Depuis la fermeture des bureaux de change, les banques commerciales qui ont fait relais, achètent et vendent deux monnaies étrangères seulement. Le dollar et l’euro. Les conséquences inattendues commencent à se faire sentir. Les petits commerces transfrontaliers sont perturbés.
Mardi 11 mars 2020, il est 11h. Nous sommes à l’Ouest, au poste frontalier de Gatumba. Les policiers contrôlent deux voitures de transport en commun. L’un d’eux, sous couvert d’anonymat, nous raconte que le trafic a été paralysé depuis lundi le 2 mars 2020. Ce denier fait savoir que les importateurs congolais ont suspendu leurs activités suite aux nouvelles mesures de change de devises de la BRB. A la frontière, explique ce policier : ces commerçants sortant du Burundi avec des marchandises doivent désormais présenter un bordereau de la banque dans laquelle ils ont échangé leurs devises.
Samedi dernier, poursuit notre source, les autorités burundaises et celles de la RDC se sont rencontrées à la frontière pour autoriser les petits commerçants à reprendre les activités.
Désormais, les commerçants congolais sont autorisés de quitter le Burundi avec des articles d’une valeur de 200.000 BIF sans le bordereau de la banque dans laquelle il a échangé ses devises. « Aujourd’hui matin, le commerce transfrontalier a timidement repris».
Un commerçant congolais qui a suivi notre conversation nous interrompt. « Le prix proposé par cette agence de la Bancobu est moins attrayant que celui des cambistes congolais situés sur la frontière », fustige-t-il. Et d’enchaîner, ces cambistes assis sous cet arbre du côté de la RDC achètent le dollar à 2700 BIF alors que le taux officiel est de 2100 BIF.
D’après cet homme d’affaires, peu de commerçants continueront à acheter les marchandises au Burundi. En fait, avec les nouvelles mesures de change, les prix de devises ont fortement chuté. Car, un capital de 1000 dollar achetait des articles d’une valeur 270 000 BIF. Pour le moment, le commerçant se procure les marchandises de 210.000 BIF. « En conséquence, sa marge bénéficiaire diminue. Car, les produits burundais sont devenus chers».
Des commerçants burundais font les frais de cette mesure
Assis devant son stand, les yeux rivés sur son smartphone, Jean (pseudo), un vendeur de marmites et autres ustensiles de cuisine, est désespéré. Il est midi. Nous sommes au marché Bujumbura City Market communément appelé « Kwa Siyoni ».
Cet homme d’affaires déplore que depuis la semaine dernière son business soit plombé par les nouvelles mesures de change de la BRB. « Depuis la semaine dernière, je suis désœuvré. Mon chiffre d’affaires a diminué de 70%. Dans une semaine, j’ai perdu 400.000 BIF». Ce commerçant grossiste fait savoir que la majorité de sa clientèle vient de la République Démocratique du Congo (RDC).
Pour le moment, il ne sait à quel saint se vouer. Il ne peut pas rembourser ses fournisseurs à temps. Ce qui l’expose à des pénalités de retard. Il se retrouve dans l’incapacité de payer son loyer.
Mêmes lamentations chez Amina, commerçante des récipients en plastique et des ustensiles de cuisine. Cette dernière estime avoir encaissé un manque à gagner de plus 1.000.000 BIF.
Elle révèle par exemple que deux de ses clients qui importaient les produits plus de 1.500.000BIF par jour ont acheté des biens de 200. 000 BIF chacun. « Regardez comment la BRB détruit notre business. D’ici peu, si cette mesure persiste, nous serons obligés de fermer les portes».
Sur la frontière burundo-tanzanienne, la situation est plus compliquée. Il n’y aucune banque commerciale sur la frontière pour faciliter les changes. D’ailleurs aucune banque commerciale n’accepte le shilling tanzanien. Niyonkuru Cyrille, commerçant de Gisuru, déplore avoir arrêté le commerce transfrontalier : « Je ne peux pas trouver le shilling pour aller m’approvisionner. »
Il explique que les banques commerciales se trouvant à Ruyigi ne vendent ou n’achètent pas de shilling. D’après lui, il n’y pas de moyens d’accéder au franc tanzanien. Les bureaux de change sont fermés «Nous sommes obligés de jeter l’éponge».
Avant cette mesure, précise-t-il, c’était facile d’acheter et de vendre les shillings. Les cambistes facilitaient les opérations de change à la frontière.
La perte encaissée est énorme. Cet homme d’affaires estime qu’il réalisait un bénéfice variant entre 100 000 et 150 000 BIF par mois. Ce commerce était sa seule source de survie pour sa famille. Pour le moment, il consomme son capital.
D’après cette même source, les commerçants tanzaniens ne s’approvisionnent plus à Gisuru. Ces derniers importaient des pommes de terre et de haricots.
Centre de négocie de Kibago
D’après G.T, un commerçant de Kayogoro indique que le marché de Kabande communément appelé « Kwa Buhinja » ne lui sert à rien pour le moment. Faute des francs tanzaniens, ce commerçant qui s’approvisionnait sur ce centre est angoissé. Lui et ses collègues ont abandonné ce business. Dans ce marché inondé par plusieurs produits tanzaniens, les échanges se font en shilling.
D’après une source de la BRB, les banques commerciales ne peuvent ni acheter ou vendre d’autres monnaies étrangères. Car, la BRB ne les accepte pas. Notre source explique qu’il n’y a pas des conventions entre le Burundi et les pays utilisateurs de ces monnaies.
Analyse/ Quel est le sort des petits commerçants transfrontaliers ?
Suite aux nouvelles mesures de changes des devises, les petits commerces transfrontaliers sont impraticables à cause du problème de change de monnaie. Désormais, le shilling tanzanien, le franc congolais et le franc rwandais ne sont pas acceptés sur le territoire national.
Les faits sont têtus. Les banques commerciales ne peuvent pas remplacer valablement les bureaux de change. Les conséquences sont inévitables. Les commerçants transfrontaliers ne peuvent pas exercer leur activité.
Une question pertinente se pose. Est-ce que la BRB est consciente des conséquences de la fermeture des bureaux de change sur les petits commerçants transfrontaliers ? En tous cas, elle savait qu’il n’y avait pas de conventions entre le Burundi et les pays limitrophes en matière de change de la monnaie.
Pour éviter d’éventuelles perturbations du commerce transfrontalier, la BRB devrait négocier avec nos pays voisins la convertibilité de leur monnaie.
La principale source de revenus
Depuis des années, les économies des pays de Grands Lacs et de l’EAC sont nettement liées entre elles. Les petits commerçants traversent les frontières d’aujourd’hui pour échanger des biens et des services, donnant lieu à d’importants flux commerciaux.
C’est indéniable, cette activité améliore les conditions de vie et crée des emplois, y compris pour certaines catégories de population burundaise marginalisées ou défavorisées.
Par ailleurs, les échanges transfrontaliers sont dominés par les produits agro-pastoraux. Ils constituent par conséquent un facteur essentiel pour la sécurité alimentaire. À de multiples égards, les petits commerces frontaliers jouent un rôle crucial pour la prospérité et la réduction de la pauvreté.
En outre, les profits tirés de ces activités servent principalement à couvrir des besoins de première nécessité tels que l’alimentation, la santé ou la scolarisation. Ces revenus tirés du commerce transfrontalier sont souvent la principale source de revenus des ménages des provinces frontalières.
Pour le moment, les petits commerçants qui ont la volonté de développer leur activité se heurtent à des difficultés d’accéder aux devises. Des vies des milliers de familles sont en danger.
Qu’on le veuille ou pas, le Burundi ne peut pas se passer du petit commerce transfrontalier. Et les petits commerçants de Gisuru ou Kayogo n’ont pas besoin des dollars ou des euros pour s’approvisionner en Tanzanie. Il faut que le gouvernement prenne des mesures urgentes pour débloquer cette situation.