Par Amilcar Ryumeko
« Il s’agit d’un “calme” qui repose sur la terreur, comme le démontre la persistance des crimes contre l’humanité et des violations graves des droits de l’homme que nous avons documentés »
Françoise Hampson, membre de la Commission d’enquête de l’ONU sur le Burundi
Le 4 septembre dernier, la Commission d’enquête des Nations Unies sur le Burundi a rendu public son rapport dans lequel elle décrit « comment de graves violations des droits de l’homme contre des citoyens burundais sont commises par des Imbonerakures (ligue des jeunes du CNDD-FDD, parti au pouvoir), des agents du Service national de renseignement et de la police ainsi que des autorités locales ». La commission précise que ces derniers « ont commis des meurtres, des disparitions, des arrestations et détentions arbitraires, des actes de torture et des mauvais traitements, ainsi que des viols contre des membres de l’opposition politique, réels ou présumés ».
Dans le même rapport, « la Commission a procédé à une analyse des développements les plus significatifs depuis le début de la crise de 2015 afin d’identifier les indicateurs de facteurs de risque actuellement présents au Burundi, en se référant au cadre d’analyse des atrocités criminelles. C’est ainsi qu’elle a pu identifier la présence au Burundi des 8 facteurs de risque communs à tous les crimes.
Le Cadre d’analyse des atrocités criminelles
Ce cadre expose l’évaluation du risque des atrocités criminelles selon une perspective d’alerte rapide. C’est un outil de prévention établi par le Bureau du Conseiller spécial pour la prévention du génocide et celui sur la responsabilité de protéger. Le Cadre édicte deux grilles d’analyse pour évaluer le risque d’atrocités criminelles : la liste de 14 facteurs de risque d’atrocités criminelles ainsi que les indicateurs correspondants à chacun des facteurs de risque. Les 8 premiers des 14 facteurs de risque sont communs à tous les crimes. Les 6 autres facteurs de risque correspondent à des facteurs de risque spécifiques aux différents crimes internationaux : le génocide, les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre.
Par ailleurs, selon ledit cadre, “la prévention est un processus constant qui nécessite des mesures soutenues, le but étant de donner à la société les moyens de résister aux atrocités criminelles, en veillant au respect de l’état de droit et à la protection de tous les droits humains, sans discrimination; en mettant en place des institutions nationales légitimes et responsables; en éliminant la corruption; en gérant la diversité de manière constructive; et en appuyant une société civile forte et diverse et des médias pluralistes”. Ainsi, “l’incapacité d’un État à fournir cette protection et ces garanties à sa population peut créer un climat propice aux atrocités criminelles; et en pareilles circonstances, prévenir, c’est tout faire pour mettre fin au cours probable des événements”.
La Responsabilité de protéger
C’est dans le rapport de la Commission internationale de l’intervention et de la souveraineté (ICISS) que le concept “responsabilité de protéger (R2P)” apparaît. “Quand une population souffre gravement des conséquences d’une guerre civile, d’une insurrection, de la répression exercée par l’État ou de l’échec de ses politiques, et lorsque l’État en question n’est pas disposé ou apte à mettre un terme à ces souffrances ou à les éviter, la responsabilité internationale de protéger prend le pas sur le principe de la non intervention”, conclut le même rapport.
Par ailleurs, selon le Bureau du Conseiller spécial pour prévention du Génocide, “si un État n’assure manifestement pas la protection de ses populations, la communauté internationale doit être prête à mener une action collective destinée à protéger ces populations”.
Le principe de la responsabilité de protéger a été adopté officiellement en 2006 par le Conseil de Sécurité dans sa résolution 1674 sur la protection des civils en période de conflit armé. À tire d’exemple, la R2P a été évoquée par le Conseil de sécurité dans sa résolution 1706 autorisant le déploiement de forces de maintien de la paix des Nations Unies au Darfour (Soudan).
L’action de l’UA et l’ONU pour prévenir les atrocités criminelles au Burundi
L’action de l’Union africaine (UA) et de l’Organisation des Nations unies (ONU) au Burundi remet en doute la ferme volonté politique de ces deux organisations à résoudre la crise politique que traverse le Burundi et prévenir la dégradation de la situation en y réprimant les crimes relevant du droit pénal international tels que les crimes contre l’humanité en cours au Burundi.
Concernant l’UA, au mois de décembre 2015, “(…) ayant à l’esprit les dispositions pertinentes du Protocole relatif à la création du Conseil de paix et de sécurité (CPS) de l’UA, en particulier celles portant sur la nécessité d’une réaction rapide pour maîtriser les situations de crise avant qu’elles ne se transforment en conflits ouverts (article 4-b)”, le CPS a tenté un déploiement d’une Mission africaine de prévention et de protection au Burundi (MAPROBU), en vain.
Concernant l’ONU, en 2016, à travers la résolution 2303, le Conseil de sécurité a autorisé le déploiement de 228 policiers et 200 observateurs au Burundi avec un mandat d’une année. Cependant, sous le principe de souveraineté, le gouvernement du Burundi a rejeté l’envoi d’une force quelconque sur son territoire.
Malheureusement, pour le cas du Burundi, malgré le risque élevé de crimes internationaux, il est regrettable que l’UA et l’ONU n’aient pris aucune mesure concrète et structurante, telle que la R2P, pour prévenir la dégradation du conflit et alléger la souffrance du peuple burundais.
Aujourd’hui, la communauté internationale est non seulement en train d’échouer à prévenir un autre conflit, mais, par son inaction, elle aggrave encore la situation. Et l’histoire semble se répéter. Il y a plus de 20 ans, le président américain Bill Clinton a déclaré dans son discours d’excuses au peuple rwandais : “We owe to those who died and to those who survived who loved them, our every effort to increase our vigilance and strengthen our stand against those who would commit such atrocities in the future here or elsewhere.” Cependant, pour le cas du Burundi, cette déclaration ne s’est pas encore illustrée dans le concret.
À y voir de près, force est de constater que, comme l’a indiqué Samantha Power, ancienne Ambassadrice américaine à l’ONU, dans son ouvrage sur la réaction des États-Unis aux génocides du XXe siècle, A Problem From Hell, les intérêts nationaux prévalent plus en politique étrangère. Malheureusement, cette analyse s’applique encore aujourd’hui à la réaction de la communauté internationale à la crise au Burundi : simple realpolitik.
En conclusion, si l’UA et l’ONU veulent éviter l’effritement de leur crédibilité aux yeux de l’opinion publique internationale, en particulier les cinq membres permanents détenteurs du droit de veto au Conseil de Sécurité, ils doivent arriver à mettre en œuvre des solutions, notamment la R2P pour prévenir les crimes internationaux au sens du Statut de Rome. Il appartient à l’UA et l’ONU, en particulier au Conseil de Sécurité, de décider si oui ou non elle restera les yeux fermés face à ce qui se passe au Burundi en ce qui a trait aux violations systématiques des droits de la personne par le gouvernement du Burundi ; mais aussi de décider de quoi sera l’avenir en ce qui a trait au respect de ces droits, surtout en ce qui a trait à la protection des vies humaines en danger à travers la Responsabilité de protéger.
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