Après bientôt 2 mois que l’Office burundais des recettes (OBR) a invité les contribuables à adapter leurs systèmes de facturation électronique pour permettre le transfert des données vers son serveur, ces derniers expriment toujours leurs incompréhensions. Un avocat d’affaires joint par Iwacu estime qu’une préparation est nécessaire.
« Quand tu vas faire une déclaration à l’Office burundais des recettes, on te présente un communiqué qui exige une facturation électronique et pas d’autres explications », lance J.H., un chef de service commercial d’une entreprise œuvrant en zone Rohero apparemment en colère. Il regrette que l’OBR veuille un rapport instantané alors que normalement, l’entreprise décide les factures à déclarer ou pas à la fin de chaque mois.
« Il y a des factures qui ne peuvent pas être déclarées avant qu’elles ne soient payées, ça dépend des relations entre vous et le client », explique notre source sous couvert d’anonymat. A titre d’exemple, il révèle que la facture d’un client avec qui vous vous êtes chamaillés ne peut pas être déclarée sans que le concerné paie la facture. Il craint que l’OBR se contente des calculs des impôts alors qu’au niveau interne des entreprises ont des problèmes.
En business, avertit notre source, une entreprise est obligée quelquefois d’être souple en patientant pour le recouvrement. Ce mardi 15 mars 2022, il faisait savoir qu’il était en train de réclamer une dette à une des banques de Bujumbura. Une dette qui date de l’année dernière. « Est-ce que pour ce cas, je dois m’endetter à mon tour pour payer la TVA ? », se demande ce chef de service commercial. En durcissant les procédures de facturation, observe-t-il, les entreprises risquent d’être tentées par la fraude par des payements cash sans facture ou par la création des nouvelles entreprises non assujetties à la TVA.
« Et où est cette machine de facturation, ici, on n’en a pas et nous avons quelqu’un pour nous expliquer ? », s’interroge J.H. Il regrette par ailleurs que le numéro de téléphone donné par l’OBR afin de s’adresser auprès de la communication technique chargée de la mise en place du système de gestion de la facturation électronique ne passe pas. « Allez téléphoner, vous ferez le constat vous-même » Et de se demander si son entreprise sera obligée d’acheter une machines de l’OBR alors qu’elle a aussi ses propres besoins urgents. « Ici, nous avons déjà un manque d’ordinateurs, où est ce que nous allons trouver de l’argent pour se procurer une machine de facturation ? »
Des contribuables peu informés
D.N., patron d’une agence de communication, pense que la facturation électronique telle qu’exigé par l’OBR est difficilement réalisable au Burundi : « Déjà, nous sommes très en arrière par rapport à la connexion internet. Comment le nouveau système pourra fonctionner ?» D.N. affirme qu’il connaît des entreprises qui travaillent, mais qui n’utilisent pas d’internet : « Des entreprises dont le personnel n’a pas de compte Gmail. » Il trouve que quand bien même le système serait installé, les coupures des connexions seront un véritable handicap. Il demande à l’OBR de prévoir des séances d’explication du nouveau système de facturation et surtout de rendre disponible des techniciens qui éclairent les contribuables. Ce contribuable estime par ailleurs que l’OBR devrait collaborer avec des maisons qui ont des expertises en informatique qui aideraient dans la maintenance du programme en cas de panne.
Un marchand du marché Bujumbura City Market indique que l’OBR ne lui pas encore communiqué l’exigence d’un nouveau système de facturation. « Peut-être cela concerne-t-il les grands contribuables », s’imagine notre source. Idem pour un marchand de pièces de rechange des voitures à Buyenzi en commune Mukaza et un détenteur d’une bijouterie en zone Bwiza de la même commune. Les trois attendent que l’OBR aille leur expliquer cette nouvelle forme de facturation.
Bien que ces contribuables se disent mal informés, l’Office Burundais des Recettes (OBR), dans un communiqué du 20 janvier 2022, invite les contribuables disposant de leurs propres systèmes de facturation électronique à procéder aux adaptations nécessaires de leurs systèmes pour permettre le transfert des données, en temps réel, vers le serveur de l’OBR. Le contribuable qui gardera son système non adapté, précise le communiqué, sera considéré comme effectuant la facturation manuelle et partant, sera tenu, au moment opportun, d’acquérir une nouvelle facturation électronique.
« Une bonne nouvelle pour les professionnels comptables »
Jean Léonard Bigirimana, secrétaire exécutif de l’Ordre des professionnels comptables (OPC) du Burundi, dit être au courant du projet de digitalisation des factures au niveau de l’OBR : « Nous attendons la mise en application de cette technologie, on n’était pas habitué aux factures numériques.» Interrogé sur la nécessité ou la non-nécessité du nouveau système de facturation qui est exigé par l’OBR aux contribuables, M.Bigirimana juge que la facturation électronique envisagée par l’OBR est une bonne nouvelle pour les professionnels comptables des entreprises : « Elle va faciliter leurs activités car elle donne des informations de comptabilité et de fiscalité et surtout dans la gestion commerciale. » Il soutient que le nouveau système de facturation facilitera la tâche d’assurer le contrôle, la qualité et la transparence. Pour lui, la numérisation répond aux standards et aux lois nationales et internationales.
Contrairement aux contribuables interrogés qui affichent une inquiétude, Jean Léonard Bigirimana est optimiste : « Je pense que l’OBR ne sera pas là pour changer des lois. C’est uniquement le système de facturation qui sera changé. La digitalisation ne va pas changer les lois qui régissent les impôts et les taxes.»
Néanmoins, ce professionnel comptable estime qu’il faut que l’OBR vulgarise ce processus et fasse beaucoup de campagnes de sensibilisation : «Il faut beaucoup de formations, car c’est une nouvelle technologie qui n’était pas appliquée au Burundi. » Pour le secrétaire exécutif de l’OPC, il faut sensibiliser tout le monde : les contribuables, les techniciens, les professionnels comptables qui vont utiliser le nouveau système de facturation ainsi que les dirigeants des entreprises. Car, relate-t-il, à chaque fois qu’il y a un changement il y a une modernisation d’activité et d’équipement.
Contacté pour des éclaircissements, le porte-parole a.i de l’OBR a confié à Iwacu que le Commissaire général s’exprimera sur le sujet, lors d’une conférence de presse ultérieure.
« Des avantages, mais une préparation est nécessaire »
« La facture électronique revêt des avantages puisqu’elle simplifie, rationnalise et sécurise le processus de facturation », observe Audry Prévert Ajeneza, avocat d’affaires et collaborateur principal au Cabinet Rubeya.
Pour lui, elle permet la fluidité des échanges, l’amélioration de la qualité, de la fiabilité de l’information comptable, la facilité de consultation et par conséquent un meilleur contrôle interne.
Les bénéfices de la facture électronique, ajoute l’avocat d’affaires, se situent au niveau de l’allègement de la charge administrative et aux gains de productivité résultant de la digitalisation. « Sur le plan fiscal, la réforme contribuera à simplifier les obligations déclaratives surtout en matière de la taxe sur la valeur ajoutée », éclaire notre source.
D’après M.Ajeneza, la transmission réelle des données de facturation à l’Administration fiscale est l’un des postulats de base qui fondent la mise en place de la facturation électronique. Il trouve pourtant que les entreprises doivent identifier l’ampleur des adaptations à prévoir et les difficultés à anticiper. La facture électronique permettant de gommer les tâches chronophages tout en optimisant les opérations comptables et financières, l’avocat d’affaires considère que c’est une étape clé vers la dématérialisation complète du système fiscal. « Les entreprises doivent être anticipatives en mettant en place les outils nécessaires pour la mise en application de la réforme relative à la facture électronique », conseille Audry Prévert Ajeneza.
L’avocat prend le soin de préciser que le socle juridique de cette réforme est postulé dans la Loi nº1/10 du 16 novembre 2020 portant modification de la Loi nº1/12 du 29 juillet 2013 portant révision de la Loi nº1/02 du 17 février 2009 portant institution de la taxe sur la valeur ajoutée. « L’article 47 de cette loi précise que tout contribuable assujetti à la TVA a l’obligation d’utiliser une machine de facturation électronique qui imprime des factures mentionnant la taxe sur la valeur ajoutée. Cette machine doit préalablement être agréée par l’Administration fiscale », rappelle Audry Prévert Ajeneza.