Mercredi 25 décembre 2024

Société

Ntahangwa : Mourir à Mubone

24/08/2020 Commentaires fermés sur Ntahangwa : Mourir à Mubone
Ntahangwa : Mourir à Mubone
Au site de Mubone, des morts déjà suite à la faim, à la malaria…

Maladies, manque d’assistance alimentaire ou matérielle, conditions hygiéniques déplorables, etc. les déplacés de Mubone, zone Buterere, commune Ntahangwa mènent une vie précaire et désespérée. Reportage.

Buterere, commune Ntahangwa au nord de Bujumbura. Un site abrite les déplacés victimes des intempéries de fin 2019. Vu de loin, le site présente aujourd’hui un nouveau « look. » .Il n’y a plus de huttes faites en moustiquaires ou en morceaux d’habits usés pour loger des personnes.

Des tentes géantes de forme rectangulaire presque neuves servent de logements pour les 516 familles originaires de Buterere et Kinama.

Autour de 11 heures, le site semble désertique. Pas beaucoup de mouvements sauf quelques mamans en train de préparer le ‘’repas’’ de midi. Des enfants aussi jouent. La vie semble normale. Mais la réalité est moins drôle. Seules ces tentes offrent cette fausse image de quiétude. La situation est déplorable. A l’intérieur de ces abris de couleur blanchâtre, des gémissements se font entendre. La faim, les mauvaises conditions hygiéniques, le manque d’assistance alimentaire et matérielle ont déjà fait des dégâts, des victimes.

« Depuis notre arrivée ici, en octobre 2019, 22 enfants et six adultes sont morts », confie Pascaline Manirakiza, une déplacée.

Originaire de Kinyankonge, cette mère de quatre enfants indique que ces pertes humaines sont liées à la malaria, à la malnutrition.

Le premier enfant est mort à l’hôpital Roi Khaled. « Agonisant, il avait été évacué vers là après plusieurs jours sans aucun traitement. Et il a fini par nous quitter. »

Sidérée, Mme Manirakiza affirme que plusieurs mois viennent de s’écouler sans aucune assistance. Or, se souvient-elle, dans les premiers jours de leur installation, la Croix-Rouge et d’autres bienfaiteurs leur ont donné à manger, des savons, des habits, etc.
Anne-Marie Nininahazwe, une autre déplacée, ne cache pas son désespoir: « Nous menons une vie très misérable. La situation est vraiment insupportable. C’est l’enfer.»

Originaire de la zone Kinama, Cellule V, un de ses enfants est dans un état critique. Il souffre de la malaria et ne parle plus selon sa maman : « Comme, nous n’avons pas à manger, du matériel de couchage, nos enfants sont souvent malades suite au froid, à la malnutrition, aux conditions hygiéniques très précaires. »

Sans argent, sans cartes d’indigence leur permettant de se faire soigner, … ils ne peuvent pas les amener à l’hôpital. Ils attendent impuissants la mort: « Impossible de passer deux semaines sans qu’il y ait des morts. Dernièrement, on a évacué un homme mourant. On ne sait pas s’il va s’en sortir. »

A Mubone, les occupants soulignent que beaucoup d’enfants souffrent du kwashiorkor, de la diarrhée, d’anémie, etc. Ils présentent des symptômes caractéristiques : joues joufflues, ventres ballonnés, bras et jambes amaigris, cheveux gris. Idem pour certaines femmes allaitantes ou enceintes rencontrées sur place.

Manger ? Une chance

Dans ce site, avoir à manger est un vrai combat, une bénédiction, une chance. Sébastien un père d’une famille de huit personnes témoigne: « Que voulez-vous que je vous dise ? Ici, c’est le calvaire. C’est difficile. Quand je parviens à avoir 2000BIF, j’achète de la farine de manioc et des amarantes. C’est ça qu’on partage soit la nuit ou la journée. »

Il affirme que ses enfants dorment souvent sans rien dans le ventre Un homme, habitant ce site raconte que c’est grâce aux restes des aliments récupérés sur les décharges publiques qu’il nourrit sa famille. « On est devenu comme des animaux. Et nous n’avons pas de choix. Nous sommes délaissés. Personne ne pense plus à nous, à nos enfants, à leur avenir».

Aloys Mpawenayo, responsable adjoint du site abonde dans le même sens : « Nous venons de passer trois mois sans aucune assistance. Pas de nourritures, de savons, etc. Beaucoup de gens meurent de faim. » Selon lui, au mois de juillet, quatre enfants sont morts. En août, deux enfants, une mère et un homme n’ont pas survécu à la faim qui y sévit.

L’éducation des enfants, hypothéquée

A l’approche de la rentrée scolaire, des écoliers du site Mubone risquent de rater le rendez-vous. « Pour inscrire ou réinscrire nos enfants, ils nous exigent 9000BIF ou 10 mille BIF par tête. On nous dit que c’est pour l’achat des bancs pupitres et paiement des vielleurs », dénonce Floride Mbikumugongo, croisée sur place.

Faute de moyens, deux de ses enfants n’ont pas pu être réinscrits. « Ils ont abandonné l’école suite aux intempéries de fin 2019. Leurs documents, attestation de naissance, bulletins des années précédentes, etc ont été emportés par les eaux».

Pour lui, il est injuste d’exiger des frais d’inscription à ces déplacés démunis. Rappelant que l’enseignement primaire est dit gratuit, elle est convaincue que ces frais ne vont pas dans la caisse de l’Etat.

De son côté, I.O., un autre déplacé, ajoute que pour l’inscription au secondaire, la somme est fixée à 15.000BIF. « Nous demandons que cela cesse pour permettre à nos enfants de préparer leur avenir. Ils ne doivent pas être victimes de nos malheurs».

« Il faut qu’on les ramène chez eux »

« Il faut que l’Etat nous aide à regagner nos zones d’origine. Sinon, la prochaine saison pluvieuse, la situation va s’empirer », plaide Aloys Mpawenayo. Il rappelle d’ailleurs que les autorités municipales leur avaient promis la délocalisation, il y a environ quatre mois. Il se demande pourquoi cette promesse n’a pas été tenue.

Julien Manirakiza : « Certaines victimes sont inhumées sans l’intervention de l’administration. »

Une idée soutenue par Julien Manirakiza, Chef de quartier Mubone. Il trouve que la fermeture du site et la réinstallation des occupants dans leurs quartiers d’origine sont les seules solutions efficaces.

« Il faut qu’on les ramène chez eux et les aide à reconstruire leurs maisons, leur donner un petit capital. Sinon, il y aura toujours des morts. Car, ils vivent dans des conditions inhumaines». Il reconnaît sept morts. Sur les chiffres avancés par les déplacés, il dit que cela peut-être vrai. D’après lui, certaines victimes sont inhumées sans l’intervention de l’administration.

Quid du paiement des frais d’inscription pour les enfants à l’école ? M.Manirakiza estime que vu leur précarité, cette opération devait être gratuite. Pour les autres (non déplacés), ces frais sont fixés à 500BIF. Ce qui signifie, selon lui, que les 9000BIF ou 10000BIF ne sont pas officiels.

Contactée, Imelde Sabushimike, ministre de la Solidarité nationale, des Affaires sociales, des droits de la personne humaine et du Genre nous a renvoyé chez son porte-parole. Iwacu a tenté de le joindre, deux fois, sans succès.

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