Dar es Salaam n’a jamais aussi bien mérité son nom. Le port de la paix. C’est le sens des mots arabes qui composent le nom de la capitale de la Tanzanie. La patrie de Julius Nyerere vient d’administrer au Burundi une magistrale leçon de fonctionnement équilibré et apaisé des institutions dans un régime démocratique. Il est heureux que cette leçon soit donnée par un pays avec lequel le Burundi a noué son sort au sein de la Communauté est-africaine.
<doc2881|left>Dans la terminologie des sciences politiques, les Anglo-saxons utilisent une expression, « checks and balances», qui signifie que dans un régime démocratique, les pouvoirs des institutions sont contrôlés et limités par les pouvoirs d’autres institutions. Ainsi, l’exécutif(le gouvernement), n’empiète pas sur le judiciaire. Le législatif(le parlement), exerce un contrôle réel sur l’action gouvernementale. Enfin le gouvernement impulse la politique nationale mais accepte de rendre compte aux citoyens. Un fonctionnement équilibré des institutions démocratiques constitue un facteur fondamental de paix dans un pays. A l’inverse, l’arbitraire, l’impunité, la non-redevabilité génèrent le chaos, l’insécurité et la pauvreté.
Objectivement, l’arrestation d’Alexis Sinduhije à Dar es Salaam ouvre une nouvelle séquence politique au Burundi. L’effervescence électorale de 2010, la mise en place des institutions troublée par la contestation des résultats des communales et enfin le dialogue des sourds entre protagonistes du conflit post-électoral constituent le triptyque qui a dominé l’agenda politique du pays ces derniers mois.
Leçons apprises
La première leçon qui se dégage de l’affaire Alexis Sinduhije est la preuve que la justice peut être impartiale et rapide et que le fonctionnement normal des institutions démocratiques est possible dans un pays africain. En outre, la police peut être obligée de rendre des comptes à la justice quand l’impunité ne constitue pas une barrière pour empêcher les juges de mener leurs investigations.
La deuxième leçon porte sur l’engagement solennel d’Alexis Sinduhije, par la voix de ses avocats. L’homme politique récuse l’utilisation de la violence pour accéder ou se maintenir au pouvoir. Cet engagement est très important et devrait encourager tous les partis de l’opposition et de la coalition au pouvoir à refuser, solennellement et définitivement, l’utilisation de la violence comme outil de gouvernement au Burundi.
En effet, si, à Dieu ne plaise, une rébellion à « la France 24 »i gagnait la prochaine guerre civile et prenait le pouvoir par les armes en destituant le pouvoir légitime issu des élections de 2010, quelle garantie donnerait-elle au Burundais qu’une autre rébellion ne naîtra pas le lendemain de sa victoire ? La rébellion, les coups d’Etat et la guerre civile comme mode d’accès au pouvoir constituent une méthode archaïque et absurde comme chacun peut le comprendre. Car le Burundi serait condamné à utiliser, pour toujours, la violence institutionnelle et la guerre pour subir les alternances politiques.
La troisième leçon, qui se dégage de l’arrestation et de la libération d’Alexis Sinduhije concerne le sort du dialogue et de la négociation entre les protagonistes du conflit post-électoral burundais. L’affaire politico-judiciaire, rocambolesque et invraisemblable à souhait, sonne le glas de l’option, tant espérée par les citoyens, qui aurait convaincu le gouvernement et l’opposition de rechercher des solutions pacifiques au conflit actuel. L’affaire Alexis Sinduhije torpille et ruine toutes les chances d’un retour volontaire des chefs de partis politiques en exil à la suite du contentieux électoral de 2010. Pour le gouvernement, il sera très difficile, désormais, de prouver qu’il était de bonne foi quand il demandait à ces exilés de rentrer de leur plein gré afin de participer à la résolution du conflit post-électoral et de prendre place dans le développement du Burundi. L’opposition aura raison de douter de la sincérité du gouvernement.
Pourtant, il aurait été possible, comme le suggèrent certains observateurs de provoquer des élections anticipées afin de ramener les partis de l’opposition dans le bercail des institutions de la République. Il aurait été envisageable, en effet, au terme d’un dialogue et d’une négociation politique sincères, de raccourcir le mandat des conseillers communaux et celui des sénateurs afin de permettre aux partis de l’opposition de gagner quelques postes de conseillers communaux et de sénateurs avant l’échéance capitale des élections présidentielles et législatives de 2015.
En outre, si la volonté politique pour sortir du conflit post-électoral existait réellement, il aurait été possible que le gouvernement donne des gages de sa bonne foi et de sa sincérité aux partis de l’opposition en libérant tous les prisonniers politiques, membres des partis de l’opposition. Les chefs des partis politiques en exil, rassurés pour leur sécurité physique, seraient alors rentrés avec enthousiasme. De l’autre côté, le gouvernement issu des élections de 2010, conforté par la reconnaissance formelle de sa légitimité démocratique par l’opposition aurait convaincu l’opposition qu’il est vraiment préoccupé par la sécurité de tous les citoyens et qu’il lutte contre l’impunité des crimes.
Primaires à l’américaine
Enfin, la dernière et quatrième leçon de l’affaire Alexis Sinduhije, pourrait se décliner en une série de questions à l’adresse de l’opposition. Et maintenant, que faire ? Comment tourner la page ? Faut-il renoncer à réclamer le dialogue et la négociation qui, à l’évidence, ne viendront jamais. Comment s’organiser pour revenir dans le jeu normal des institutions ? Faut-il, d’ores et déjà, se préparer pour entrer dans l’agenda électoral de 2015 ? Après un processus semblable aux primaires américaines, l’opposition pourrait-elle sélectionner un candidat unique qui portera ses couleurs lors des prochaines élections présidentielles burundaises en 2015 ?
S’engager, dispersés, dans le processus électoral que certains partis politiques de l’opposition, d’ailleurs imprudents, ne veulent même pas envisager pour 2015, serait fatal. En effet cette stratégie politique déboucherait sur la « tshisékédisation »ii de l’opposition burundaise. Une méthode politique typiquement africaine et particulièrement efficace pour renoncer à provoquer, par la victoire électorale, une alternance démocratique apaisée !
Paix à la classe politique burundaise en 2012.
As salaam alekoum !