Devant les tribunaux depuis 1984, un conflit foncier entre deux familles de la commune Nyabiraba en province Bujumbura a atteint son summum. Une des familles a dirigé une «attaque» contre une autre avec des machettes. Les habitants de cette localité craignent des affrontements violents entre les «frères ennemis».
Des montagnes à perte de vue. Certaines sont couvertes de bananiers, des eucalyptus et d’autres variétés d’arbres. D’autres collines sont désertes. Des maisons en tôles sont parsemées sur les collines. Sous un soleil de plomb, les tôles scintillent au loin. Les pentes sont abruptes. Les élèves de retour de l’école les dévalent sans problèmes en jouant même du football. Apparemment, ils sont habitués à ce milieu. Pour les étrangers, il faut faire attention.
La colline Raro semble paisible. Mais ce n’est qu’une impression. Chez la famille Jacques Misigaro, ils disent vivre la peur au ventre. Lundi matin, ils ont vécu une scène traumatisante. Agglutinés dans la cour de l’enclos, ils ne savent pas à quel saint se vouer. «Depuis ce jour-là, nous ne dormons plus chez nous», indique un membre de cette famille. «Ils ont dit qu’ils vont revenir pour nous découper», renchérit un autre. «Nous demandons de la protection pour qu’ils ne reviennent pas nous tuer», scandent en chœur les membres de cette famille.
Ce conflit est vieux de 35 ans. Il oppose les descendants de deux frères, Ntizaza et Baragiye. Les premiers affirment que leurs cousins n’ont plus de propriétés en commune Nyabiraba parce que «leur grand-père avait vendu la propriété à Ntizaza avant d’aller s’installer en commune Mutambu». L’autre camp affirme le contraire. «La preuve est que nous avons gagné devant toutes les juridictions depuis 1984».
L’attaque de lundi
«Nous avons vu une cohorte de jeunes gens sur les collines adjacentes de la nôtre. C’était très tôt le matin. Ils avaient tous des machettes. Nos voisins ont accouru pour nous dire que cette attaque était dirigée contre nous. Ils n’en croyaient pas leurs yeux», raconte Angéline Baryambona, épouse de Jacques Misigaro. Cette septuagénaire indique qu’elle est allée, avec ses petits-enfants, se réfugier chez son fils.
D’après les habitants de cette colline, ces assaillants ont commencé à abattre les bananiers se trouvant près de la maison de la famille Misigaro. «Nous observions la scène tétanisés. Ils nous lancent des menaces. Un des assaillants est venu en courant vers nous avec une machette. Nous nous sommes dispersés. Il en a profité pour démolir la porte de notre maison. Il n’a rien volé», témoigne Angéline Baryambona. Cette famille ainsi que des voisins affirment que les «assaillants» ont emporté plusieurs régimes de banane.
Après cette razzia chez la famille Misigaro, ils se sont dirigés vers l’oncle de ce dernier. Son épouse témoigne : «Après l’alerte, nous nous sommes réfugiés sur une autre colline avec mes petits-enfants. Ils ont coupé les bananiers, les cannes à sucre… J’ai pleuré toutes les larmes de mon cœur.» Les voisins font savoir qu’ils ne pouvaient rien pour cette famille. «Nous avions aussi peur. C’était un grand groupe et ils avaient des machettes», explique Jean, la soixantaine.
« Le respect de la loi »
«Cette nuit, nous sommes allés dormir dans la brousse. Nous n’avons pas fermé l’œil. Nos enfants gigotaient de froid. Des chiens errants s’agitaient tout autour de nous. A chaque bruit, on pensait que ce sont les assaillants qui revenaient pour nous achever», raconte Angéline Baryambona.
D’après les membres de la famille Misigaro, ce sont Serges et Bernard, les représentants de la famille Baragiye, qui ont amené ces jeunes afin de dévaster leurs bananiers. Ils accusent l’administration à la base d’être à la solde de l’autre famille. «Ces assaillants étaient accompagnés par Innocent Ndikumasabo, chef de la colline Raro et tous ses adjoints», affirment les habitants. « Le chef de la colline a violé la loi. Il ne pouvait pas autoriser cela alors que la justice n’a pas encore rendu son verdict final», déplore un de ses fils. Selon lui, leur dossier est devant le ministre de la Justice.
La partie qui a «saccagé» les bananiers assume. «Nous avons fait ce qui est de notre droit», avance Bernard, représentant de la famille Baragiye.
Il soutient que les bananiers abattus leur revenaient. Le procès rendu en 2017 leur donnait la prérogative de jouir de tout ce qui se trouve dans les plantations. Si nous avons procédé à l’abattage de ces bananiers, explique-t-il, c’est parce que nous n’en avons plus besoin. «Nous allons y mettre d’autres cultures.» Il fallait préparer le terrain. «Dès lundi prochain, nous allons y retourner pour cultiver».
Bernard raconte qu’ils avaient l’aval de l’administration, de la police et de la justice. Après des échecs successifs de la famille Ntizaza aux différents niveaux des juridictions, soutient-il, la ministre de la Justice avait recommandé la mise en exécution du procès rendu par le Tribunal de résidence de Nyabiraba.
A ce sujet, Innocent Ndikumasabo, le chef de la colline Raro, déplore le saccage. Il s’insurge contre un ‘’comportement déplacé’’. « Je n’ai point supervisé cette opération d’abattage », réplique-t-il. Il souligne être arrivé tardivement sur les lieux. «Quand je suis arrivé, le champ de bananiers était complètement dévasté».
Cet administratif soutient au contraire avoir interrompu cette ‘’opération’’ : «Ils allaient aussi saccager les champs de manioc si je n’étais pas intervenu.» Cet administratif estime que ces ‘’assaillants’’ auraient attendu que les Ntizaza fassent leur récolte. «Après, s’ils ont bel et bien gagné le procès, ils pourront récupérer la terre».
Jean Claude Ntirwahavuye, juge-président du Tribunal de Résidence de Nyabiraba, confirme que c’est lui qui a donné l’ordre : «J’ai écrit à l’administrateur, au commissaire communal, au chef de colline pour m’aider à mettre en exécution une décision judiciaire.» Selon lui, les descendants de Baragiye ont eu gain de cause. «Chaque fois qu’ils vont cultiver sur leurs terres, les autres les en empêchent. Parfois, il y a des affrontements. J’ai mobilisé ces personnes afin que les descendants de Baragiye puissent occuper leurs terres et éviter des affrontements. Toutefois, je ne leur ai pas demandé d’abattre les bananiers.»
Fabrice Manirakiza
Edouard Nkurunziza