Les articles 18 et 19 de la nouvelle loi sur la presse énumèrent les limites imposées aux journalistes, les sujets que, désormais, ils ne pourront plus aborder. Le constat est que cette énumération n’est pas claire, un flou qui est (intentionnellement ?) entretenu par le législateur pour restreindre le travail des médias.
Bien que certains « interdits » soient compréhensibles, respecter la plupart des « sujets tabous » de cette loi reviendrait purement et simplement à arrêter le métier de journaliste au Burundi. Comme l’a relevé l’ancien président Domitien Ndayizeye, lors de l’analyse du projet de loi au Sénat : « Comment ne pas parler de ces sujets ? C’est impossible, sinon il faut se taire, parce que la vie c’est ça ! Si vous empêchez de le dire, ce ne sera pas possible !»
L’ancien président a également voulu savoir celui qui jugera du terme « qui portent atteinte à». Bien que certaines de ces dispositions aient une similitude avec celle contenues dans le code pénal, il est clair que c’est le Conseil National de la Communication (CNC) qui jugera de ce terme. Le CNC, dont les membres sont nommés par le chef de l’Etat, et qui aura ainsi les coudées larges pour interpréter la loi pour, surtout, « casser du journaliste » que veiller à la liberté de la presse, pourtant une de ses missions également. Rappelons que cette loi précise en l’article 2 du chapitre que la presse est libre.
Que faire, et ne pas faire ?
L’article 18 – C) précise que désormais les journalistes devront s’abstenir de publier des informations portant atteinte à la moralité et aux bonnes mœurs. Mettre au jour un réseau de prostitution, à fortiori de mineur(e)s, ou aborder le sujet du tapinage sur le boulevard de l’Uprona pourra donc poser problème. Écrire sur les maladies sexuellement transmissibles sera-t-il considéré comme immoral ?
L’article 19 – A) établit que « Le droit de diffuser des informations ou de publier des documents ne peut être invoqué si ceux-ci sont en rapport avec le secret de la défense nationale, de la sûreté de l’Etat et de la sécurité publique. » Couvrir les récents affrontements de Gihanga deviendra problématique. En effet, informer sur les belligérants pourrait être considéré comme faire « la propagande de l’ennemi de la nation burundaise en temps de paix comme en cas de guerre » ? Plus encore, un tel sujet touche à la sécurité nationale. La presse burundaise devrait-elle ferme les yeux et ne pas informer tout citoyen d’un potentiel danger ?
Le point B) de ce même article 19 porte sur la stabilité de la monnaie. Or, souvenez-vous au mois de février, le prix du dollar sur le marché national avait grimpé jusqu’à connaître des sommets vertigineux. Les médias n’avaient alors cessé de tirer la sonnette d’alarme. Si la situation se représentait (et comprenez bien que personne ne veut que cela se reproduise), en parler sera-t-il considérer comme une atteinte au crédit de l’Etat et à l’économie nationale ?
Point G) de l’article 19 : interdiction de diffuser des écrits ou propos diffamatoires, injurieux, calomnieux, offensants à l’égard des personnes publiques ou privées. En cas de confirmation d’abus orchestrés par des personnes publiques, en cas d’enquêtes minutieuses, la presse sera bâillonnée. Le risque est que ces écrits ou ces propos soient considérés comme offensants à l’égard de ces personnes, la loi frappera donc.
Est-ce la fin des caricatures, si chères à Iwacu ? Ne verrons-nous plus Pierre Nkurunziza seul sur le ring, après avoir mis KO tous ses adversaires, et le Dr Yves Sahinguvu en mauvaise posture ? Ou le chef de l’Etat prendre un départ fulgurant à la Usain Bolt, laissant les autres candidats aux dernières communales sur la ligne de départ ? Le dessein de presse va-t-il rendre l’âme sous le prétexte d’outrage et injure à l’égard du chef de l’Etat (Article 19 – E).
Attention que cette loi ne doit pas être rejetée dans son entièreté. Ainsi, dans l’article 18, il est logique qu’on ne puisse porter atteinte, du moins en général, à l’unité nationale, à l’ordre et à la sécurité publique, à la souveraineté nationale, ou à la présomption d’innocence. Mais qu’entend-on par la moralité et les bonnes mœurs, l’honneur et la dignité humaine, ou la vie privée des personnes ? Des flous peu artistiques qu’il conviendrait d’éclaircir au plus vite.
Mais les interdits de l’article 19, plus nombreux, certains plus ou moins précis et d’autres généraux, viennent accentuer cette pression sur la presse. Une pression qui se transforme d’ailleurs en supplice par l’article 20 qui oblige le journaliste à citer ses sources dans des cas englobant finalement la vie d’un pays, puisque cette disposition porte sur les infractions concernant l’ordre public, le secret de la défense, et l’intégrité physique et morale d’une ou de plusieurs personnes.
Ce que dit la loi …
Article 18 : Le journaliste est tenu de s’abstenir de publier dans un journal ou de diffuser dans une émission audiovisuelle ou dans tout autre organe de presse des informations qui portent atteinte à : a) l’unité nationale ; b) l’ordre et la sécurité publics ; c) la moralité et aux bonnes mœurs ; d) l’honneur et la dignité humaine ; e) la souveraineté nationale ; f) la vie privée des personnes ; g) la présomption d’innocence.
Article 19 : Le droit de diffuser des informations ou de publier des documents ne peut être invoqué si ceux-ci sont en rapport avec : a) le secret de la défense nationale, de la sûreté de l’Etat et de la sécurité publique ; b) des informations portant atteinte à la stabilité de la monnaie ; c) le secret de la vie privée, y compris les dossiers personnels et médicaux ; d) le secret de l’enquête judiciaire au stade pré-juridictionnel ; e) des outrages et injures à l’endroit du Chef de l’Etat ; f) des communiqués, appels ou annonces incitant à la révolte, à la désobéissance civile, à une manifestation publique non autorisée, à l’apologie du crime, à la réalisation d’un chantage ou d’une escroquerie, à la haine raciale ou ethnique ; g) des écrits ou propos diffamatoires, injurieux, calomnieux, offensants à l’égard des personnes publiques ou privées ; h) des informations faisant la propagande de l’ennemi de la nation burundaise en temps de paix comme en cas de guerre ; i) des informations portant atteinte au crédit de l’Etat et à l’économie nationale ; j) des documents ou enregistrements de nature confidentielle ou secrète concernant les opérations militaires, la défense nationale, l’activité diplomatique, la recherche scientifique et les comptes-rendus des commissions d’enquête de l’Etat ; k) des comptes-rendus des débats judiciaires à huis clos ou concernant les mineurs, sans autorisation préalable ; l) l’identité des victimes des viols ; m) la protection des mineurs contre les images obscènes et /ou choquantes.