parti de l’aigle entretenait de bonnes relations tissées depuis l’époque du maquis. Si la Tanzanie ne pouvait rester immobile devant l’éventualité d’une guerre civile au Burundi, et ce pour plusieurs raisons notamment les flots de réfugiés auxquels elle doit à chaque fois faire face, il n’était nulle part écrit que ce pays irait aussi loin dans son soutien au Président Nkurunziza, surtout que certains hauts cadres du régime tanzanien entretenaient de bonnes relations avec Radjabu Hussein dont on dit qu’il se trouve sur le sol tanzanien. En tout état de cause, le soutien supposé ou avéré du Rwanda aux meneurs du Coup d’Etat manqué n’était pas sans importance dans la réaction de la Tanzanie. Depuis l’appel de Kikwete au dialogue entre le gouvernment Rwandais et les FDLR, le courant ne passait plus entre lui et Kagame. Par ailleurs, l’implication de la Tanzanie dans la conception et la mise en place d’une brigade d’intervention spéciale visant notamment à neutraliser le M23 soutenu par le Rwanda et l’Ouganda avait empiré les relations entre les deux hommes qui étaient pourtant déjà au plus bas. La Tanzanie avait alors pesé de tout son poids diplomatique, surtout au niveau de la SADC, au même moment que le Rwanda était en train de perdre son grand soutien régional de tous les jours qu’est l’Ouganda. En effet, les relations entre les deux pays ne sont plus ce qu’elles étaient depuis que le Rwanda accuse l’Ouganda d’abriter des rebelles visant à le déstabilisation alors qu’il est lui-même accusé d’opérer des enlèvements parmi ses ressortissants refugiés en Ouganda. Un autre aspect important qui aura motivé la position tanzanienne est sans doute le soutien du Burundi dans la guerre de leadership régional entre la Tanzanie et le Kenya. L’on se souvient de la fameuse coalition of the willing qui réunissait le Kenya, le Rwanda et l’Ouganda excluant de fait la Tanzanie et le Burundi qui se voyaient dorénavant liés par une sorte de destin régional commun.
Ceux de l’opposition qui avaient espéré un autre son de cloche du côté Tanzanien avec le départ de Kikwete ont vite déchanté avec l’arrivée de Magufuli. L’actuel Président Tanzanien n’a que faire de la politique politicienne. Il n’a qu’une chose en tête, c’est l’industrialisation de son pays. Presque trois ans depuis son accession au pouvoir, le Président Tanzanien n’a assisté qu’à un seul Sommet de l’Union Africaine à Addis Abeba, en plus de voyages effectués au Kenya, au Rwanda et en Ouganda où il est toujours question de business.
Sans aucun soutien de taille dans la région ni capacités militaires à faire plier le pouvoir en place, le tout en plus d’un désintérêt progressif en Occident, l’opposition se retrouve réduite à la protestation et la dénonciation. Elle a perdu l’initiative, et à chaque nouveau round annoncé du dialogue, c’est le pouvoir qui semble imposer l’ordre du jour. Il faut aussi reconnaître que la médiation non plus ne lui facilite la tâche. Par faiblesse ou par complicité, le bureau du médiateur s’est montré très complaisant avec le pouvoir de Bujumbura au détriment d’une sortie de crise négociée et acceptable pour toutes les parties.
Voilà grosso modo le contexte auquel fait face l’opposition en plus des difficultés internes inhérentes à sa composition. C’est dans ce même contexte que l’opposition se choisit des dirigeants dits favorables aux négociations sans conditions en vue de 2020.
Conscient des multiples difficultés auxquelles fait face l’opposition, le gouvenement alerte que la prochaine rencontre sera la dernière avant les élections de 2020. Il appelle en même temps, par la voix du porte-parole du ministère de l’intérieur, les membres de l’opposition à rentrer au pays car, dit-il, la paix règne sur tout le territoire national et les chargés portées contre leurs membres peuvent être revues (journal Iwacu du 28.08.2018). Alors, peut-on parler de simple effet de coïncidence entre la reconduite de Jean Minani à la tête du CNARED et les dernières déclarations du gouvernement? Sans doute, car, à l’heure qu’il est, rien ne prouve une action coordonnée entre des membres de l’opposition et le gouvernement.
Neanmoins, il est extrêmement difficile de prédire une issue plus honorable pour l’opposition en exil, elle qui avait placé la barre très haut dès le début de la crise.
Ceux qui avaient opté pour une solution militaire le savent très bien, une fois la guerre engagée, il ne faut surtout pas la perdre même lorsqu’on n’est pas capable de la gagner. Car dans la guere, the winner takes it all.
Sans soutien diplomatique significatif ni poids militaire sur le trrain, l’opposition a tout le mal du monde à imposer quoi que ce soit au gouvernement. A ce stade, l’offre du gouvernement est à prendre ou à laisser, sans que celui-ci s’en inquiète outre-mesure. Seul un coup de poker extraordinaire pouvait renverser la tendance, mais personne ne peut évidemment en prédire ni la nature ni l’occurrence.
Quant aux victimes du troisième mandat, ils risquent de grossir la longue liste de victimes tombées dans l’oubli depuis 1965.
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*Joseph Sibomana est Bachelier en Sciences Politiques et Master en évolutions sociétales et Management de la Haute Ecole de Molde ( Norvège)