Lundi 19 août 2024

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OPINION | BURUNDI : Cinq conseils aux leaders politiques en vue de la construction d’une Nation unie et prospère *

19/08/2024 0
OPINION | BURUNDI : Cinq conseils aux leaders politiques en vue de la construction d’une Nation unie et prospère *

Au moment où le Burundi traverse une crise politique et économique sans précédent, avec de multiples faiblesses, il est préoccupant de constater que les leaders politiques ne semblent pas s’en émouvoir outre mesure. La pauvreté et la faim s’accélèrent, les déficits se creusent, pendant que l’aide au développement baisse considérablement. Les doubles langages, les langages contradictoires, conflictuels, parfois, les mesures inconsistantes déroutent le peuple. Bien qu’il connaisse la vérité, ce peuple écoute, observe, mais se tait, pour sa sécurité, dans l’espoir des jours meilleurs.

Par André Nikwigize

Ces 5 conseils, -et d’autres -, peuvent servir d’outils aux leaders politiques, d’aujourd’hui et de demain, pour construire une Nation burundaise, unie et prospère.

Conseil No.1 : Utilisez un langage digne d’un vrai leader politique

Les doubles langages, les langages contradictoires, et, souvent, conflictuels, des leaders du pays, déroutent la population, et dénotent d’un manque de vision politique pour le pays. Un leader politique doit avoir une communication digne d’un leader. C’est une parole qui dispose de descriptions vraies, des arguments justifiés, de recommandations raisonnables, de promesses responsables.

Les dernières déclarations des hauts responsables de l’Etat et du parti au pouvoir n’inspirent, ni confiance, ni expérience, ni assurance. Elles traduisent, plutôt, une absence notoire de vision politique des leaders. Quelques illustrations relevées, parmi tant d’autres :

  • « Il y a des personnes qui sabotent notre économie. Il y a des personnes qui dilapident les ressources de l’Etat. Des personnes empêchent que le carburant arrive dans notre pays. La justice est incompétente. Et je connais ces personnes. Je vais les combattre ». Un leader qui crie aux voleurs, sans les arrêter, un leader qui pleure face à une injustice incompétente, sans la réformer, avoue son incapacité à remplir la mission que le peuple lui a confiée de défendre ses intérêts. Selon plusieurs analystes politiques, de telles déclarations politiques interviennent lorsqu’il y a des crises dans un pays sur lesquelles un leader n’a plus de contrôle. N’ayant rien à offrir pour résoudre ces crises, il essaie de prouver que l’origine des problèmes, ce sont les autres. Le langage politique populiste qu’un leader emprunte permet de faire oublier ses propres lacunes. Il crée des antagonismes entre « nous » (les bons) et « eux » (les mauvais). Le peuple, quant à lui, écoute, observe, et ne peut réagir, malgré qu’il connaisse la vérité. Alors, il se tait, en attendant des jours meilleurs.
  • « Les diplômés ne servent à rien ». Quand on sait la relation qu’il y a entre éducation et développement, et que les pays qui disposent de beaucoup de diplômés ont un niveau de développement élevé, une telle déclaration est mal perçue. L’éducation coûte cher, mais l’ignorance coûte encore plus cher. Toutes les familles burundaises souhaiteraient que leurs enfants fréquentent les meilleures écoles, la déception est grande, lorsque leurs enfants en qui ils ont beaucoup investi terminent chômeurs ou se contentent de petites activités, pour survivre, et qui ne correspondent pas a leurs qualifications.
  • « Burundais, si vous êtes pauvres, c’est de votre faute, car, vous ne travaillez pas ». De tels langages frustrent les populations, quand on sait que depuis des siècles, les Burundais sont réputés être un peuple de travailleurs. Mais, les responsables politiques, supposés être des serviteurs du peuple, n’ont pas été en mesure d’aider ce peuple à lever les contraintes structurelles qui pèsent sur le secteur de l’agriculture, dont la pression sur les terres, la faible productivité, la création des emplois non agricoles, etc.
  • « Au Burundi, il n’y a pas de chômeurs ». Le Chef de l’Etat affirmait qu’il n’existe pas de chômeurs au Burundi, qu’il y a plutôt des fainéants. Au Burundi, selon la définition du chômage du Bureau International du Travail (BIT), le taux de chômage est évalué à 65%. Ce taux inclut, non seulement les diplômés, mais, également, tous ceux qui sont en âge de travailler et qui sont à la recherche d’emploi. Beaucoup de jeunes, diplômés ou pas, ne trouvent pas d’emplois, ni à la Fonction publique ni dans le secteur privé.
  • « Les détenteurs de boutiques ne sont pas des acteurs économiques ». Le public informé est surpris d’entendre une telle déclaration, lorsqu’on connait l’importance du secteur informel dans beaucoup de pays, surtout, en Afrique, et au Burundi, en particulier. C’est l’ensemble des métiers de boutiquiers, de commerçants ambulants, de cuisiniers, de coiffeurs, et d’autres, qui contribuent, de manière substantielle au Produit Intérieur Brut.
  • « Gare à ceux qui dénonceront les abus des administratifs ! Qui êtes-vous pour le faire ? ». C’est une déclaration qui, de nouveau, désoriente la population. Comment priver le peuple de son droit de contrôle de l’action gouvernementale ? En même temps, dans un autre discours, un haut responsable gronde la population qui se tait face à ceux qui détournent les fonds de l’Etat. Que retenir de tels discours conflictuels. Existe-t-il réellement une vision politique ?
  • « La monnaie nationale est la plus forte de la région et il n’y a pas de dépréciation de notre monnaie ». Il est difficilement explicable comment une monnaie, dépréciée à plus de 140% par rapport au dollar américain, avec un niveau d’inflation de plus de 20%, et des réserves en devises couvrant moins de 1 mois d’importations, peut prétendre être plus forte que les autres monnaies de la région, qui sont stables et soutenues par des équilibres de leur balance commerciale et un niveau d’inflation sous contrôle.

Conseil No.2 : Engagez-vous pour une Paix Durable et une Cohésion Sociale

La paix véritable est un chemin pour le développement. Il n’y a pas de développement durable sans une paix durable et une cohésion sociale pour tous. Comment peut-on affirmer qu’au Burundi, il y a la paix et la stabilité, au moment où :

  • Chaque jour, des personnes sont arrêtées ou massacrées, sans qu’aucune justice ou une quelconque enquête ne puisse déterminer les raisons de leur arrestation ou de leur massacre ;
  • Des leaders politiques sont intolérants vis-à-vis des partis politiques de l’opposition, des médias indépendants et des populations non membres du parti au pouvoir ;
  • Des personnes vivent dans la terreur permanente vis-à-vis des Imbonerakure, membres de la milice affiliée au parti au pouvoir ;
  • Des milliers de personnes sont emprisonnées à cause de leurs idées ou pour avoir, siplement, exercé leur métier de journalistes ou de médias indépendants ;
  • Des centaines de milliers de personnes vivent encore dans des camps de réfugiés dans les pays voisins ou dans des camps de déplacés à l’intérieur du pays ;
  • Des millions de Burundais vivent dans l’extrême pauvreté et une partie de la population souffre de l’insécurité alimentaire.

Par conséquent, il faut :

  • Créer un environnement favorable pour la paix, en prenant des mesures réelles d’apaisement de la population pour les sécuriser, identifier les semeurs de troubles et les sanctionner. Le langage de haine des hauts responsables de l’Etat et du parti au pouvoir devrait cesser. Il faut un discours rassembleur. Comme disait Martin Luther King : « Nous devons apprendre à vivre ensemble comme des frères, sinon nous allons mourir tous ensemble comme des idiots ».
  • Organiser un Rapatriement volontaire et une Réintégration des Réfugiés et Déplacés dans la Dignité. Plus de 300.000 Burundais vivent encore des conditions difficiles dans les pays voisins ou ailleurs, tandis qu’environ 150.000 autres vivent dans des camps de déplacés à l’intérieur du pays. Des acteurs politiques ont fui le pays, des journalistes, des enseignants, des hommes d’affaires, des jeunes, des femmes, qui pourraient contribuer au développement du pays.
  • Engager un Dialogue pour un nouveau Vivre-Ensemble. Face à la gravité de la crise multidimensionnelle qui affecte le Burundi, il est temps que les Burundais réaffirment leur foi dans la Nation burundaise et qu’ils s’engagent, de manière volontariste, à reconstruire un Etat-Nation unitaire, lutter contre toutes les formes d’exclusion et forger un système démocratique rassurant pour tous.
  • Prendre des dispositions pour sécuriser la population. Particulièrement, les rapatriés et les acteurs politiques qui souhaiteraient rentrer au pays.

Conseil No.3 : Revisitez les Principes de Bonne Gouvernance

Depuis l’accession au pouvoir du parti CNDD-FDD, les principes élémentaires de bonne gouvernance ont été mis à l’écart, ce qui n’a pas permis au Burundi de retrouver une stabilité politique et une réelle relance économique. A cet effet, il est urgent de :

  • Rétablir une administration qui rend des comptes. En particulier : avoir des hommes qu’il faut, aux places qu’il faut, une transparence dans les recrutements des responsables de l’administration et des entreprises publiques, que ces personnes rendent des comptes de leur gestion des services leur confiés, et que Le Gouvernement fasse auditer ses fonctionnaires, de la façon dont ils s’acquittent de leurs missions respectives, aux niveaux, tant technique, administratif que financier.
  • Engager des réformes économiques et financières profondes, qui permettraient : de lutter contre les pressions inflationnistes actuelles, d’assainir les finances publiques, de recalibrer la politique de taux de change et une modernisation du cadre de politique monétaire, et de mettre en place une politique claire de promotion du secteur privé.
  • Promouvoir une transparence dans l’octroi des marchés publics. Nécessité de rétablir et d’autonomiser les structures en place, notamment : la Direction Nationale de Contrôle des Marchés Publics (DNMP), l’Autorité de Régulation des Marchés Publics (ARMP), respecter la loi relative aux marchés publics. Mais, également, interdire aux fonctionnaires de l’Etat de s’adonner aux activités de commerce.
  • Combattre la corruption et améliorer le climat des affaires. La situation de l’état de la corruption au Burundi devrait inviter les hauts responsables du Burundi à réfléchir, surtout sur les impacts de ce virus sur les perspectives de développement économique du pays et de l’image que cela donne pour le pays. Il faut rendre fonctionnelles les institutions de lutte contre la corruption. Et surtout, de sanctionner les coupables, les traduire devant les juridictions compétentes. Les leaders politiques et tous ceux qui sont nommés à des postes de responsabilité devront être assujettis à l’obligation de déclaration de leur patrimoine avant et après la prise de fonction, conformément à la loi, et cela, à tous les postes de responsabilité.

Conseil No.4 : Investissez dans la Sécurité Alimentaire et dans les Exportations

Au Burundi, plus de 80% de la population vit en milieu rural, d’où elle tire les moyens de subsistance et lui procure des emplois. Pendant longtemps, l’agriculture a été la principale source des recettes d’exportations. Quelles que soient les potentialités offertes par le secteur minier ou celui des services, la première priorité devrait consister a assurer la sécurité alimentaire a la population.

Au cours des 30 dernières années, l’agriculture a vu sa production chuter de plus de 40%. La pression démographique, avec une population qui a plus que doublé, passant de 5,6 millions d’habitants en 1994 à 13,2 millions d’habitants en 2024, a conduit à l’abandon de la jachère, et à la mise en culture de sols peu fertiles, à la réduction de la taille moyenne des exploitations et à l’appauvrissement des sols. Cette situation a alourdi fortement le bilan des victimes de l’insécurité alimentaire, et engendré la hausse des prix des denrées alimentaires sur les marchés locaux. Le niveau d’insécurité alimentaire, presque deux fois plus élevé que la moyenne des pays d’Afrique subsaharienne, est alarmant. Plus de la moitié de la population burundaise souffre de l’insécurité alimentaire, et 6 enfants sur dix présentent un retard de croissance, selon les rapports des institutions internationales, tandis que le taux de prévalence du paludisme affecte environ 40% des enfants de moins de 5 ans. On estime qu’à fin 2024, avec une production agricole qui aura encore baissé de 30%, du prix de carburant qui va encore augmenter, des prix des denrées alimentaires qui vont augmenter et des pénuries diverses, la pauvreté va s’accentuer.

Par conséquent, il faudra :

  • Accroitre la productivité agricole, en intensifiant les cultures, ce qui exigera un effort de recherche et de vulgarisation accru, pour mettre au point et diffuser des programmes techniques améliorées ;
  • Engager une transformation fondamentale de la politique de production agricole, de promotion d’une agriculture intensive, et de rentabilisation des superficies exploitées, avec un investissement conséquent ;
  • En ce qui concerne les cultures d’exportations, café, thé et autres, offrir des incitations suffisantes aux producteurs, veiller à l’utilisation plus rationnelle des ressources et améliorer la qualité et la commercialisation des produits.
  • S’assurer que la production agricole soit suffisante pour assurer, aussi bien, l’autosuffisance alimentaire à toute la population, garantir une croissance des exportations et servir de catalyseur pour les agro-industries.

Conseil No.5 : Autonomisez les Jeunes pour une transformation structurelle

Au Burundi, 65 % de la population active est constituée de jeunes, âgés entre 20 et 24 ans. Ils sont omniprésents, et pourtant largement ignorés par les politiques publiques. La croissance économique, proche de zéro, ne permet pas d’offrir des emplois aux jeunes, encore moins la résorption de la pauvreté.

Non seulement, le chômage des jeunes représente une énorme perte pour l’économie nationale, mais il est perçu comme une « bombe à retardement », aussi longtemps que les jeunes ne pourront pas trouver des emplois adéquats, ils représenteront une source d’instabilité pour la société. Les jeunes vont, soit s`orienter dans le banditisme et la criminalité, soit, ils seront recrutés dans les groupes armés, ou alors, ils vont tenter l’expérience d’immigration en Europe, avec tous les risques que cela comporte. Actuellement, beaucoup de jeunes, à défaut de trouver des emplois décents, rejoignent la milice affiliée au parti au pouvoir. Ils terrorisent, tuent, volent les populations et violent les jeunes filles.

Les jeunes, aussi bien, les garçons que les filles, peuvent jouer n grand rôle dans la construction d’une Nation unie et prospère, en tant que :

  • Acteurs de changement socio-économique. Pour cela, ils doivent être dotés de connaissances nécessaires, d’une éducation de qualité et d’un apprentissage continu, du développement de la petite enfance à la formation d’adulte, y compris l’éducation aux connaissances à la formation et l’éducation pour la paix, les droits de l’homme, le respect de la diversité, et la justice sociale. Dotés de connaissances, les jeunes constitueront des moteurs importants du changement, dans l’élaboration, la mise en œuvre et le suivi des politiques et programmes de développement, pourvu qu’ils soient intégrés dans les processus de prise de décision des politiques de développement socio-économique.
  • Acteurs essentiels dans la Prévention et la Résolution des Conflits. Les jeunes, s’ils sont bien instruits, organisés et constructifs, peuvent contribuer à la transformation qualitative de la société, en particulier, en favorisant la création d’une communauté harmonieuse et la prévention et la résolution des conflits.
  • Le Gouvernement devra élaborer des stratégies visant notamment à : créer une culture de la participation citoyenne à l’école ; développer une démocratie locale et directe en faveur des jeunes ; améliorer l’engagement des politiciens en faveur des jeunes ; ainsi que renforcer l’autonomisation des jeunes, en s’assurant qu’ils sont impliqués dans les étapes de formulation des programmes et que leur voix soit entendue.
Andre Nikwigize

En conclusion, il est temps que le Gouvernement prenne conscience de la grave situation politico-économique dans laquelle le Burundi se trouve actuellement. Il est difficile de comprendre qu’au moment où les trois quarts de la population vivent dans l’extrême pauvreté, qu’un demi-million de citoyens vivent réfugiés dans les pays voisins, dans des conditions déplorables, que les violations des droits humains se poursuivent sans qu’aucune action ne soit prise, que le peu de ressources financières soit mal dilapidé ou détourné, le pouvoir en place continue à affirmer que les Burundais vivent en paix et qu’il y a une Vision qui les tirera de la pauvreté. Les doubles langages, les langages contradictoires, et, souvent, conflictuels, des leaders du pays, déroutent la population, et dénotent d’un manque de vision politique pour le pays. Le peuple écoute, observe, et, malgré qu’il connaisse la vérité, ne peut réagir. Il se tait, en attendant des jours meilleurs. Je souhaite que les leaders burundais lisent et appliquent ces 5 conseils, pour une prospérité partagée des hommes et des femmes de ce Burundi qui souffre.

 

*Les articles de la rubrique opinion n’engagent pas la rédaction

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