Seize jeunes filles du Lycée communal Murungurira à Ntega auraient été harcelées sexuellement par leur directeur. Des enseignants de cet établissement le dénoncent. Dans l’enquête d’Iwacu, des victimes ont renié l’acte. ‘‘Pudeur oblige ’’, analysent des sources concordantes. Zoom.
Ouvrir des enquêtes pour des cas de viols et de grossesses sans oublier des questionnaires d’examens et des grilles de correction remis frauduleusement aux élèves par le directeur. Tel est l’objectif de la correspondance transmise, mercredi 24 juillet, au directeur de l’enseignement en commune Ntega de la province Kirundo. La lettre est signée par trois enseignants du Lycée communal de Murungurira.
Les réseaux sociaux s’emparent de cette lettre. L’information défraie la chronique depuis mardi 30 juillet. Elle est poignante, un scandale. Seize élèves victimes de viols, c’est trop. Quand Iwacu s’engage pour une enquête sur ce dossier, une grande question est sur toutes les lèvres : «Quel serait ce ‘‘violeur en série’’?».
Echec d’un déroutage
Les premières tentatives d’enquête sont plutôt décourageantes. De Bujumbura, Iwacu essaie les premiers contacts, avant de s’engager sur terrain. Il faut pouvoir fixer des rendez-vous avec les personnes citées dans la lettre, surtout les « victimes ».
A ce sujet, les enseignants signataires de la correspondance peuvent aider, pense-t-on. Cependant, sollicités, ils déclinent. «Nous allons vous aider, si et seulement si vous passez par l’administration ou les instances judiciaires de Kirundo. Sinon, ne perdez pas votre temps, vous n’aurez rien du tout.» La réponse laisse perplexe.
Décidés à ne pas lâcher, les ordres de mission pour Kirundo sont signés. Au chef-lieu de la province Kirundo, les cas de viols de Murungurira sont sur toutes les lèvres mais à voix basse. Tout le monde en parle. Mais, pour toute information, il n’y a que cette lettre des trois enseignants. «Mais en tout cas, ce directeur est un cas et ce n’est pas nouveau», lâchent, entre deux gorgées de bière, de jeunes hommes. Ils se disent proches dudit directeur.
Mener des enquêtes approfondies semble être une gageure. Les originaires de Ntega exerçant à Kirundo nous mettent en garde. «Aller à Ntega, cela ne vous sera pas une simple promenade de santé. A Murungurira encore moins. Des jeunes gens surveillent tout mouvement suspect». Et puis, renchérissent-ils, cette enquête est difficile à mener : «Même le procureur, le commissaire et autres ont échoué. Les victimes de harcèlements citées ont refusé de leur parler». Embarrassant. Nous décidons tout de même de tenter le coup…
«Nous demandons des enquêtes»
Le dossier part des inquiétudes. Au cours des examens des deux premiers trimestres, la plupart des élèves de la 3è Langues réussissent à des pourcentages très élevés. «Même ceux qui portent le bonnet d’âne obtiennent de bonnes notes», soulignent des enseignants. Des doutes, l’on passe vite aux soupçons de tricherie.
Au cours du troisième trimestre, certains élèves narguent leurs enseignants et leur racontent qu’aucun élève de cette classe n’échouera. «Le directeur nous l’a dit ainsi. Il saura comment faire», leur ont-ils dit. Or, ces enseignants savent qu’il y a, parmi les plus faibles, pas mal de filles soupçonnées d’entretenir des relations avec ce directeur.
Très vite, les examens du troisième trimestre pointent à l’horizon. Trois semaines avant, le directeur demande aux enseignants de déposer les questionnaires et les grilles de correction. Certains professeurs ne cèdent pas à cette injonction. «Nous nous doutions que c’est au cours de cette période qu’il peut y avoir des fraudes. Car normalement, c’est trois jours avant le jour J».
Une mésentente s’installe entre la direction et ces enseignants. Selon Jean Paul Nduwayo, l’un des enseignants, le directeur l’a appelé, lui et son collègue Philibert Rushemeza (enseignant d’anglais), pour leur demander de revoir la manière d’interroger. «Ce sera une fierté pour moi et pour l’école que les élèves de la première promotion réussissent au maximum possible. Au contraire, ce serait un manquement de ma part», leur aurait-il conseillé.
Les examens seront passés avec une surveillance renforcée. Mais avant la proclamation, un incident : la fiche des points du professeur d’anglais est falsifiée, au niveau de la case d’une certaine S. M, la première, selon ces enseignants, des élèves ’’chéries’’ par le directeur. Les suspicions se multiplieront. Iwacu a pu constater la fraude sur ladite fiche.
Jean-Claude Nduwintwari et Jean-Paul Nduwayo, les titulaires de cette classe, dénonceront une fraude. Le titulaire d’anglais sera contraint de donner le palmarès original. Mais il ne sera jamais inquiété. «Et nous avons réalisé que le directeur en savait quelque chose».
D’après ces enseignants, avec la proclamation, S.M et certaines des autres filles en relation avec le directeur, échoueront comme tout autre élève. Et la colère du directeur se déverse : «Jean Paul Niyomwungere a demandé aux élèves en situation d’échec de porter plainte contre les deux titulaires au niveau de la direction communale de l’enseignement pour réclamation des points». Peine perdue.
En revanche, la réponse du berger à la bergère. Les deux enseignants diligentent une enquête. Des élèves, affirme Jean Claude Nduwintwari, nous parleront des cas de harcèlement sexuel et viols probablement commis dans le bureau du directeur. «En contrepartie, le directeur leur donnerait les questionnaires d’examens et les grilles de correction».
Leurs enquêtes sont sans appel : seize victimes, certaines ayant déjà quitté l’établissement. La liste sera remise au directeur communal de l’enseignement. «Mais nous n’avons aucune preuve matérielle. C’est ainsi que nous demandons des enquêtes. Des enregistrements téléphoniques, des messages, des tests pour les cas de grossesses ou d’avortement, etc. peuvent faire l’affaire.» Qui a publié la correspondance sur les réseaux sociaux ? Ses auteurs l’ignorent.
Déni des viols, mais…
Entre autres ’’victimes’’ de viols, S. M, une élève de la 3e année, dans la section Langues. Elle est de la colline Isusa de la zone Murungurira. Iwacu la rencontre dans la matinée de lundi 5 août, faisant de la vannerie, assise sur une natte, chez ses parents.
Aux premiers abords, S. M se refuse à dire quoi que ce soit. Mais un peu rassurée, elle devient prolixe. Tout en reconnaissant une forme de harcèlement sexuel à maintes reprises, elle rejette tout viol, tout rapport sexuel avec le directeur Jean-Paul Niyomwungere.
D’une voix plutôt difficilement audible, honteuse, elle marmonne : «J’ai été doyenne de l’établissement pendant 4 ans, de la 9e à la 2e Langues. Pendant ce temps, je me rendais souvent à la direction. Dans son bureau, le directeur n’arrêtait pas de me faire des avances en me disant : ’’mpa nkoreko’’ (laisse-moi faire ndlr). En vérité, j’ignore le genre auquel il faisait allusion. Je ne sais pas. Dans tous les cas, je n’ai jamais cédé à ses avances».
Cette élève, loin de déculpabiliser le directeur, dénonce les mobiles qui seraient derrière les accusations contenues dans la correspondance. Pour elle, Jean-Paul Nduwayo, l’un des signataires, est pire. Elle s’en tient aux messages lui transmis par ce dernier. Au lendemain de la proclamation, le 4 juillet, lui reproche-t-elle, il m’a écrit : «Condoléances S., tu viens d’être victime de ce que tu as voulu garder pour toi. Mais on verra où cela te mènera».
S.M avait manqué son Certificat de fin d’études secondaires. Avec ce message, elle dit avoir compris que l’échec était dû à son refus de céder aux avances de cet enseignant. Et le message du dimanche 4 août, poursuit-elle, est venu pour lever toute équivoque : «Si tu comptes retourner à cette école, et que tu ne veux toujours pas me donner ce que je t’ai demandé, tu ne feras que perdre ton temps».
Sur la correspondance, les victimes sont classées par catégorie. Il y en a trois. Des cas de viol ; des cas de harcèlement sexuel ainsi que des grossesses connues et couvertes par la direction. Après S.M, Iwacu est allé à la rencontre de J.U, classée dans le second groupe.
Lundi, elle est dans les marais dans un champ de riz. Interrogée, elle se met à sangloter au lieu de répondre. Des larmes dégoulinent. Quelques minutes pour décharger sa colère. Et puis, très triste : «Je n’ai rien contre ce directeur. Je n’ai jamais été avec lui. Et ceux-là qui se mettent à nous calomnier, à nous vilipender, qui les avait mandatés ? Je me demande s’ils le font pour notre cause ou pour autre chose».
Comme S.M, J.U accuse Jean Paul Nduwayo, un des signataires de la lettre d’y être pour quelque chose afin de se disculper. Elle raconte qu’au matin du 24 juin, cet enseignant l’appelle chez lui, pour ‘‘une information urgente’’.
Arrivée là-bas, elle affirme que ce dernier tente de la violer : «Il était torse nue et ne portait qu’une serviette de bain autour de la taille. Nous étions dans son salon. Et tout d’un coup, il a tout jeté par terre. Quand il s’apprêtait à me sauter dessus, son groom est entré. Dieu soit loué. Je venais d’être sauvée, je suis partie».
Ce jour-là, vers le soir, quand elle lui demande le sens de son acte, il répond de manière évasive qu’il faut quelquefois se laisser faire. Elle échangera beaucoup de messages avec cet enseignant. Iwacu a pu se procurer de la plupart de ces messages échangés.
Cap chez Evangeline Mizero, une autre ‘‘ victime’’ classée dans la catégorie des grossesses couvertes par la direction. C’est à Gisota, sur la colline Buringanire de la zone Mugendo. Elle reste cloîtrée chez elle. Elle dit avoir peur des qu’en dira-t-on de l’entourage. «Tout le monde parle de moi ici. Je suis devenue injustement un sujet de conversation, la risée de tout le monde», lâche-t-elle écœurée.
«C’est dur pour moi. Pourtant, je n’ai jamais eu de relations sexuelles avec ce directeur. Jamais.» En cas d’avortement, explique-t-elle, la nouvelle s’ébruite vite, se répand comme une traînée de poudre. «C’est un crime qui ne peut pas se cacher». Cette ’’victime’’ parle également de l’enseignant, Jean-Paul Nduwayo.
La plupart des jeunes filles mentionnées dans la correspondance tiennent des propos presque identiques. Néanmoins, les enseignants qui sollicitent l’enquête persistent et signent. «Les cas de viol, de harcèlement sexuel par le directeur sont une réalité à notre école». Des élèves du Lycée communal Murungurira, sous couvert d’anonymat rencontrés, sont également de l’avis de ces enseignants.
Quand la pudeur s’invite
«Il y a dans tout cela des non-dits, la tradition burundaise est pleine de sujets tabous », chuchotent certains camarades de ces ’’victimes’’ rencontrés à Isusa. Ils parlent de ’’pudeur’’.
Des élèves taxent certaines de ces filles de ’’concubines’’ du Directeur. «C’est un secret de polichinelle. S. M. est un deuxième bureau du directeur, c’est connu. Elle n’est pas parmi les élèves brillants. Rien n’explique comment elle a pu avancer de classe depuis son entrée au post-fondamental. Le directeur s’est toujours arrangé pour qu’elle puisse avancer de classe», confie une élève de la 2e Langues.
Selon leurs témoignages, un petit matin de mai dernier, C.M, une élève de la 2e en Langues, sera réprimandée et corrigée par ses parents quand elle se permet ce jour-là de rentrer au petit matin. «Devant ses parents, cette fille a reconnu qu’elle était avec le directeur dans son bureau», raconte un élève qui assistera à cette scène.
Début juin dernier, une certaine O.K, une autre ’’victime’’, poursuivent les témoignages, passe une nuit chez le directeur. «Ses parents l’ont cherché en vain. Le lendemain, au début des cours, elle s’est présentée à l’école, à moto appartenant à notre directeur et c’est ce dernier qui conduisait».
Hormis ces exemples, ces élèves révèlent que Jean-Paul Niyomwungere aimait passer des weekends avec des filles de son établissement, à l’école comme ailleurs. A ce sujet, le veilleur du Lycée communal Murungurira s’est gardé de tout commentaire.
«Les enquêtes vont bon train»
Suite à la publication de la correspondance, les autorités administratives, judiciaires et policières se rendent, mercredi 31 juillet, sur terrain pour mener des enquêtes.
Le directeur Jean-Paul Niyomwungere est appréhendé et emprisonné au commissariat de police à Kirundo. Iwacu n’a pas pu avoir son avis sur les allégations lui reprochées.
De sa part, Jean-Paul Nduwayo, l’enseignant accusé par les filles de calomnie, rejette les allégations. Il assure avoir uniquement eu de faibles relations avec une des filles sur la liste. «Car j’entretiens de bonnes relations avec sa famille depuis longtemps».
Le reste des conversations avec ces élèves, soutient-il, se situe au niveau des enquêtes. «Il fallait leur parler pour récolter des informations auprès d’elles».
Interrogé sur le cas de la fraude sur le palmarès, Vincent Nzisabira, le directeur communal de l’enseignement à Ntega rétorque que l’affaire est au niveau des juridictions.
Quant à Gérard Niyokindi, procureur de la République à Kirundo, il soutient que le dossier est sous enquête : «Nous avons déjà interrogé quelques-unes des jeunes filles citées dans ce dossier. Mais de son côté, l’accusé réclame un avocat avant de dire quoi que ce soit».