L’Assemblée nationale a adopté à l’unanimité le projet de loi régissant la presse au Burundi lors d’une séance plénière du mardi 7 mai 2024. Le projet donne peu d’espoir dans les milieux des professionnels des médias.
Près de cinq ans après la promulgation de la loi n°1/19 du 11 septembre 2018 régissant la presse au Burundi, tous les acteurs et partenaires du secteur des médias sont unanimes pour reconnaitre que la loi actuellement en vigueur méritait d’être revue dans certaines de ses dispositions, a dit la ministre en charge des médias Léocadie Ndacayisaba lors de son exposé des motifs devant les représentants du peuple.
L’intention n’est autre que l’amélioration du climat de la presse ; l’évolution du métier et le renforcement de la culture démocratique basée sur une presse libre et indépendante, selon la ministre.
A travers l’exposé des motifs, les principales innovations apportées dans ce projet de loi sont la prise en compte de l’évolution des médias ; l’élargissement des droits et devoirs des journalistes et des organes de presse ; une meilleure clarification de la place du cinéma et de la publicité ; la dépénalisation partielle des délits de presse ainsi que la consécration de certains droits reconnus aux citoyens.
Concernant l’évolution des médias au Burundi, il est notamment question de prendre en compte la place de plus en plus importante des radios communautaires ainsi que de leur spécificité en ce qui concerne notamment le statut particulier des journalistes qu’ils emploient, la presque totalité d’entre eux étant des bénévoles.
La loi de 2018 n’en faisait pas mention. On en parle en long et en large dans la section 2 consacrée aux définitions et dans l’article 15.
L’autre évolution est l’existence de la presse en ligne aujourd’hui au Burundi. La loi de 2018 ne lui réservait aucune place. Ce qui en constituait une grande lacune. Le nouveau texte lui consacre cinq dispositions contenues dans les articles 31 à 35.
Par rapport à l’élargissement des droits et des devoirs des journalistes, la ministre Ndacayisaba fait savoir qu’il existe à ce jour près de deux cent quarante médias inscrits au Conseil national de la communication. Il se fait malheureusement qu’un certain nombre de ces médias emploient des journalistes sans contrat de travail et qu’ils ne rémunèrent pas en conséquence.
Pour leur meilleure protection, les responsables des organes de presse agréés doivent s’assurer que tous les membres de leur personnel, liés par un contrat de travail à durée déterminée ou indéterminée, sont en conformité avec la législation du travail et la législation sociale. Les mêmes droits partagés sont rappelés aux articles 50 et 67.
Et par rapport à l’élargissement des droits et des devoirs des organes de presse, la ministre Ndacayisaba évoque certains avantages accordés aux organes de presse, comme l’exonération de la TVA à l’importation du matériel d’équipements. Elle fait savoir que le présent projet ajoute à son article 64 l’exonération des droits de douane dont l’étendue sera déterminée par une ordonnance conjointe du ministère des Finances et du ministre ayant l’information et la communication dans ses attributions.
Quid de la clarification de la place du cinéma et de la publicité ?
Dans la loi en vigueur, le cinéma et la publicité sont considérés comme des médias à part entière soumis comme tels au contrôle du Conseil national de la communication. Il se fait que le cinéma est un produit culturel et non un média. Il en est de même de la publicité qui, par nature, poursuit d’autres objectifs que ceux d’informer et de former les citoyens.
Dans le présent projet de loi, le cinéma et la publicité, qui font l’objet des articles 43 à 49, ne sont pas concernés par ce texte que s’ils sont diffusés par voie médiatique. Pour tout le reste, ils doivent être régis par des textes spécifiques.
Pas une suppression des sanctions pénales
Concernant la dépénalisation partielle des délits de presse, il faut déjà comprendre que la dépénalisation s’entend ici comme la substitution des peines d’amende à des peines de servitude pénale et non comme la suppression pure et simple des sanctions pénales pour des infractions déterminées.
La loi de 2013 avait consacré la substitution des peines d’amende à des peines de servitude pénale pour toutes les infractions commises par voie de presse.
La loi de 2015 et celle de 2018 ont disposé que toutes les infractions commises par voie de presse seraient sanctionnées conformément au Code pénal.
Le présent projet de loi prévoit une dépénalisation partielle des délits de presse qui s’appellent injure ou imputation dommageable commis de bonne foi par le journaliste.
Spécialement pour l’imputation dommageable, le projet de loi propose que le journaliste soit exonéré de condamnation s’il rapporte la preuve de l’exactitude de ses allégations quand celles-ci sont en rapport avec des affaires où l’intérêt général est en jeu. Cela s’appelle l’exception de vérité.
L’amende proposée pour les délits dépénalisés est de cinq cent mille francs à un million cinq cent mille francs burundais.
Toutes les autres infractions comme l’incitation à la haine raciale et ethnique ou l’atteinte à la sûreté de l’État sont sanctionnées conformément au Code pénal.
En effet, les délits commis sans rapport avec le métier de recherche, de traitement et de diffusion de l’information ne sauraient être dépénalisés et restent donc soumis aux dispositions pertinentes du Code pénal, précise le projet.
En dépénalisant une catégorie déterminée de délits commis par voie de presse, le Burundi s’alignerait ainsi dans une approche libérale adoptée déjà par plusieurs pays africains tels que le Cameroun, le Benin, la Côte d’Ivoire, le Ghana, le Mali, le Niger et le Togo.
Le Code de déontologie de la presse mentionne les faits que le journaliste doit s’abstenir de diffuser ou de publier.
Mais, ce Code ne prévoit pas de sanctions pénales. Les faits en question concernent notamment l’atteinte à la vie privée, l’atteinte à la présomption d’innocence et la divulgation de l’identité des victimes des violences sexuelles sans leur accord. Dans le projet de loi, ces faits sont sanctionnés par une amende de cinq cent mille à un million cinq cent mille francs burundais.
Un projet de loi qui suscite déjà des débats
Pour Léon Masengo, président de l’Association des journalistes francophones du Burundi, le nouveau projet de loi sur la presse au Burundi est « un non-événement ». D’abord, parce qu’il n’y a pas eu une large concertation avec tous les acteurs concernés. Il fait savoir que « personnellement » il a contacté une source du ministère ayant les médias dans ses attributions au cours du processus d’élaboration du projet de loi. Il affirme que la réponse a été que « le texte était tenu secret jusqu’à son adoption par l’Assemblée nationale ».
Il estime que le texte devrait prévoir des dispositions qui facilitent l’accès à l’information. Pour lui, « on parle de dépénalisation partielle alors qu’il faut une dépénalisation totale pour tous les délits de presse. » Cela montre donc qu’« une main mise y reste. » Ce professionnel des médias dit aussi sans réserve que l’infraction d’atteinte à la sécurité intérieure de l’État doit disparaitre car « elle est subjective ».
Il fait aussi observer que devant le Code pénal, devant la loi sur la cybercriminalité, devant la loi sur la presse et devant le Code électoral, les journalistes peuvent toujours se retrouver dans les geôles.
Surtout que le journaliste est un citoyen comme tant d’autres qui peut commettre des infractions de droit commun. L’appréciation des délits de presse laissée aux mains des juges pourraient ainsi prêter à confusion. Le journaliste Masengo craint que les juges puissent qualifier un délit de presse comme étant soit de droit pénal, soit de la cybercriminalité, etc.
Lors des questions d’éclaircissement posées à la ministre Ndacayisaba, certains députés ont voulu savoir pourquoi la loi régissant la presse au Burundi subit souvent des modifications (2013, 2015, 2018 et 2024), elle répond que cette instabilité de la loi vise un double objectif, à savoir contribuer à l’élargissement de l’espace démocratique et des libertés publiques d’une part ainsi que s’adapter à l’évolution des technologies de l’information et de la communication, d’autre part.
Pour Masengo, il s’agit plutôt d’un exercice habituel qui ne vise que rappeler aux journalistes qu’il y a des sanctions à la porte.
C’est inquiétant
Mireille Kanyange est la présidente de la Maison de la presse au Burundi. Elle considère qu’« avec toute une série de lois pour juger le journaliste, c’est laisser une grande marge de manœuvre pour le juge et c’est inquiétant ». Des inquiétudes qu’elle partage avec certains des députés qui avaient posé une question à la ministre Ndacayisaba de savoir loi qui serait appliquée pour sanctionner le journaliste parmi les quatre lois.
La présidente de la Maison de la presse nuance l’affirmation de Léon Masengo comme quoi le projet a été tenu secret. Elle fait en effet savoir que ce projet de loi a été discuté entre certains professionnels de médias depuis 2020. Et de d’ajouter que « qu’il soit adopté est une chose. Mais on aimerait que la dépénalisation soit totale et que ces amendes soient diminuées. C’est ce que nous demandons au Sénat de faire. »
Commentant sur le pourquoi on procède à amender la loi sur la presse chaque fois que les échéances électorales approchent, la journaliste Kanyange n’est pas d’accord avec l’explication avancée par la ministre Ndacayisaba. « La ministre a dit que c’est pour faire des améliorations. Moi, je ne suis pas convaincue. A mon sens, c’est pour museler la presse au Burundi pour qu’elle ne soit pas libre », a-t-elle conclu.
Notons que moyennant l’adoption des amendements de fond et de forme, 112 députés dont 92 présents et 20 procurations ont voté à l’unanimité ce projet de loi.