Dimanche 22 décembre 2024

Politique

Omerta sur un désastre

01/07/2024 9
Omerta sur un désastre
Evariste Ndayishimiye : « Il y a une personnalité derrière la pénurie du carburant, …mais je lui ai pardonné. »

Le message du président Ndayishimiye à Nyabihanga a suscité des interrogations. Alors que le pays traverse une énième pénurie de carburants, le chef de l’État indique qu’il y a une « haute personnalité » derrière cette crise. Selon lui, cette situation est la conséquence des « saboteurs » et non du manque de devises. Pourtant, ils restent inamovibles d’après le président. N’est-ce pas une sorte d’impunité camouflée ? Plusieurs observateurs dénoncent une incohérence du discours au plus haut sommet de l’État. Analyse.

Par Pascal Ntakirutimana

« Le Burundi connaît aujourd’hui le troisième épisode de manque de carburant de son histoire », analyse Simon Kururu, un vétéran de la presse burundaise. Le président Evariste Ndashimiye n’est pas loin de cette « réalité ».

Lors de son discours sur l’état de la nation du 19 juin 2024, en marge de son quadriennat à la présidence, il réaffirme qu’« il y a des lamentations des Burundais ici et là dans le pays. » Il précise que ces dernières « portent essentiellement sur la carence des produits importés », parmi lesquels figurent bien sûr les carburants.

Le fait que le chef de l’État avoue publiquement qu’il y a un malaise dans le pays est « une étape cruciale », selon un activiste de la société civile burundaise. Mais comment le président présente-t-il et explique-t-il cette situation ? Qui est derrière cette pénurie ? L’aveu est tombé à pic.

Une puissance publique en berne ?

S’il y a quelque chose qui a défrayé la chronique et suscité un tollé dans l’opinion ces derniers jours, c’est véritablement le message du chef de l’État à Nyabihanga, dans la province de Mwaro, lors de la « croisade d’action de grâce » organisée par le couple présidentiel à l’occasion du 4e anniversaire de l’investiture du président.

Dans son message, le chef de l’État a révélé une haute autorité derrière la pénurie de carburants. « Il y a une personnalité qui a ameuté tout le monde en faisant courir le bruit qu’il y a un coup d’État en préparation et qu’il ne faut surtout pas faire la livraison de carburant au Burundi. Imaginez-vous, celui-ci est allé jusqu’à bloquer les documents requis pour le bateau contenant le carburant à destination du Burundi. Cette autorité a même consigné qu’une fois la livraison de carburant faite, le Burundi ne sera pas en mesure d’opérer la contrepartie. […] Mais je lui ai pardonné », a déclaré le président Ndayishimiye.

Il va sans dire, a-t-il ajouté, que d’autres personnalités ou fonctionnaires de l’État mettent le bâton dans les roues. « Il y a d’autres personnalités qui se sont liguées pour clamer haut et fort que je ne suis pas l’homme qu’il faut à leurs yeux. Elles se sont juré de me laisser faire cavalier seul. Il y a même ceux qui se laissent corrompre et commettent des écarts pour que je les jette au rebut afin de rester seul maître à bord. »

Il a avisé ces « détracteurs » : « Je tiens à vous avertir que quoi que vous fassiez, notre destin restera lié jusqu’à la concrétisation de la vision 2040-2060. Que vous ayez un sursaut de changement ou non, je n’ai nulle part où vous placer, car même vos successeurs feront pareil. Combien de changements ai-je déjà opérés ? »

Ces propos ont offusqué. L’aveu du président intervient au moment où tous les indicateurs socio-économiques sont presque au rouge. La république est presque paralysée et tous les services sont au ralenti ou presque à l’arrêt suite justement à cette pénurie chronique de carburants et ses corollaires.

Le tollé qu’a suscité la sortie du président est donc assez compréhensible. Le président s’érige d’abord en « élu de Dieu » – assertion relayée par le compte Twitter de Ntare-House. Ceci confirme une tendance lourde du pouvoir : face à la crise multiforme que connaît le pays, le chef de l’État a tendance à contenir le mea culpa de son pouvoir sous les draps des pratiques et logiques religieuses. La parole présidentielle s’en trouve ici abîmée, dévalorisée.

En fait, la puissance publique tire sa légitimité de son aptitude à aligner son discours sur son action pour atteindre son objectif.
Pour ce faire, la sanction d’une faute d’un « serviteur de l’État » a pour vocation de prévenir sa récidive. Son impunité, en revanche, l’encourage, la nourrit.

Un politologue rappelle d’ailleurs que « c’est la sanction qui corrige la société. Sinon l’impunité s’étale progressivement et la société devient ingouvernable. » Un économiste politique est inquiet. Il parle d’une « omerta sur un désastre ». « C’est une véritable bouc-émissarisation pour dissimuler le nœud du problème. » Avant de s’interroger : « Qui est cette autorité qui paralyse le pays et qui bénéficie ipso facto du pardon sans pour autant être traduite en justice ? Pourquoi ne l’a-t-il pas citée nommément alors que lui-même ne cesse d’exhorter les Burundais à dénoncer publiquement les détracteurs de l’État ? »

Peut-être que le président a ses raisons de privilégier le pardon pour certains au détriment de la sanction. Il reste à nous convaincre si le « pardon » précède désormais la sanction ou vice versa dans la République du « lait et du miel ».

Tenez bien, le pardon n’est pas en soi mauvais. Mais même pour les croyants en l’histoire biblique, ils savent que Jésus, à qui nous devons ce pardon, a chassé du temple de Jérusalem ceux qui voulaient le transformer en marché.

Finalement, comme dit l’adage : « Les loups ne se dévorent pas entre eux » au Burundi, sauf à quelques exceptions près.

Dissonance dans le discours

« Ce n’est pas à cause du manque d’argent qu’il y a pénurie de carburants. Ce sont plutôt les manigances diaboliques des possédés qui sont à l’origine de cette situation », a laissé entendre le président Ndayishimiye. De quel argent parle le chef de l’État ? Probablement des devises, puisque le carburant ne s’achète pas en monnaie locale. La déclaration du chef de l’État rassure, mais suscite également des inquiétudes.

Par exemple, devant les sénateurs le 20 décembre 2023, Chantal Nijimbere, ministre burundaise du Commerce, a avoué que la pénurie de carburants est due à la carence de devises.
« Il n’y a pas assez de devises. Sinon, on pourrait même constituer des stocks stratégiques pour plusieurs mois, voire une année. »

Dernièrement, le 19 juin, au Sénat pour répondre aux questions des sénateurs, Ibrahim Uwizeye, ministre de l’Hydraulique, de l’Énergie et des Mines, malgré son pessimisme sur la crise du carburant (« le Burundi n’a jamais connu une crise complète du carburant »), a tranché. Il a fait appel aux opérateurs économiques d’augmenter la production afin de pouvoir exporter et rapatrier des devises, ce qui permettra d’avancer vers l’autosuffisance. Cela signifie qu’il constate aussi que la carence de devises reste un défi à surmonter pour avoir du carburant.

Le Premier ministre a d’ailleurs déjà emboîté le pas. Il a indiqué que c’est la carence de devises qui paralyse ce secteur, tout en proposant d’accroître la production à exporter. C’était devant les parlementaires lors de la séance plénière du 24 avril dernier.

Normalement, les élus attendent de leurs représentants un discours cohérent visant surtout à trouver des solutions aux problèmes sociétaux. Mais à écouter la déclaration du chef de l’État à Nyabihanga et celui de ses collaborateurs, on sent une altérité : le principe du déni qui s’oppose au principe de réalité qu’incarnent ses collaborateurs. Du moins, si l’on tient compte de la situation sur le terrain. Or, le déni de l’évidence par certaines autorités risque de conduire à la montée d’« associés-rivaux » et à la déliquescence de l’État.

« Une situation indigeste »

Triste…

Tous les chefs de partis approchés pour recueillir leurs réactions sur le message de Nyabihanga constatent que ces « révélations sont inquiétantes pour le pays ».

« C’est inconcevable qu’il y ait une haute autorité responsable de la pénurie de carburants et qu’elle soit connue du chef de l’État, alors qu’il la pardonne et la garde dans ses fonctions. C’est une situation qui devient indigeste », lâche Aloys Baricako, président du parti Ranac.

Cependant, ce politique reste optimiste. « Admettons qu’il y ait des devises à la BRB, mais pourquoi cette persistance de la pénurie de carburants ? Ne pourrait-on pas privilégier son importation ? » Et d’implorer : « Il faut que le président prenne le taureau par les cornes et fasse appliquer la loi. Sinon, le Burundi deviendra le royaume des gangsters et risque d’assister à un bicéphalisme au plus haut sommet de l’État. »

De bicéphale, à deux têtes, venant du latin, le bicéphalisme désigne un mode d’organisation basé sur une double structure du pouvoir. Or, la constitution burundaise du 7 juin 2018 ne reconnaît pas ce mode d’organisation du pouvoir. Par ailleurs, ce mode d’organisation du pouvoir – peu importe la société – ne donne pas assez de chance au chef de l’exécutif pour prendre de grandes décisions pouvant sauver la république.

« Une faiblesse de l’autorité », glisse Kefa Nibizi, le président du parti Codebu. Dans les déclarations du chef de l’État, poursuit-il, il apparaît que l’autorité en question prenait comme prétexte un renversement des institutions en cours. « Cela montre que nous avons des institutions qui vivent dans une peur endémique d’instabilité, où certaines autorités se dressent contre d’autres. Cela perturbe le fonctionnement normal des institutions et la population en est victime. »

Selon M. Nibizi, le fait que le chef de l’État et ses ministres n’ont pas la même lecture de l’origine de la pénurie de carburants montre qu’ils ne peuvent pas trouver une solution cohérente à ce problème. C’est ainsi que Gabriel Banzawitonde, président du parti APDR, demande au président de dépasser l’émotion sentimentale et de passer aux sanctions contre les auteurs de crimes économiques et de la pénurie de carburants, sachant qu’il a affirmé les connaître lui-même.

Une chose est sûre : qu’il y ait une personnalité bloquant le carburant ou des gens sabotant, les Burundais ont besoin d’un souffle. Et il est possible de l’obtenir. Le Burundi a des hommes et femmes capables d’apporter une nouvelle donne. Il suffit de les écouter, de privilégier le mérite et la compétence dans le recrutement des fonctionnaires, et de faire de la loi une priorité. Car, « nul n’est censé ignorer la loi. »

Forum des lecteurs d'Iwacu

9 réactions
  1. Rwasha

    Mugutinya mutinye ce président akoranya aba ddd i Nyabihanga ngo baze kwumva amashahuri. Mugutinya mutinye uwo muhungu kukwo ari nganji yamasinzo
    ahagarara mwiteka rya Nyabihanga asuk’abarundi mwisase nkenguruka izuba rivuye kimonge, avugukomenga siwe ari ngaji. None atariwe uwo nganji ninde ? Mugutinya mutinyahubwo uwo muhungu.

  2. Stan Siyomana

    1. Vous ecrivez:« Cette autorité a même consigné qu’une fois la livraison de carburant faite, le Burundi ne sera pas en mesure d’opérer la contrepartie. […] Mais je lui ai pardonné », a déclaré le président Ndayishimiye… »
    2. Mon commentaire
    a. S’il arrivait que Son Excellence Monsieur le President ait une « petite querelle » avec son voisin quelque part ou il a ses champs et qu’il pardonnait son voisin, il aurait montre un bon exemple de vivre en harmonie sociale.
    b. Mais s’il y avait des signes que quelqu’un A TRAHI LE BURUNDI, il devrait etre traduit en justice et s’il est condamne, ALORS LE PRESIDENT POURRAIT LUI PARDONNER et il y aurait un document expliquant les raisons de ce pardon (peut-etre la personne a un age avance, ou il souffre d’une grave maladie incurable….
    Quand le president a pardonne des milliers de prisonniers, il y a eu des articles de la loi qui ont ete invoques.
    c. Il devrait y avoir une distinction entre ce que le citoyen Evariste Ndayishimiye fait et ce que le President Evariste Ndayishimiye fait en tant que chef d’Etat.

    • Riraniga

      Notre président fait des amalgames ahurissants.
      On pardonne celui qui est légalement jugé.
      S il pardonne avant la justice.
      Il se substitue à la Justice.
      Notre président le dit pompeusement.
      Réalise t il l’incongruité

      • Stan Siyomana

        @Riraniga
        Monsieur le president dit lui-meme qu’il a etudie le droit et puis il a quand meme des conseillers en matieres juridiques, economiques, sociales….

        • Barekebavuge

          Si il a étudié le droit il l’applique mal.
          Pour l’amour du ciel,de quel droit se substitue t il à la Justice?
          Sous d’autres cieux, intérférer avec la justice est très très très grave.

  3. voltaire Kaziri

    Lors du débat televisé entre Biden et Trump; Le New York Times a sorti un editorial jugeant la prestation de Biden de catastrophique.
    J ose faire le parallele suivant.

    Lorsque nous avons entendu de nos propres oreilles les paroles de notre cher president Neva, nous nous sommes demandé: Realise t il la portée de ses paroles? Pantois, nos oreilles ont sifflé. Elles bourdonnent toujours.

    « Ce n’est pas à cause du manque d’argent qu’il y a pénurie de carburants. Ce sont plutôt les manigances diaboliques des possédés qui sont à l’origine de cette situation », a laissé entendre le président Ndayishimiye. De quel argent parle le chef de l’État ? Probablement des devises, puisque le carburant ne…. »

    Encore et encore cette lancinante question, Pourquoi une telle bombe?
    Pourquoi et encore pourquoi ;ll a justice a les mains liees?
    Abivungiye iki? La retenue, un minimum de respect au peuple meurtri.
    Ko badashobora guhanwa. Faisons semblant que nous ne les connaissons pas

  4. Merthus Bubi

    Mr le président a tout dit lorsqu’il soutient qu’ilcconnaît les saboteurs.
    Mais qu’il ne veut pas les chasser: c’est à dire appliquer la loi.
    Le cercle qui a détruit notre chère pstrie s’appele pompeusement: Ibihangange (Un petit cercle comme dans les mafia).
    Nous pouvons les citer içi.

  5. Kabingo dora

    Lorsque Bunyoni a été interrogé par les juges sur la détention chez lui d’une grosse quantité de billets de banque il a réagi de la manière la plus simple et la plus cruelle possible qui ne laisse aucun doute sur l’implication de tous les poids lourds du pouvoir dans la crise multiforme que vit le pays . Il a dit : Nimusake mu ba généraux hose murabe yuko badatunze amahera mu nzu!” . A lui seul Bunyoni a dit ce que les services de renseignements burundais ne veulent pas dire !
    Les loups ne se mangent pas entre eux . Kandi iyo inyana yishwe n’amata ntakindi kiyivura ( on ne peut pas demander au destructeur d’un système de reconstruire un nouveau système sans défaut , il fera ce qu’il sait faire le mieux : la destruction.

  6. Rubirizi

    Ces paroles sont tout simplement hallucinantes.
    Du plus grand génie au dernier ….., tout le monde sait que l’origine de la pénurie de carburants.
    Les amalgames cintenues dans les assertions de Nyabihanga sont inouies.
    Les propos de Nyabihanga sont des amalgames indéfendables.

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