Jeudi 7 juin 2018, à Gitega, le président Pierre Nkurunziza a promulgué la nouvelle Constitution. Elle vient remplacer celle de 2005. Une occasion de rappeler que son mandat prendra fin en 2020.
Dans les enceintes du palais de Gitega, en présence de plusieurs hautes autorités, vers 11 heures le président Nkurunziza a apposé sa signature à cette nouvelle Constitution.
Après cette promulgation, les festivités se sont poursuivies à Bugendana, province Gitega où il est arrivé vers 12 h.
Des officiels, des ambassadeurs accrédités à Bujumbura, une foule nombreuse. Des policiers et militaires assuraient la sécurité des lieux.
« La nouvelle Constitution est le lien entre tous les Burundais. Ceux qui ont voté ‘’Oui’’, ceux qui ont voté ‘’non’’. Ceux qui n’ont pas voulu montrer leur position, et même ceux qui ont été désorientés et que leurs voix sont devenues nulles », a déclaré le président Nkurunziza. Elle est également pour ceux qui ont boycotté le scrutin. Bref, elle est pour tous les Burundais sans distinction. « Les Burundais viennent d’avoir une Constitution répondant à leurs aspirations ».
Elle vient corriger les articles de celle de 2005 qui n’étaient plus adaptés aux réalités du moment. Une Constitution pour s’adapter aux normes et lois de la Communauté est-africaine dont le Burundi est membre, a encore expliqué le chef de l’Etat.
Il a aussi félicité le peuple burundais pour l’amour et le patriotisme dont il vient de faire preuve. « C’est pour la toute première fois que le Burundi organise des élections sans quémander un appui étranger ». Ce qui se passera aussi pour les prochaines élections de 2020.
Et de lever les équivoques : « Cette nouvelle Constitution ne vient pas changer les institutions et chambarder les lois. Les institutions élues en 2015 continueront à diriger le pays jusqu’aux élections de 2020. Les lois qui ne sont pas en contradiction avec la Constitution resteront en vigueur ». Pour le président Nkurunziza, que ‘’personne ne désoriente la population en disant qu’on va avoir un 1er ministre, etc’’.
Selon lui, l’urgence est portée sur le renforcement de l’indépendance nationale, et la promotion des droits et libertés du peuple, et la conformité aux lois de la Communauté est-africaine (CEA). Et de préciser que les articles 288 et 290 sont bien clairs.
« Je m’engage à continuer à servir notre pays »
Se référant à son serment du 20 août 2015, le président Nkurunziza a tranché : « Avant d’entrer en fonction, le président de la République s’engage à respecter la Constitution dans son entièreté.»
D’après lui, que ça soit celle de 2005 ou celle d’aujourd’hui, elles sont claires en ce qui concerne les mandats du président de la République. Et de rappeler qu’en 2015, il a bien précisé qu’il s’agit de son dernier mandat. « Nous informons les Burundais et le monde entier que nous n’allons pas nous rétracter. Notre mandat prendra fin en 2020 », a-t-il ainsi déclaré.
Il a conseillé aux Burundais et aux étrangers de ne plus tomber dans le piège des ennemis du Burundi. Pour lui, ces derniers donnent des fausses informations sur la question du mandat présidentiel et cette nouvelle Constitution. « Celui qui souhaite prendre un écart par rapport aux mensonges et rumeurs, il n’a qu’à la lire lui-même. »
A ceux qui pensent que cette nouvelle Constitution est pour l’intérêt du président Nkurunziza, la réponse a été claire : « Sachez-le bien dès aujourd’hui. Que ceux qui se confessent le fassent. La Constitution n’a pas été amendée pour le président Pierre Nkurunziza comme les ennemis du Burundi le colportaient ces derniers jours. La Constitution a été modifiée pour le bien, la dignité, la quiétude et l’avenir meilleur du Burundi et des Burundais. »
En ce qui le concerne, il se dit engagé et préparé en âme et conscience, avec toutes ses connaissances et tous ses efforts à soutenir le nouveau président de la République élu en 2020. « Je m’engage à continuer à servir notre pays et à veiller sur lui jusqu’à la fin de mes jours ici sur terre », a-t-il promis.
Après l’avoir présentée à la foule présente, le président Nkurunziza a remis cette Constitution au président de la Cour Constitutionnelle.
Pour rappel, c’est à ce même endroit qu’avait eu lieu, le lancement d’explication de cette nouvelle Constitution, vers fin 2017. Et c’est là même que le parti Cndd-Fdd a lancé sa campagne référendaire.
Réactions
« Elle remet en cause les acquis de la démocratie »Léonce Ngendakumana, vice-président du parti de Ndadaye, considère la promulgation de la nouvelle Constitution comme un non évènement. « Nous la prenons comme un obstacle à l’instauration d’un Etat de droit, d’un Etat démocratique ».
Il indique que son parti n’a jamais adhéré à un processus qui remet en cause les acquis de la démocratie et de la bonne gouvernance. Selon lui, c’est de la propagande et le forcing qui continuent. Il s’étonne de la procédure suivie pour promulguer la nouvelle Loi fondamentale.
La promulgation d’une loi, fait-il savoir, se fait au cabinet du président de la République et dure au maximum 10 minutes. Or, regrette-t-il, les préparatifs viennent de durer plus de 3 jours occasionnant des dépenses énormes, l’arrêt du travail et la perte du temps pour certains fonctionnaires et administratifs de l’Etat. Et de rappeler que cela se fait dans un pays qui se trouve dans une pauvreté et une misère extrêmes.
Tout cela se fait pour échapper au processus législatif prévu par les articles 158, 159 et 300 de la Constitution révisée, insiste-t-il
L’ancien président de l’Assemblée nationale craint pour l’avenir du Burundi. « La communauté internationale et régionale, qui a décrié le processus référendaire, risque d’isoler davantage le Burundi ».
Quant au message du président Pierre Nkurunziza annonçant qu’il va quitter le pouvoir en 2020, Léonce Ngendakumana reste pessimiste. « Si cela s’avérait vrai, ça serait bénéfique pour le Burundi et pour le parti Cndd-Fdd »
« ….à tout Burundais de s’en approprier »
« Que cette Constitution soit présentée au peuple burundais est tout à fait normal », souligne Abel Gashatsi, président de l’Uprona. C’est un instrument juridique voté par le peuple et pour le peuple. L’Uprona, tient-il à rappeler, a suivi et contribué dans le processus d’élaboration, de campagne d’explication de la Constitution. Le peuple burundais l’a déjà voté. La Cour constitutionnelle l’a déjà validée. Donc l’étape suivante et cruciale n’est autre que sa promulgation.
« Nous lançons un appel vibrant à tout burundais de s’en approprier », avant de préciser qu’elle appartient aux tenants du « oui » et du « non » sans discrimination. M. Gashatsi conseille les tenants du « non » à ne pas torpiller sa mise en application.
Le président du parti de Rwagasore salue le message du chef de l’Etat. Pour lui, le président Pierre Nkurunziza a respecté la parole donnée en 2015. Et de marteler : « Son message va stabiliser le pays, lever les équivoques et les spéculations sur un probable mandat de 2020 ».
« Cela relève des méthodes et des mobiles populistes »
Agathon Rwasa, président d’Amizero y’Abarundi, indique que la promulgation n’a pas respecté les procédures légales. Normalement, explique-t-il, une Constitution ne devrait pas être promulguée de façon simpliste. Il doit y avoir une loi d’adoption parce que même les lois ordinaires sont adoptées par le Parlement. Et de s’interroger pourquoi une Loi fondamentale n’a fait aucun objet de débat au niveau de l’Assemblée nationale. Pourquoi, poursuit-il, éviter le Parlement alors qu’il est habilité à adopter les lois même s’il y a eu un référendum. Le résultat doit être adopté par le Parlement, conclut-il.
Du début à la fin, ce sont des manipulations, des instrumentalisations, déplore le député Rwasa. Pour lui, la promulgation d’une loi ne se fait pas sur une grande aire de jeu. La publication se fait dans le Bulletin Officiel du Burundi (BOB). Et de marteler : « Je ne comprends pas comment on procède de cette manière. Cela relève des méthodes et des mobiles populistes qu’on met en exergue.»
«Elle appartient au peuple »
« Nous apprécions tout le processus référendaire », indique Kefa Nibizi, président du Frodebu Nyakuri. Tout le monde a eu l’occasion de s’exprimer. La nouvelle Loi fondamentale a été adoptée dans la quiétude. N’en déplaise à ceux qui l’ont décriée. Selon lui, le moment est ultime et propice pour que cette Constitution soit présentée au peuple qui l’a massivement votée. «Elle appartient au peuple ».
M. Nibizi fait un clin d’œil à ceux qui ont voté « non » : « Dans toute compétition, qu’elle soit démocratique ou pas, il y a toujours un gagnant et un perdant». Et d’inviter les tenants du « non », à ne pas ternir l’image du Burundi, mais plutôt à contribuer dans sa reconstruction.
Quant au message du numéro Un burundais, Kefa Nibizi ne mâche pas ses mots : « Son message est clair. Je n’ai pas d’interprétation à faire.»
« L’avenir de l’Accord d’Arusha est hypothéqué »
« Nous ne le dirons jamais assez. Cette Constitution enterre l’Accord d’Arusha et la démocratie », martèle Pancrace Cimpaye, porte-parole du Conseil national pour la restauration de l’Accord d’Arusha et la Constitution de 2005.
Par ce geste de présenter cette Constitution à la population à Bugendana, le président Pierre Nkurunziza est en quête d’une légitimité forcée, souligne cet opposant en exil. M. Cimpaye s’inquiète de l’avenir du pays sans le respect de l’esprit et de la lettre d’Arusha. «L’avenir du Burundi est incertain ».
Interrogé sur le discours du président Pierre Nkurunziza, Pancrace Cimpaye se veut sceptique. M. Cimpaye ne croit pas en la promesse faite par le président Pierre Nkurunziza de partir en 2020. «Si c’était ainsi, il n’aurait pas révisé la Constitution de 2005, garante de l’Accord d’Arusha.»