Après la destruction de leur permanence à Nyabiraba, neuf militants du Congrès National pour la Liberté (CNL) accusés d’incendie volontaire ont été condamnés à deux ans de prison. Pourtant, les responsables de ce parti accusent les Imbonerakure et l’administration d’être derrière cet incendie. Ces derniers s’en défendent. Des zones d’ombre subsistent.
Dossier réalisé par Fabrice Manirakiza et Rénovat Ndabashinze
Deux ans de prison pour neuf militants du CNL ont été infligés par le Tribunal de Grande Instance de Bujumbura. Le verdict est tombé ce mercredi 19 juin. Il s’agit de Juvénal Bazombanza, Dieudonné Nshimirimana, Charles Misago, Richard Ndayishimiye, David Ndikumana, Paul Nizigama, Berchmans Nsabimana, Augustin Baransegeta et Gilbert Miburo.
A Nyabiraba, les militants du CNL et les habitants de cette commune n’en reviennent pas.
Térence Manirambona, porte-parole du parti CNL trouve inacceptable que des gens soient condamnés sur accusation de ‘’ complicité à l’incendie volontaire’’. « Nous avons besoin de connaître les auteurs ? »
Il rappelle que cette permanence a été brûlée juste après que les policiers aient embarqué les militants qui veillaient sur les lieux M. Manirambona ajoute que ceux qui étaient venus pour l’inauguration de cette permanence et qui ont été contraints de rebrousser chemin sont aujourd’hui convoqués devant la justice. « D’autres sont malmenés, tabassés.» Le porte-parole du parti CNL signale que ce dossier soulève beaucoup d’interrogations.
Dans la nuit de samedi 15 juin, la permanence provinciale du parti CNL est incendiée. Son inauguration était prévue le lendemain. Des questions fusent de partout. D’autant plus qu’il y avait eu trois tentatives de la brûler.
Cette nuit-là, plusieurs Inyankamugayo (militants du CNL) étaient venus veiller sur leur permanence au chef-lieu de la commune Nyabiraba. «Nous étions six natifs de Nyabiraba et neuf venus de Rumonge, Kanyosha et même Bujumbura Mairie», confie un militant du CNL, rencontré sur place.
Dans la matinée, plusieurs militants avaient afflué à Nyabiraba. Ils étaient venus préparer la fête. «Le commissaire communal de police nous a dit qu’il ne voulait pas des gens qui dorment à la permanence. Il nous disait qu’il n’y aurait pas de problèmes, car, d’après lui, les policiers veillent au grain. »
Un peu rassurés et dans le souci de respecter les ordres du commissaire, poursuit ce militant, certains sont retournés dans leurs communes respectives. «Neuf d’entre eux ont manqué les frais de déplacement, ils sont restés à Nyabiraba. Comme ils n’avaient pas où loger, on leur a dit de dormir à l’intérieur de la permanence».
Les six natifs de Nyabiraba restent à l’extérieur. La permanence se trouve sur la route goudronnée RN7.
«Aux environs de 21h30, 4 policiers sont passés devant nous et ils nous ont salués. Quelques minutes après, deux jeunes hommes et deux filles passent. Ils sont entrés dans une maison à côté. A ce moment, nous avons eu des soupçons». Les militants du CNL envoient un des leurs pour voir ce qui se passe. «Ces jeunes l’ont attaqué tout de suite. Il y a eu une altercation qui n’a pas duré beaucoup de temps. C’étaient des Imbonerakure».
Quelques minutes après, le commissaire communal, Dismas Mazuru, arrive avec une escouade de plus de 10 policiers. «Ils nous ont demandé les noms de ceux qui viennent de se chamailler. Nous lui avons montré les personnes que nous soupçonnons, mais il n’a pas réagi». Par contre, assurent les militants du CNL, ils ont commencé à nous fouiller et ils ont aussi saisi nos téléphones. «Le commissaire nous a demandé combien de personnes sont dans la permanence. Nous lui avons répondu qu’il y a les neuf personnes qui n’ont pas pu rentrer chez elles. Il a envoyé les policiers à l’intérieur pour les fouiller». Les policiers n’ont rien trouvé de suspect.
Entourés par des policiers, tous les 15 militants du CNL sont conduits au commissariat. «Le commissaire nous disait que nous allons revenir à la permanence après identification. Même nos sacoches sont restées à l’intérieur». Après identification, ils sont conduits directement dans le cachot du commissariat. «C’est là que nous avons vu le feu qui sortait de notre permanence. Les policiers se sont dirigés vers la RN7 en tirant des coups de feu, mais notre permanence était déjà en feu». Ce que confirment les habitants qui vivent tout près de la permanence incendiée.
Le lendemain à 9 heures, les six natifs de Nyabiraba sont relâchés. Les neuf autres restent au cachot. «Le fait de relâcher les seuls natifs de Nyabiraba, ils ont voulu protéger les vrais coupables en insinuant que l’incendie a été provoqué par des gens venus d’ailleurs alors que c’est faux. La preuve est que l’incendie a commencé alors qu’ils étaient au cachot».
Pour Agathon Rwasa, président du parti CNL, ce qui s’est passé à Nyabiraba n’est pas un accident. « Car, selon les sources dignes de foi, l’administration provinciale et communale avait juré que le parti CNL ne peut pas s’implanter dans cette localité-là. » D’après lui, il aurait fallu l’intervention des autorités au niveau ministériel pour leur rappeler que c’est un parti agréé. « Et de surcroît, il a droit de s’installer où il veut. »
Même après cette injonction, le propriétaire de la maison a subi des menaces. « L’administration communale l’aurait invité, soit à restituer la garantie locative, ou tout simplement de l’utiliser comme bon lui semble, mais de ne pas permettre que l’implantation du CNL ait lieu. »
Par ailleurs, le président du CNL évoque l’existence d’un audio de l’administrateur de Nyabiraba, en train de menacer le propriétaire de cette maison qui devrait abriter la permanence de son parti.
Selon lui, dans cet audio qu’Iwacu a pu écouter, ce dernier a reçu un avertissement clair : sa maison sera détruite si jamais il allait en l’encontre de l’injonction de l’administrateur.
M. Rwasa soupçonne l’administration d’être impliquée dans cet incendie. « Car, au cas contraire, il aurait pris toutes les mesures pour empêcher le pire de se produire. Surtout qu’une première tentative avait été déjouée par l’intervention de quelques policiers courageux. » Et de mentionner d’ailleurs qu’une seconde tentative avait failli se produire. « Mais comme il y avait une alerte générale, cela a raté.»
Les forces de l’ordre sont aussi pointées du doigt. Car, justifie M. Rwasa, le forfait a été commis après l’arrestation des militants qui veillaient à cette permanence. « Nous soupçonnons la complicité des forces de l’ordre opérant dans ce secteur-là. Nul ne peut expliquer comment cet acte peut se commettre juste à quelques dizaines de mètres de la position de la police sans que ces forces de l’ordre aient été maîtrisées par les assaillants. »
Par ailleurs, vu les dégâts, la démolition des mûrs, les tas de bois amenés pour incendier cette maison, le président du CNL est convaincu que cet acte n’a pas été commis dans une fraction de seconde. Et de déplorer que, jusqu’à présent, l’administration n’a donné aucune piste d’enquêtes.
Interrogé, le commissaire provincial, Dismas Mazuru, n’a pas voulu s’exprimer. Ferdinand Simbananiye, administrateur communal, donne une autre version des faits. Avant cet acte, indique-t-il, le percepteur des impôts qui tenait la barrière installée non loin de cette permanence a signalé des inconnus venus sur des motos. « Ils se sont cachés derrière la permanence. Et les policiers y ont fait une fouille.» D’après cet administrateur, 15 jeunes hommes ont été attrapés. « Parmi eux, il y avait des étrangers à notre commune. Sept de la commune Kanyosha, 1 de Muha en Mairie de Bujumbura, 1 de Bugarama en province Rumonge et six natifs de Nyabiraba».
Après cette fouille, M. Simbananiye affirme qu’ils ont été conduits dans un lieu d’interrogatoire. En cours de route, il y a eu, selon lui, une explosion et la permanence a pris feu. Ce qui a poussé les policiers à rebrousser chemin pour aller éteindre. Il signale que même la population a donné un coup de main pour limiter les dégâts.
Pour lui, il y a eu une infiltration dans sa commune. Quid des auteurs de cet acte ? « Qu’on attende les résultats des enquêtes. Les personnes arrêtées sont en train d’être interrogées », rétorque-t-il. Avant de rectifier : « Peut-être que lors de la fouille, il y en a qui se sont cachés derrière la maison et qui ont commis cet acte après le départ de la police. » Selon lui, personne n’avait informé ni l’administration ni la police de la présence des militants du CNL à cette permanence.
Le chef des Imbonerakure en commune Nyabiraba, Benjamin réfute ces accusations. «Lorsque la permanence a pris feu, j’étais à Ijenda. Ce sont des mensonges éhontés. Si non, je serais au courant».
Dans la foulée de cet incendie, l’audio évoqué par M. Rwasa circule sur les réseaux sociaux. D’une voix d’un homme, une mise en garde est envoyée à François, propriétaire de la maison abritant la permanence du CNL.
– Ni sawa François ? (ça va François ?)
– N’impore kabisa. (ça marche)
– Hewe birya bintu ngira vyaguhagaritse umutima ? (Cette affaire t’a-t-elle déstabilisée ?)
– Egoooo (Oui)
– Mugabo jewe impanuro noguha nuko wofata ikintu kimwe muri ibi bintu ngira nkubarire. Basha ayo mahera uyabasubize canke uyarye ubabwire uti nzoyabasubiza igume yugaye. Kuko ukabaha iyi nzu yawe irabomoka ntakabuza kabisa sindakubesha. Kuko abo bantu turabarwanije ijana kw’ijana mw’i Komine yacu. Ukabaha irya nzu yawe umenye ko uzoba uyihevye. Kandi urumva igipfa caburiwe n’impongo. (Monsieur, je te conseille de choisir une chose dans ce que je vais te dire. Que tu leur restitues cet argent ou que tu l’utilises et leur dises que tu vas rembourser. Mais, que la maison reste fermée. Parce que si tu leur donnes cette maison, elle sera inévitablement détruite. Sérieusement, je ne te mens pas. Car, nous contestons à 100% la présence de ces gens dans notre commune. Si tu leur donnes ta maison, sache que tu l’auras abandonnée. Un homme averti en vaut deux.)
Interrogé sur la véracité de cet élément sonore, M. Simbananiye s’en lave les mains: « Je pense que c’est un montage. Moi aussi j’ai eu cet audio. Mais, ceux qui le font ont un but.» Cet administratif dit que même la photo utilisée a été tirée de son profil sur la messagerie WhatsApp. « Là, c’était après des travaux communautaires. Je n’étais pas en train de téléphoner qui que ce soit. Je ne reconnais même pas cette voix qu’on m’attribue. »
Néanmoins, François Habonimana, propriétaire de cette maison reconnaît avoir reçu cet appel. « Je ne sais pas qui l’a enregistré, mais il m’a un jour téléphoné et il a tenu ces propos. Moi, je n’ai aucun litige avec l’administrateur et je ne suis pas membre d’aucun parti politique.»
Aujourd’hui, le propriétaire demande la réparation de sa maison. « J’ai beaucoup investi dans la construction de cette maison. Je pensais en tirer de l’argent. Mes enfants vont mourir de faim. »
Cet homme n’attend rien des enquêtes. Selon lui, les hommes arrêtés sont des CNL. Il ne comprend pas comment ce sont les mêmes qui auraient mis le feu à cette maison. Après cet incendie, M. Habonimana affirme que sa famille ne se sent plus en sécurité.
Dans la nuit du mercredi 12 juin, des personnes non identifiées ont tenté d’incendier cette permanence. Ils sont venus de plusieurs côtés. Deux jeunes de la colline Mayemba ont été attrapés par la population pendant la nuit. «Ils ont dit qu’ils se dirigent vers Nyabiraba, car on les a appelés pour un travail. Ils ont cité un directeur du nom d’Isaac Ntibampamata et un enseignant Sadock Ntahomvukiye du Lycée Mayemba», témoignent les habitants de Nyabiraba. Selon eux, ceux qui ont brûlé la permanence sont venus de la zone Kigina. «Nous avons demandé qu’il y ait des enquêtes, mais rien n’a été fait», s’indignent les militants du CNL.
Les militants du CNL affirment que la provocation a commencé bien avant. « Deux des nôtres ont été arrêtés par le chef des Imbonerakure arguant qu’ils n’ont pas de carte d’identité. Il a ordonné à un policier d’aller les emprisonner». Selon eux, ils ont passé deux jours en prison. Le chef des Imbonerakure assume : «En tant que membre du comité mixte de sécurité, j’ai le droit d’arrêter toute personne que je soupçonne de troubler la sécurité du pays».
D’après les témoignages recueillis à Nyabiraba, des anciens sympathisants du FNL ont sillonné toutes les collines pour dire du mal d’Agathon Rwasa. «Ils nous disaient que Rwasa est indésirable en province Bujumbura. Qu’il amène ces histoires du CNL dans sa province natale de Ngozi». D’après les habitants de Nyabiraba, ils bénéficiaient de la complicité de l’administration surtout de l’administrateur communal, Ferdinand Simbananiye. Des réunions pour des chefs de zone et des chefs collinaires ont été organisées. «On leur demandait d’empêcher les gens de faire louer leurs maisons au parti CNL. On disait que leurs maisons seront détruites. Les gens ont eu peur».
D’après les militants du CNL, ils subissent des menaces depuis l’agrément de leur parti. «A Nyabiraba, le pouvoir est dans les mains des Imbonerakure. Un administratif ne peut piper mot devant eux». Certains responsables du CNL font savoir qu’ils ne dorment plus chez eux. « Les Imbonerakure ont instauré une surveillance pour les militants du CNL», confie un des responsables du parti en commune Nyabiraba.
D’après les militants du CNL, la peur est permanente depuis l’incendie de samedi dernier. «Ça n’augure rien de bon pour nous les militants. La peur d’être tué ou emprisonné ne peut pas manquer vu comment ils se sont acharnés sur notre permanence». De plus, indiquent-ils, l’administrateur ne leur facilite pas la tâche. «Il perturbe nos réunions. Parfois, il accuse même publiquement le CNL d’introduire des armes dans le pays».
Pour les militants du CNL, les administratifs doivent différencier les affaires du parti et celles du pays. «Si les militants du Cndd-Fdd ne veulent pas le parti CNL en province Bujumbura, qu’ils demandent au ministre de l’Intérieur de le radier et qu’on arrête de nous malmener». S’ils ne le font pas, indiquent-ils, qu’on nous laisse alors travailler en toute tranquillité. «L’administrateur doit donner la possibilité à tous les partis de travailler. En plus, qu’il arrête de privilégier le Cndd-Fdd».
D’après Benjamin, aucune autre commune ne respecte la tolérance politique que Nyabiraba.
Accusé de ne pas tolérer la présence du CNL dans sa commune, M. Simbananiye parle d’un mensonge : « Je n’ai aucun intérêt à empêcher ce parti. Plusieurs partis travaillent dans notre commune. » Il cite les partis Cndd-Fdd, Uprona, FNL, Frodebu-Nyakuri.
Pour le cas du CNL, il affirme qu’il a déjà reçu les lettres des représentants de ce parti dans sa commune.
Pour lui, ce qui est important c’est le respect des procédures pour tenir des réunions. « Aucun parti ne peut m’accuser de l’avoir empêché de tenir sa réunion. Il suffit de demander une autorisation. »
Seulement, nuance-t-il, certains partis veulent tenir des réunions dans le stade alors que la période des meetings n’est pas encore annoncée. « Nous leur demandons de travailler dans leur permanence. »
Cet administratif fait état d’une cohabitation pacifique entre les partis politiques. Et de leur laisser un message : « Qu’il sache que le Burundi nous appartient tous. La divergence des idées n’est pas en soi un problème. Au contraire, c’est un atout pour développer notre commune, notre pays. »
Il les invite à mettre en avant l’intérêt général et du peuple. Car, explique-t-il, c’est ce dernier qui tranche. « Et au moment des élections, que les uns et les autres respectent le verdict des urnes. »
M. Simbananiye affirme que des signes d’insécurité sont visibles à Nyabiraba. Il parle de la découverte de deux grenades sur la colline Mukonko, une autre à Matara et des tenues policières. Et le mois dernier, deux fusils, dix chargeurs garnis, plus de 1000 cartouches ont été découverts à la jonction des trois collines à savoir Musenyi, Matara et Nyabiraba.
« Ce sont là des signes qui montrent que la sécurité n’est pas totale dans notre commune. »
Il précise que vendredi 14 juin, l’administration a été informée de la présence de deux hommes armés sur la colline Musenyi. « Nous n’avons pas pu les arrêter. Ils se sont volatilisés dans la nature. »
Sans préciser leur identité, M. Simbananiye dit détenir des informations sur des probables entraînements sur le maniement d’armes dans sa commune. Et de révéler que trois personnes de la colline Musenyi sont déjà arrêtées pour des raisons d’enquêtes.
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