Samedi 23 novembre 2024

Société

Ntega : L’enfer des violences conjugales

03/03/2023 2
Ntega : L’enfer des violences conjugales
Pélagie Nyabuyoya : « Mon mari me dit tous les jours que je n'ai pas assez de fessier pour mériter de dormir dans sa maison. »

De décembre 2022 à janvier 2023, au moins 5 femmes ont été tuées par leurs maris en commune de Ntega de la province de Kirundo. Des foyers se disloquent suite aux différentes formes de violences conjugales. L’administration communale demande déjà l’intervention des partenaires spécialisés.

Mardi 21 février 2023 sur la colline Mihigo, sous-colline Ruhohera vers 18h00, des femmes et des hommes étanchent leur soif. Ils boivent du vin de banane très prisé en commune de Ntega. Parmi eux, François Habineza, un frère d’une victime des violences conjugales, sa mère et d’autres proches. M. Habineza raconte la mort tragique de sa sœur, Bernadette Nibigira tuée par son mari en date du 25 décembre 2022.

Le jour de Noël. Celle-ci était mariée sur la colline de Mwendo de la même commune, sur la sous-colline Budori avec Pascal Ahishakiye. Il a suivi de près le conflit entre son beau-frère et sa sœur jusqu’au jour du meurtre. « Le mari a été égoïste. Il vendait des terres sans aucun accord de sa femme légale, la considérant comme un obstacle, il finira par la chasser et épouser illégalement une seconde femme. »

La femme légale s’est alors confiée à l’administration communale et au Tribunal de résidence. Le juge ordonnera que les terres vendues sans accord de son épouse soient remises à Pascal et à Bernadette, car la vente n’a pas respecté la loi. D’après notre source, Pascal Ahishakiy a décidé, après cette mesure judiciaire, de chasser la seconde femme pour reprendre la femme légale. « Il s’est confié à l’administrateur communal pour l’aider à convaincre sa femme légale de regagner le foyer conjugal », affirment François Habineza et sa mère. L’administrateur a demandé à la future victime, si elle est prête à revivre avec son mari. Et à son tour de demander : «Et s’il me tue ?» Le mari, Pascal Ahishakiye, a juré ciel et terre qu’il ne pourra pas verser le sang de sa femme qu’il aime toujours et avec qui il a eu 4 enfants. Face à cette situation, sa femme finit par accepter de regagner son ancien foyer conjugal.

François Habineza : « Dès que ma sœur est arrivée chez son mari, il l’a poignardée … »

Mais, c’était sans savoir ce qui allait lui arriver. « Dès qu’elle est arrivée chez son mari, celui-ci l’a poignardé à la poitrine, les lombaires, les seins, et les yeux. Elle est morte sur-le-champ et le mari est allé se rendre au commissariat de police de Kirundo».

La famille de la victime va commencer à maudire l’administrateur qui a dirigé une réconciliation qui a abouti sur un meurtre d’une femme qui réclamait que la justice lui soit faite et pour l’intérêt de ses enfants. L’administrateur sera pardonné quand cette famille a pris connaissance d’une autre épouse tuée par son mari sur la colline de Gatwe de la même commune.

Celle-ci avait quitté son mari violent pour se réfugier chez ses parents. « Néanmoins, le mari a troué un mur de la maison de son beau-père pour la tuer sans que personne ne puisse le soupçonner », témoignent les sources rencontrées à Ntega. Il a profité du sommeil profond de ses colocataires. La famille de Nibigira Bernadette a compris alors que la faute n’appartient pas à l’administrateur. « Quand bien même Bernadette n’avait pas regagné son foyer, elle aurait pu être tuée même chez nous».

La grande plaie de la commune

La même journée du 21 février 2023, Pélagie Nyabuyoya, une autre femme de 4 enfants et enceinte, était en train d’errer aux environs du chef-lieu de la commune Ntega dans l’espoir de trouver quelqu’un qui pourrait l’aider. Son mari a failli l’étrangler, il y avait de cela plus d’une semaine. Elle présentait des blessures aux visages et au cou. Elle et sa fillette errent dans une tristesse qui inspire pitié. La raison principale de la violence du mari : la femme a vendu une portion de terre que ses grands-frères lui ont donnée. Le mari voulait l’argent à tout prix. D’après cette femme de 35 ans, le soir du dimanche 12 février, elle a donné de la nourriture à son mari, mais il a refusé de manger.

Pascal Niboye et Jeanine Hatungimana se reprochent publiquement des violences conjugales

Elle lui a fait le lit, mais il a refusé de dormir. Il lui a dit seulement :« Aujourd’hui, j’ai décidé de te tuer. » Ce qu’il a essayé de faire jusqu’à ce que la femme lui donne les 235 mille BIF qui lui restaient sur la vente de sa portion de terre. « Il me disait, je vais te tuer et tu seras enterrée nue », raconte cette victime au visage triste. Après avoir récupéré l’argent, il est allé dormir et sa femme a passé une nuit blanche rythmée de douleurs au niveau de la tête suite aux coups et blessures lui infligés par son mari. La femme s’est confiée même à un officier de police judiciaire, mais personne n’a pu trouver le mari car il était en cachette. Les enfants ne comprennent rien car ils sont abandonnés. Leur mère finira par les envoyer chez leurs grands-parents.

En cachette, le mari lui enverra quelqu’un pour l’aider à convaincre sa femme de le pardonner. Celle-ci va exiger au mari de lui donner son argent et en présence du chef de colline.

Le mari a accepté de lui donner tout l’argent moins 40 mille qu’il avait acheté une truie. Il lui a donné même la clé de la maison. Quand elle est rentrée, elle a trouvé son mari prêt à partir pour ne plus revenir. « Il avait fait sa valise et j’ai eu peur. Avec ma fillette, je suis parti demander refuge ailleurs », témoignage Pélagie Nyabuyoya. Elle confie que ça fait plus de trois ans que la cohabitation entre elle et son mari est difficile. « Il me dit tous les jours que je n’ai pas assez de fessier pour mériter de dormir dans sa maison», a-t-elle confié.

Les hommes aussi victimes des VBG ?

Sur presque toutes les collines, soutiennent des hommes rencontrés sur la colline Gitwe en commune de Ntega, les violences conjugales sont signalées. Mais Gisitwe est sur toutes les lèvres. Ici, l’administration communale a identifié près de 70 ménages à risque de violences conjugales. « Même les hommes ne sont pas épargnés ».

Vers 16 h 00, Ezéchiel Sebigo, père de 5 enfants, est en train d’étancher sa soif avec des amis et autres connaissances dans un des bistrots de vin de banane. Mais, il est en colère contre son épouse. D’après lui, elle l’a abandonné avec ses 5 enfants au profit d’un autre homme. Il reproche à sa femme de maltraitances et d’avoir de relations extra-conjugales avec d’autres hommes. « Elle se fait photographier avec des jeunes gens », lance Sebigo très en colère. Selon lui, la situation est telle que quand ils se rencontreront, ils se rentreront dedans.

Sur le même lieu, un certain Pascal Niboye grince ses dents contre son épouse Jeanine Hatungimana : « Elle m’accuse de vouloir l’éliminer alors que ce n’est pas le cas. » Et d’enchaîner :« C’est elle qui veut plutôt me chasser du foyer pour qu’elle exploite seule ma propriété.» Pascal Niboye soupçonne sa femme d’entretenir des relations avec un autre homme à son insu. « Je n’ai plus de place chez moi. Mes ordres ne sont plus respectés », se lamente cet homme de 39 ans. Jeanine Hatungimana, son épouse, affirme par contre que son mari, Ezéchiel Sebigo, a voulu la tuer à plusieurs reprises, ce qui l’a poussée à le quitter. « Quand je cultive, il prend toute la récolte pour la vendre au marché». Quand elle pose des questions sur cela, elle indique que son mari lui rétorque qu’elle n’est pas venue de chez ses parents avec des récoltes. « C’est pourquoi je suis retournée chez mes parents».

Jeannine Hatungimana reproche aussi à son mari d’avoir gaspillé une indemnisation qu’il a obtenue de la part d’une société qui extrait des mines dans sa localité. Les hommes et femmes de cette localité s’accusent mutuellement des violences conjugales et beaucoup veulent en parler ouvertement.

Isaac Niyomufasha, un jeune de la même colline de Gisitwe, 20 ans, se dit étonné par le comportement notamment des hommes de cette colline : « Les violences et adultères augmentent à tout instant. » D’après lui, c’est rare de trouver un homme qui a une seule femme à Gisitwe. « Il y en a même qui ont trois voire 4 femmes ». Selon ses estimations, un seul homme sur 10 est fidèle à sa femme sur sa colline. Et de se demander : « Comment des enfants qui naissent dans ce genre de relation pourront vivre heureux ? » Les hommes qui adoptent ce comportement, critique ce jeune homme, n’ont même pas assez de moyens pour prendre en charge leurs enfants. « Ces pauvres donnent naissance à plusieurs enfants avec plusieurs femmes alors qu’ils n’ont pas assez de terres. » Pour lui, ces enfants auront un avenir malheureux.

Les causes sont multiples

Imelde Nyabuhinja, assistante sociale au Centre de Développement familial et communautaire (CDFC) de Ntega, soutient que ce sont plutôt les femmes qui sont davantage victimes des violences conjugales. « Les richesses du ménage sont souvent la cause de violence », explique-t-elle. Selon elle, certains hommes pensent que leurs femmes sont propriétaires de rien à la maison. Si la femme réclame, indique-t-elle, c’est un conflit qui va s’aggraver jusqu’au tribunal. Quand le juge tranche, ajoute Nyabuhinja, le mari refuse que la décision soit exécutée.

Béatrice Niyonkuru : « Les institutions devraient prendre des mesures comme ils l’ont fait pour le coronavirus. »

D’après cette assistante sociale au CDFC, cela aboutit aux violences qui sont d’ailleurs difficiles à prévenir. « Même après des réunions de sensibilisation, un homme peut dire à sa femme : « Tu penses que ce que tu as dit en réunion va te servir à quoi dans ma maison? ».» Elle regrette, par ailleurs, que le CDFC n’ait pas des moyens pour faire assez de sensibilisation : « Nous n’avons pas de moyens de déplacement, pas même des frais de communication. »
Béatrice Niyonkuru, présidente du Forum des femmes à Ntega, considère les violences conjugales comme un fléau dans cette commune : « Les hautes institutions devraient prendre des mesures adéquates comme ils l’ont fait dans la lutte conte le coronavirus. »

Pour cette enseignante et directrice d’école à Kanabugiri, les violences conjugales sévissent comme une épidémie. « 4 femmes assassinées en deux mois à Ntega, c’est trop !» Elle déplore le fait que ces violences n’ont pas été condamnées sur la voix des ondes et propose aux autorités concernées d’identifier les vraies causes des violences conjugales à Ntega avant d’envisager des solutions.

« 4 femmes ont été tuées par leurs maris de décembre 2022 à janvier 2023, une 5ème a été tuée un peu avant », confirme Pierre Claver Mbanzabugabo, administrateur de la commune Ntega. Il affirme que les violences conjugales sont une triste réalité dans sa commune.

Pierre Claver Mbanzabugabo : « Nous avons décidé de faire une identification des ménages à risque de violences conjugales.»

D’après lui, deux femmes ont été tuées sur la colline Gatwe, une sur la colline Mwendo, une autre sur la colline Ntega et une autre sur la colline de Monge en plus de celle de Gatwe. M. Mbanzabugabo fait savoir, de surcroît, que des ménages à risque de violences conjugales ne sont pas négligeables à Ntega. Parmi les bourreaux, un militaire en congé. « C’est consternant pour l’administration et toute la population en général», réagit l’administrateur, avant de se féliciter qu’au moins les bourreaux sont en prison.

A l’origine des violences, explique l’administrateur de la commune Ntega, c’est la mauvaise cohabitation entre conjoints. Ce qui arrive souvent, souligne-t-il, les maris ont tendance à chercher une seconde femme illégale au détriment de leurs épouses avec qui ils ont des mésententes.

Selon lui, tous les hommes qui ont tué leurs femmes entretenaient une femme illégale. « Le concubinage est l’une des principales causes». Quand les femmes légales se confient à la justice, ajoute cette autorité, il arrive qu’elle donne une part juste aux femmes lésées. Ce que les maris ne parviennent pas à digérer. « Le mari ne peut pas accepter que sa femme profite seule de ses richesses et choisit de verser le sang».

L’autre cause que cite l’administrateur de Ntega est liée à la propriété familiale. A titre d’exemple, le militaire qui avait une deuxième femme à Bujumbura voulait vendre des propriétés foncières. Ce que son épouse légale n’acceptait pas. « Il a décidé de la tuer à cause de cela».

Pierre Claver Mbanzabugabo soupçonne aussi que la libération des criminels, quelques années après leur sale besogne, encourage les assassinats dans les ménages : « Les bourreaux se disent qu’en tuant leurs femmes, ils seront eux aussi relâchés.» Selon lui, l’administration communale a recensé 39 criminels libérés à Ntega.
Il reconnaît que des hommes sont aussi victimes des violences conjugales. L’administrateur ajoute à ces causes un verre de trop d’un ou des deux conjoints.

Pierre Claver Mbanzabugabo déplore que les sensibilisations faites, après le constat des dégâts, n’aient pas été efficaces. Maintenant, l’administration communale a décidé de faire une identification des ménages à risque de violences conjugales en vue de chercher des experts qui pourront l’aider à sensibiliser les ménages sur cette thématique. « Nous avons déjà contacté des organisations spécialisées en la matière pour nous aider à faire la sensibilisation».

Jean Baptiste Kwizera, conseil socio-culturel du gouverneur de Kirundo, fait savoir que les violences conjugales sont une réalité dans cette province : «Vous pouvez trouver des cas, même ici dans la ville de Kirundo. Vous avez quelques hommes ou femmes qui ont témoigné sur les mauvais comportements de leurs partenaires, mais cela ne veut pas dire que la situation est alarmante dans toute la commune. »

Selon les chiffres du secrétariat exécutif permanent de Ntega, la commune Ntega compte plus de 500 ménages à risque de violences conjugales. D’une superficie de 260, 82 km2, Ntega a une population d’environ 115 161 personnes, soit environ 29 128 ménages avec 51 829 hommes et 63 332 femmes. Elle se trouve à 17 km du chef-lieu de la province de Kirundo.

Les cas de ménages à risque de violences conjugales enregistrés à Ntega jusqu’au 21 février 2023

Forum des lecteurs d'Iwacu

2 réactions
  1. Kanda

    C’est terrible ! Un comportement encore sauvage. À la lumière de cet article, la pauvreté est en grande partie une des causes. Les pauvres n’ont que l’esprit rempli des pensées noires, donc enclin à commettre des crimes. Et ceux qui choisissent l’adultère comme sont évidemment des sauvages parce qu’ayant adopté une vie d’animaux [pas tous] qui s’accouplent sans considération logique.
    C’est beaucoup de problèmes et phénomènes à éradiquer au même moment.

    • Juge Robert

      La consommation de l’alcool,la pauvreté et le nombre expontiel d’enfants à nourrir voilà ce qui rend violent!Ne cherchez pas loin.Monsieur et madame font 4 enfants à qui ils n’ont rien à offrir.Monsieur se met à boire de l’alcool en quantité pour oublier les problème à la maison.Madame se fait insistante pour que monsieur paie pour la nouriture,l’école,les habits,le loyer,les cahiers,le minerval,etc dans un foyer de 6 personnes.Monsieur ne travaille nulle part.Il devient violent.La pauvreté est à la base de toute cette violentce.Le stress finit par gagner les époux.Solution: ne faites pas 4 enfants pour ne pas soufrir et les faire soufrir.Maintenant leur père les a rendu orphélins.Imaginez la suite terrible.Le père finira par être tué par un des enfants qui vengera sa mère.Et la violence continue.Et si le Burundi proposait aux hommes et femmes de bloquer leur fertilité?C’est une solution parce que moins de population c’est moins de compétition pour avoir à manger et c’est moins de violence.Regarder le Nigéria la violence qu’il y a à cause de la surpopulation du pays.Le Burundi est dans le même cas actuellement.Ce n’est que le début si rien n’est fait ce sera pire dans 5 ans.Les gens prendront des armes à feu pour nous attaquer dans nos maisons pour pouvoir manger.Trop de population trop de problèmes.

A nos chers lecteurs

Nous sommes heureux que vous soyez si nombreux à nous suivre sur le web. Nous avons fait le choix de mettre en accès gratuit une grande partie de nos contenus, mais une information rigoureuse, vérifiée et de qualité n'est pas gratuite. Nous avons besoin de votre soutien pour continuer à vous proposer un journalisme ouvert, pluraliste et indépendant.

Chaque contribution, grande ou petite, permet de nous assurer notre avenir à long terme.

Soutenez Iwacu à partir de seulement 1 euro ou 1 dollar, cela ne prend qu'une minute. Vous pouvez aussi devenir membre du Club des amis d'Iwacu, ce qui vous ouvre un accès illimité à toutes nos archives ainsi qu'à notre magazine dès sa parution au Burundi.

Editorial de la semaine

Question à un million

Quelle est cette personne aux airs minables, mal habillée, toujours en tongs, les fameux ’’Kambambili-Umoja ’’ ou en crocs, les célèbres ’’Yebo-Yebo’’, mais respectée dans nos quartiers par tous les fonctionnaires ? Quand d’aventure, ces dignes serviteurs de l’Etat, d’un (…)

Online Users

Total 3 040 users online