Le ministre des Infrastructures, Dieudonné Dukundane, a appelé, ce 6 août, tous les propriétaires des parcelles en mairie de Bujumbura, à présenter leurs plans de construction pour se conformer au plan d’urbanisation de cette ville à l’horizon de 2040, au risque de voir leurs propriétés confiées à d’autres personnes capables…. Depuis cette annonce, d’aucuns se demandent le vrai sens des mots du ministre, quid de la planification de cette politique, sa faisabilité, quid du respect de la loi, qu’est-il de l’appréciation des expropriations pour cause d’utilité publique de ces dernières années…
Un dossier réalisé par le Magazine Jimbere, le Journal Iwacu, Burundi Eco et Yaga Burundi
Zones d’ombre autour d’une annonce
Depuis l’annonce du Ministre Dukundane, Des citadins demandent à l’Etat de prendre d’abord des mesures pour réduire l’inflation et booster la croissance économique.
« Nous allons répertorier toutes les parcelles qui n’ont pas été exploitées valablement dans la ville de Bujumbura, du centre jusqu’aux quartiers périphériques et industriels pour qu’elles soient octroyés aux investisseurs burundais, aux membres de la diaspora et aux étrangers qui veulent investir dans le pays pour le développement du pays », a indiqué Dieudonné Dukundane, ministre des Infrastructures, de l’Equipement et des Logements sociaux.
Ainsi, il a appelé tous les propriétaires des parcelles dans la ville de Bujumbura à commencer par la commune Mukaza de se présenter à la direction de l’urbanisme au ministère des Infrastructures pour voir le plan directeur de l’image de la ville les 16 ans prochains.
« Dans ce mois d’août, tout propriétaire de parcelle doit amener au ministère un calendrier des travaux de construction et son plan pour se conformer à schéma directeur de la ville de Bujumbura dans les 15 prochaines années. Pour celui qui ne le fera pas, on comprendra qu’il n’est pas capable d’exploiter valablement sa parcelle. Cette dernière lui sera retirée pour être donnée à ceux qui disposent des moyens pour bien l’exploiter », a-t-il martelé.
En outre, il a fait savoir que son ministère va désormais suivre de près la vente et l’achat des parcelles dans les villes. Concernant l’octroi des parcelles dans les villes, Dieudonné Dukundane fait savoir que les investisseurs et les hommes d’affaires qui veulent implanter des usines dans le pays doivent être prioritaires pour faciliter leurs activités.
Pour lui, on ne peut pas devenir un pays émergent en 2040 et développé en 2060, quand des constructions en milieu urbain « apparaissent encore comme des huttes ».
Avis partagé par le premier ministre Gervais Ndirakubuca. Pour lui, les habitants de la ville de Bujumbura doivent se préparer en conséquence pour se conformer au plan d’aménagement de cette ville conformément à l’image du Burundi à l’horizon de 2040 et 2060. « L’image de la ville doit changer. Il y a des constructions qui ne méritent pas d’être dans cette ville de Bujumbura. Il faut élaborer des plans architecturaux pour que toutes les constructions s’y conforment. Celui qui ne sera pas capable devra trouver un autre endroit correspondant à ses moyens », a indiqué le premier ministre, ce 13 août 2023, lors d’une rencontre avec les natifs de la nouvelle province de Bujumbura.
Une mesure qui fait penser à un plan d’expropriation
Certains habitants de la ville de Bujumbura s’indignent contre la mesure annoncée par le ministre des Infrastructures. Pour eux, le gouvernement devrait plutôt penser à trouver des solutions à la « crise économique » que traverse le pays. Pour d’autres, la mesure visant à assainir l’image de la ville de Bujumbura est salutaire. Ils appellent au ministre des Infrastructures de donner des éclaircissements pour que la population comprenne le bien-fondé de cette mesure.
Selon A.T., propriétaire d’une parcelle dans la zone urbaine de Kanyosha, cette mesure fait penser à une expropriation des parcelles appartenant aux habitants aux moyens limités pour les octroyer aux hommes d’affaires burundais et étrangers.
Il rappelle que la propriété est sacrée dans la culture burundaise. Pour lui, faire de la ville de Bujumbura une ville moderne est une bonne chose : « Mais il faut penser comment aider les propriétaires des parcelles à faibles moyens à se conformer au plan plutôt qu’envisager une expropriation, car cela créera un malaise dans la population ».
Ainsi, il appelle le ministère des Infrastructures à vulgariser d’abord ce plan d’urbanisation 2040 et donner suffisamment du temps aux propriétaires des parcelles à planifier comment s’y conformer avant de présenter leurs plans de construction au ministère de tutelle après une année.
Pour un autre propriétaire d’une parcelle dans la zone urbaine de Bwiza, il faut que le gouvernement prenne des mesures adéquates pour la croissance économique avant d’obliger la population à construire des maisons en étage : « L’inflation devient de plus en plus galopante. Pour le moment, il est difficile de subvenir aux besoins fondamentaux de la famille. La pauvreté fait rage dans différentes familles en mairie de Bujumbura. Où trouvera-t-on les moyens pour construire ces maisons exigées par l’Etat ? ».
Il appelle à l’Etat de trouver la solution aux problèmes actuels notamment la pénurie de différents produits de première nécessité, la carence des devises et le chômage.
Concernant ce plan d’urbanisation de la ville de Bujumbura à l’horizon de 2040, il estime que le ministre des Infrastructures n’a pas donné des explications suffisantes pour comprendre le contenu de ce plan. Et de l’ exhorter de lever des zones d’ombre de sa récente annonce.
Anicet Habarugira, habitant de la zone urbaine de Gihosha, apprécie le plan annoncé par le ministre des Infrastructures : « La ville de Bujumbura a été construite pendant des années dans un désordre. Dans différents quartiers, on y trouve des maisons qui ne méritent pas d’être dans la capitale économique. Il est vraiment temps qu’on prenne des mesures pour avoir une ville semblable à d’autres capitales dans la région ».
Il appelle le ministre à commencer par imposer ce plan dans le centre-ville. Et de déplorer que dix ans après l’incendie qui a ravagé le marché central de Bujumbura, tous les déchets restent enfermés en place : « Il faut commencer par construire un centre commercial dans la place qui abritait le marché central. Toutes ces galeries, magasins et boutiques construits en désordre doivent être détruits. On a besoin d’un centre-ville où on ne voit que des gratte-ciels ».
Cependant, il doute de la faisabilité de ce plan d’urbanisation 2040. Il regrette que le plan directeur innovant de la ville de Bujumbura vision 2045 n’ait pas encore été mis en œuvre. Et d’appeler le gouvernement du Burundi à commencer par l’évaluation de ce plan ainsi que des raisons derrière l’échec de sa mise en œuvre.
Quid du plan directeur innovant de la ville de Bujumbura, vision 2045 ?
Approuvé en 2014 et lancé en novembre 2017 par feu président Pierre Nkurunziza, le plan directeur innovant de la ville de Bujumbura et ses environs, vision 2045, vise à développer la ville de Bujumbura selon les tendances d’implantation et de démographie de la ville, les capacités infrastructurelles et les priorités locales.
Selon ce plan, la ville de Bujumbura doit s’étendre, jusqu’en 2045, sur trois provinces dont la mairie de Bujumbura, certaines communes des provinces Bujumbura et Bubanza, avec une superficie de 913 km2. Le nord ayant pour centre Gihanga servira de la zone agricole et industrielle, le centre sera réservé à l’administration et au commerce alors que le sud sera consacré au tourisme.
La mise en œuvre de ce plan permettra que la population citadine s’élève à plus de 4 millions en 2045, avec une projection d’environ 4 mille habitants/ km2. Ce plan vise aussi à faire de Bujumbura un carrefour commercial de la région des Grands Lacs et de la Communauté est-africaine (EAC).
Pour la réalisation de ce plan directeur innovant de la ville de Bujumbura, le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) a octroyé un financement de plus de 2 millions de dollars américains. Les travaux de cette étude ont été confiés à Singapore Corporation Enterprise (SCE).
Un plan d’urbanisation dont l’exécution s’annonce difficile
La ville de Bujumbura connaît une expansion spectaculaire dès le début des années 2000. Cependant, la croissance urbaine ne suit pas les normes urbanistiques. « Des maisons d’habitation sont installées au gré de la volonté des propriétaires sur des terrains non aménagés. Ce qui donne aux nouveaux quartiers une allure de grands labyrinthes aux allées étroites et discontinues », fait remarquer Clovis Iriho, doctorant en socio-anthropologie à l’Université du Burundi.
Cela s’ajoute aux bâtiments vétustes de l’ancienne ville et ne donne pas à la ville une bonne image, de surcroît, diminue sa durabilité dans le temps. Gaspard Kobako, ancien ministre des Travaux Publics et de l’Equipement abonde dans le même sens quand il confirme que le visage urbain doit changer : « C’est tout à fait normal. Il y a de vieilles bâtisses, des constructions qui ne répondent plus aux normes des villes modernes. De plus, la ville ne doit pas s’étendre exponentiellement. Il faut privilégier les constructions en hauteur ».
La planification avant tout
Gaspard Kobako s’interroge sur la concrétisation du nouveau plan d’urbanisation annoncé plus tôt. La planification précède l’occupation. Cela suppose la préparation des habitants des zones à urbaniser à une éventuelle expropriation. En principe, rappelle-t-il, avant de bénéficier une parcelle, le demandeur présente des plans de construction de ses projets, de ses maisons. Les services de l’urbanisme les valide et délivre une autorisation de bâtir en bonne et due forme. « D’ailleurs, il revient à l’urbanisme d’assurer le suivi des travaux pour vérifier si les plans sont exécutés à la lettre et conformément aux normes », insiste l’ex-ministre Kobako.
Pour Clovis Iriho, l’initiative du gouvernement de moderniser la ville de Bujumbura est certes une bonne chose. Bujumbura est parmi les villes qui affichent un grand rythme d’urbanisation. Les centres urbains du pays, partant des chefs-lieux des provinces jusqu’à certaines communes, se métamorphosent en des villes. Cependant, la construction des villes aujourd’hui doit répondre à un certain nombre de normes de gouvernance et de planification quitte à offrir de meilleures opportunités économiques et touristiques.
La vision d’une ville moderne implique l’élaboration d’un plan à long terme. « Changer l’image de la ville est un long processus qui ne s’achève pas du jour au lendemain. Il est nécessaire que le gouvernement établisse un cadre réglementaire dans lequel s’inscrit le cadre de la vision d’un Bujumbura moderne », suggère-t-il.
Ainsi, le gouvernement peut travailler avec les institutions financières pour permettre aux individus d’accéder facilement aux crédits d’infrastructures. Il peut aussi, le cas échéant, mettre en place un fonds destiné à accompagner les projets qui s’inscrivent dans le cadre du plan d’aménagement de la ville. « L’apport des partenaires techniques et financiers est indéniable pour la réussite de cette vision. S’inscrivant dans la même ligne que les autres politiques publiques, la modernisation de la ville de Bujumbura doit intervenir dans la résolution d’un ou de plusieurs problèmes publics dont le chômage, le sous-emploi, les transports et le changement climatique », fait remarquer le chercheur Iriho.
« Déshabiller Saint Paul pour habiller Saint Pierre »
L’une des inquiétudes soulevées par rapport à cette mesure est que le gouvernement risque de déposséder des gens de leurs parcelles acquises depuis fort longtemps. Normalement, pour exproprier un acquéreur, on doit procéder à une indemnisation juste, préalable et équitable. D’où, il faudra privilégier une libre entente entre des gens qui voudraient investir et ceux qui possèdent ces parcelles, qui les ont achetées depuis fort longtemps. « On ne se réveille pas du jour au lendemain pour sommer les occupants à quitter leurs parcelles pour les attribuer à quelqu’un d’autre », prévient Kobako.
Notre interlocuteur fait savoir que la plupart des habitants de la commune Mukaza n’ont pas dans l’entretemps, accumulé des revenus pour satisfaire au nouveau plan d’urbanisation. Il importe de signaler que ces derniers occupent ces parcelles depuis le début de l’urbanisation de la ville d’Usumbura. Donc il ne faut pas que ce soit une occasion pour le gouvernement de déposséder ces gens pour attribuer leurs parcelles à d’autres. Ce sont des pratiques qui ont été observées de par le passé où les gens qui ont acquis des moyens financiers se voient attribuer les parcelles des autres.
D’après Clovis Iriho, la clé de la réussite de cette politique se trouve dans la collaboration. Toutefois, la première étape consiste à mettre en œuvre un plan de mise en œuvre de cette politique, en incluant les différentes parties prenantes dont la population urbaine en premier lieu. « La réussite de toute politique nécessite en amont une appropriation de la part de la population. Mais, cette appropriation est basée sur l’énoncé d’une politique claire et inclusive. En effet, la modernisation de la ville de Bujumbura ne doit pas être une affaire du gouvernement seulement, mais de tous les acteurs socioéconomiques », propose M. Iriho.
Que faire pour minimiser les risques ?
Pour minimiser les risques et les retombées négatives de cette mesure, Kobako suggère qu’il y ait une bonne communication entre les personnes concernées et le gouvernement. C’est tout à fait normal qu’on puisse démolir des constructions dans des espaces qui ont été illégalement occupés. Ce qui n’est pas le cas pour les occupants des parcelles acquises honnêtement approuvées par les services de l’urbanisme. Il est hors de question de se rendre chez quelqu’un brandir un plan de construction d’un étage à 10 niveaux par exemple alors qu’il n’en a pas les moyens : « Je crois qu’il faut y aller avec douceur non pas en imposant sa voix, mais en négociant avec ces acquéreurs ».
Pour sa part, l’universitaire Iriho révèle qu’un aménagement urbain réussi doit répondre à un certain nombre d’objectifs. Il réduit notamment les inégalités et propose une répartition uniforme des équipements et des offres de logements. Au siècle présent, une ville moderne doit intégrer des normes de résilience climatique et de tourisme afin de devenir attractive et compétitive.
Une ville doit évoluer nécessairement, mais la croissance urbaine doit respecter les droits des occupants. Le problème est que depuis longtemps on laisse délibérément les gens occuper le terrain et par après on se rend compte des constructions anarchiques et on s’empresse pour les démolir, déplore Kobako.
Tirer des leçons des autres pays en développement
Le chercheur Iriho informe que beaucoup de villes africaines existent depuis la période coloniale. Même si elles étaient installées sur des points géographiquement ou économiquement stratégiques, elles étaient néanmoins précaires au niveau urbanistique. Pour cela, les grandes villes actuelles ont dû entreprendre une série de mesures pour se moderniser dès l’aube des indépendances. C’est le cas des villes du Maroc avec l’exemple plus frappant du Marrakech.
L’histoire de Marrakech a été en effet jalonnée de projets de grande envergure qui ont modifié la physionomie de la ville et contribué activement à son essor économique, son renouveau et son rayonnement. C’est aussi le cas de Gaborone au Botswana, d’Addis-Abeba en Ethiopie, de Dar es Salam en Tanzanie, pour ne citer que celles-là.
Dans toutes ces villes, le but était la restructuration des quartiers précaires pour les transformer en véritable ville d’une image moderne. Cela doit donc se faire pour répondre aux besoins de la population urbaine. Les principales revendications de la population urbaine sont exprimées en termes de logement et de travail, l’aspiration aux « consommations collectives », sous forme d’équipements et d’infrastructures d’éducation et de santé.
Comment devrait être une expropriation correcte ?
« Le paiement de l’indemnité d’expropriation pour cause d’utilité publique est en tous les cas préalable à toute action de déplacement de la personne expropriée », signale l’article 1, de l’ordonnance ministérielle conjoint du 24 mai 2022, portant actualisation des tarifs d’indemnisation des terres, des cultures et des constructions en cas d’expropriation pour cause d’utilité publique.
Et dans son article 3, cette même ordonnance indique que l’indemnisation peut prendre la forme, soit d’une indemnité pécuniaire, soit d’un échange assorti, le cas échéant d’une indemnité partielle destinée à la réinstallation de l’exproprié.
Toutefois, nuance-t-il, l’exproprié peut exiger une indemnité pécuniaire. « A défaut d’accord à l’amiable, il s’en réfère à la juridiction compétente », précise-t-il.
Des conditions existent pour être indemnisé : « Le bénéficiaire d’expropriation doit présenter à l’autorité expropriante les documents authentiques prouvant les droits dont il réclame l’indemnisation », stipule cette ordonnance dans son article 4, qui précise qu’il s’agit d’un titre foncier, un certificat foncier, un titre administratif ou tout autre document d’acquisition du bien ou détention des droits objets d’expropriation.
Cette ordonnance revient aussi sur l’indemnisation des cultures selon les catégories. Et pour chaque cas que ça soit les terres, les cultures, les constructions, des tarifs sont fixés. Et ces nouveaux tarifs sont variables selon la classification des quartiers, en ville de Bujumbura. A titre illustratif, l’annexe 4 de cette ordonnance indique que dans les quartiers Bwiza, Buyenzi, Jabe, Nyakabiga, la valeur d’un mètre carré est fixée à 150 mille BIF tandis qu’à Kiriri, Rohero I, Rohero II, cette même superficie est indemnisée à hauteur de 350 mille BIF. Notons que les quatre premiers quartiers sont classés dans la catégorie des terrains viabilisés de haut standing, et les trois autres dans la catégorie des terrains viabilisés de moyen standing.
Vers une expropriation abusive ?
« L’expropriation doit suivre des procédures légales connues », souligne Louis Marie Nindorera, de l’organisation Jamii travaillant sur la gouvernance foncière. Et d’après l’article 214 du code foncier, font notamment partie du domaine privé de l’Etat, tant qu’ils ne sont pas affectés ou réaffectés à un service ou à un usage public, les biens fonciers vacants et sans maître.
Insistant sur les récents propos du ministère des infrastructures selon lesquels les propriétaires qui ne pourront pas être capables de se conformer à l’image de la ville d’ici 2040 se verront priver de leurs propriétés, M. Nindorera ne croit pas que l’Etat abuserait de cette clause de l’article 214, pour prétendre à des droits sur ces parcelles, sans compensation conséquente, en cas de saisie.
« S’il s’exécute, ça serait une expropriation abusive », commente-t-il. Et de prévenir : « Le gouvernement avance sur un terrain très dangereux. Avancer dans l’arbitraire sur un terrain aussi sensible que le foncier peut créer un très mauvais précédent. Si vous prenez possession des terrains qui ne sont pas bâtis, c’est sur quelle base légale ? »
Revenant aussi sur ces déclarations du ministre des infrastructures, à son tour, Théoneste Ndayiragije, enseignant-chercheur à l’Université du Burundi, à l’Institut d’administration et de cartographie foncière trouve qu’on ne peut pas parler de l’expropriation. Pour lui, il faut donner un plan et permettre à celui qui n’est pas capable de le respecter de vendre sa parcelle. « Normalement, je pense que c’est une orientation politique du gouvernement mais techniquement, je crois que les autorités vont s’ajuster parce qu’elles sont au courant de la loi. L’expropriation a des règles à suivre »
D’après lui, il faut d’abord déclarer ces parcelles cause d’utilité publique. « Et là, c’est tout un processus. Ça doit passer dans le conseil des ministres, à l’assemblée nationale, à la présidence. Il doit y avoir un décret », souligne-t-il.
Néanmoins, il précise que si c’est l’urbanisme qui a donné une parcelle à quelqu’un après viabilisation, il peut la récupérer et la donner à une autre personne si le premier propriétaire n’est pas capable de respecter le plan. « S’il s’agit d’une parcelle, une propriété qui n’est pas donné par l’urbanisme, donc privée, si le propriétaire n’a pas les moyens suffisants pour se conformer au plan, on lui donne normalement le délai de vendre personnellement sa propriété. » Si l’Etat décide de lui ôter sa parcelle, il indique que ça serait contraire à la loi.
De son côté, B.T, un juriste souligne qu’il faut se référer à la signification d’expropriation pour cause d’utilité publique. Sous couvert d’anonymat pour des raisons personnelles, il dit ne pas comprendre comment on peut parler d’expropriation pour cause d’utilité publique alors qu’on récupère une parcelle d’X pour la donner à Z sous prétexte qu’X n’a pas été capable de se conformer à un plan donné.
« Normalement, on parle de cause d’utilité publique quand par exemple, on exproprie des gens pour y construire une école, une route, un hôpital, etc. Mais, quand c’est pour que quelqu’un y installe une usine privée, un grand magasin,… est ce pour, réellement, cause d’utilité publique », s’interroge-t-il. D’après lui, il y a risque d’usage abusif de certains mots.
Des cas récents d’expropriations dénoncées par la population
En commune Gashikanwa de la province Ngozi, les coopératives Sangwe ont remplacé le projet d’un aérodrome annoncé depuis 2015. Près de 100 ménages qui vivaient sur la colline Kabamba dénoncent la mesure du gouvernement du Burundi de les exproprier avec une indemnité dérisoire alors que leurs propriétés sont actuellement exploitées par les coopératives Sangwe.
François Barakamfitiye qui habitait sur la colline Kabamba confie que lorsqu’ils ont entendu depuis 2015 qu’il y avait un projet de construction de l’aéroport, la population a salué cette mesure, car tout le monde sur place espérait un développement remarquable.
De surcroit, ceux qui y avaient des propriétés espéraient être les premiers à être servis en termes de main d’œuvre, vu le chômage qui frappe le pays. Déçu, cet homme d’un certain âge fait savoir qu’ils ont attendu, en vain, le démarrage des activités de la construction de cet aéroport de secours.
Bien plus, dénonce-t-il, la population a été expropriée de ses terres et n’a pas eu droit à la moindre revendication « Nous ne savons sur quel critère, les agents chargés de comptage de nos biens se sont basés pour calculer les indemnités. Ces dernières n’étaient que dérisoires ».
Et de se rappeler : « Au début, on nous disait que tant que les activités de construction de l’aéroport n’auront pas commencé, les propriétaires continueront à exploiter leurs terres. Ce qui fait mal, c’est qu’on nous a expropriés pour y installer des coopératives Sangwe ».
Ce père de 10 enfants, fait savoir que dans sa propriété de plus de 5 ha, y avait des cultures de toute sorte, des maisons, des arbres fruitiers, etc : « Je n’ai reçu qu’une indemnité de 7.100.000 Fbu. C’est cette somme que j’ai partagée avec tous mes 10 enfants. »
Yoweri Mukeshimana chef de colline Kabamba, lui aussi, n’y va pas par le dos de la cuillère : « Au lieu de se référer sur la loi de 2018 qui détermine les critères d’indemnisation aux personnes expropriées de leurs terres, les chargés des calculs d’indemnité se sont référés sur la loi de 1988. Ils n’ont pas tenu compte de la cherté de la vie actuelle. »
Théophile Nibizi administrateur de Gashikanwa admet de tout son cœur que les familles qui vivaient dans les 63 ha dans lesquels est prévue la construction d’un aéroport ont été indemnisées malgré que le calcul ne se soit pas référé sur la nouvelle loi qui détermine le processus d’indemnisation. « Ce que nous avons fait comme administration, lors des réunions de sensibilisation, était d’encouragé la population à acheter d’autres parcelles ailleurs pour ne pas gaspiller la somme reçue ».
Cet administrateur ajoute aussi que dans l’attente effective du début des activités, la commune en collaboration avec d’autres institutions habilitées ont jugé bon de laisser les coopératives Sangwe exploiter ces terres cédées au profit de l’aéroport. Ce faisant, confie-t-il, « nous avons voulu montrer aux ménages qui y vivaient, que les propriétés ne sont plus les leurs, mais qu’ils ont droit de s’associer aux autres membres des coopératives Sangwe ».
Il rappelle néanmoins que le projet de l’Etat peut être préparé tôt pour être exécuté un peu tard. Mais une chose dont il est sûr, est que tôt ou tard, ce projet sera mis en œuvre.
A Songa-Manyoni : 4 500 Fbu/m2 comme indemnité, une somme dérisoire…
La population de la commune Songa dans la province de Bururi qui a des terres ou des maisons dans les périmètres dans lesquels sont en train d’être construit un centre hydroélectrique de Jiji-Murembwe ne sont pas satisfaits de l’indemnité qu’ils ont reçue.
André Bagumako un habitant de la colline Musenyi sous colline Gatohwe, se félicite du projet de construction d’un centre hydroélectrique dans leur localité. Mais les indemnités perçues pour la cession de leurs terres au profit de ce projet étaient minimes : « Nous y avions des arbres fruitiers, des champs de manioc, haricots, des maisons, etc. Pourtant, nous avons reçu 4500Fbu/m2 pour céder définitivement nos terres. Nous ne sommes pas satisfaits. Nous avons revendiqué pour l’augmentation de cet indemnité jusqu’à 10.000Fbu/m2, mais en vain ».
A ce propos, Damien Ngendakuriyo, administrateur de la commune Songa, fait savoir qu’aucun habitant n’est satisfait de l’indemnité qu’il a reçue. Toutefois, confie-t-il, le gouvernement a fait un effort : « Pour des gens qui ont cédé leurs maisons et qui n’avaient pas d’autres parcelles ailleurs, la commune leur a cherché des parcelles et ces gens les ont payé des frais reçus de l’indemnité. Ensuite, le Gouvernement du Burundi via la Regideso, leur a construit de très belles maisons de valeur. Aujourd’hui, ils vivent ensemble dans des sites. » Ceux qui avaient d’autres parcelles ailleurs ou qui s’en ont procurées avec les frais d’indemnité, ils n’avaient qu’à présenter leurs parcelles et l’Etat se chargeait de leur construire des maisons modernes.
En commune Rumonge, c’est la réhabilitation de la RN3 et l’indemnité qui va avec qui pose problème. Un projet de réhabilitation de la route nationale RN3 est en cours. Mais même si la population salue cette initiative, certaines personnes dont la route est passée dans leurs champs sont mécontentes. Certains n’ont pas eu l’indemnité. Et ceux qui l’ont reçue, la juge dérisoire.
Moïse Tumbwa habitant de la colline Mutambara dans la commune et province Rumonge se réjouit du projet de réhabilitation de la route principale RN3 qui s’était gravement endommagée. Elle est un bien public. Mais l’indemnisation pose problème. « Des champs, des cultures, des maisons d’habitation, des arbres fruitiers, des kiosques pour ne citer que ceux-là, ont été détruits pour réhabiliter et agrandir cette route. Mais quelle sera la suite pour ceux qui ont cédé leurs biens ? N’est-ce pas recevoir une indemnité qui compense les pertes subies ? Mais alors, l’année s’est écoulée. Nous sommes encore dans l’attente. Encore plus inquiétant, personne ne sait les critères de référence pour des calculs d’indemnités,» se désole-t-il.
Juma Julias Ruhuzo, un des conseillers colliinaire de Mutambara confie que sur 170 ménages recensés pour recevoir de l’indemnité, seulement environ 20 l’ont reçue. Et ces derniers se lamentent que l’indemnité soit dérisoire. « Ce sont les gens aux gilets estampillés OBUHA qui sont venus faire des comptages des biens des habitants. Mais, l’indemnité qu’ils ont données ne compense pas les pertes de leurs biens, » indique-t-il.
Ce ne sont pas les habitants de la colline Mwange qui diront le contraire. Judith Nindorera n’est pas satisfaite de l’indemnité qu’elle a reçue de son terrain dans lequel étaient planté 10 palmiers à l’huile qu’elle a cédée pour la réhabilitation de la RN3.
Cette veuve confie qu’elle n’a reçu que 1. 108. 000Fbu. « Au comptage pour l’indemnité, un palmier à l’huile valait 50 000Fbu, alors que lorsqu’on l’achète, il vaut 200 000Fbu. Pour ce qui est de la terre, 1 m2 était calculé pour 4000Fbu. Nous avons essayé de réclamer pour revoir à la hausse cette somme, mais nous avons plutôt subi des menaces d’emprisonnement ».
Léonidas Bizimana chef de colline Mwange affirme que toute la population de cette colline a reçu son indemnité, mais il ne nie pas aussi que la majorité de ceux qui l’ont reçue se lamentent d’avoir reçu une somme dérisoire. Et de renvoyer la faute à la société SOGEA SATOM et l’ARB chargées de la réhabilitation de la route RN3 sur cette colline.
A Bujumbura, le cas le plus emblématique d’expropriation dénoncé est celui des parcelles proches du Palais présidentiel
Les propriétaires des parcelles situées dans les 160 ha proches du palais présidentiel au quartier Gasenyi en Mairie de Bujumbura, jugent dérisoire l’indemnité pour la cession de leurs propriétés et biens. Ils demandent à l’Etat de respecter le code foncier…
Le palais présidentiel est érigé sur 40 ha. Les propriétaires qui vivaient dans ce périmètre ont été indemnisés, et l’Etat leur a donné des parcelles à Maramvya, en province de Bujumbura. La population de cette localité indique qu’en 2016, le périmètre du palais a été agrandi jusqu’à 200 ha. Plus de 1500 familles qui habitaient dans les 160 ha ne sont pas encore indemnisées.
« Une équipe chargée de faire un inventaire des maisons, des propriétés et tout ce qui s’y trouve, s’y est rendue en 2022. Elle a fait des calculs et affiché des résultats », indique un habitant rencontré sur place.
Le constat est pour lui sans appel : beaucoup de lacunes. Certains ne trouvent pas dans ces résultats tout ce qu’ils ont comme biens dans leurs propriétés : « Le plus déplorable est que nous n’allons bénéficier d’autres parcelles ailleurs comme cela a été le cas pour les autres. »
M.D., habitant de Gasenyi, enchaîne : « Comme on a déjà donné des parcelles à ceux qui habitaient dans les 40 ha où se trouve le palais présidentiel, pourquoi ne pas les donner à ceux qui habitent dans les 160 ha ? Ce serait une injustice si on ne nous traite pas de la même façon. »
M.D. déplore que les gens à exproprier n’aient pas été associés à l’équipe chargée du comptage de l’indemnité d’expropriation. « Nous n’avons pas eu la latitude de négocier et d’échanger avec le gouvernement afin de lui confier ce que nous voyons sur terrain et comment nous vivons. Nous serons renvoyés de nos propriétés par force. »
L’impasse
Maître Emmanuel Niyongabo, qui représente la population possédant des parcelles dans ce périmètre présidentiel de 160 ha, confie que cette expropriation n’est pas conforme à la loi.
Se basant sur certains articles du code foncier, il explique. L’article 424 du code foncier demande à l’Etat de donner une indemnité d’expropriation qui doit compenser intégralement le préjudice subi par l’exproprié. L’indemnisation doit être négociée à l’amiable entre les parties intéressées ou, à défaut, par la juridiction compétente au sens de l’article 428 du code foncier. Quant à l’article 426, les ministres ayant les terres dans leurs attributions fixent par ordonnance conjointe le niveau minimal des tarifs d’indemnisation. Ces tarifs doivent être régulièrement actualisés.
Mais l’avocat s’inquiète : l’ordonnance produite par les ministres habilités détermine la valeur fixe à 5 millions Fbu par are.
Me Niyongabo fait savoir que, pour les parcelles qui se trouvent à côté de la superficie de 160 ha saisie par l’Etat, un are coûte entre 15 et 20 millions Fbu : « Avec 5 millions Fbu, une somme dérisoire, où allons-nous acheter des terres ? Nous attendons la réponse du Président de la République, Evariste Ndayishimiye. Nous lui avons adressé un courrier lui signalant que l’ordonnance produite n’était pas en conformité avec le code foncier.»
L’avocat indique avoir reçu en juillet 2022 une lettre du cabinet civil du président, signée le 25 juin 2021, proposant qu’il y ait une viabilisation par intégration. La population donnerait une partie de sa parcelle, et resterait avec une autre afin d’y construire des maisons suivant les plans qui seront donnés par le gouvernement. « Quelques jours plus tard, nous avons vu un décret qui saisit cette propriété pour raison d’utilité publique. Nous ne comprenons pas. Nous sommes dans l’impasse. »
Pour rappel 334 ha ont été également réservés pour la sécurité de la présidence. Le total de la superficie qui sera saisi est estimé à 534 ha. Maître Emmanuel Niyongabo doute que le projet ait été bien étudié. Raison pour laquelle il supplie le Président de la république de revoir le dossier.
« Une ordonnance bien conçue »
Diomède Ndayirukiye, directeur de l’Aménagement du territoire au ministère en charge de l’Environnement, affirme que l’expropriation des terres et l’indemnisation dans ce périmètre présidentiel de Gasenyi sont conformes. « Si une propriété est déclarée d’utilité publique, elle devient immédiatement propriété de l’Etat. Reste à appliquer ce que dit la loi relative à cet effet. Une ordonnance indiquant comment se fait le travail d’indemnisation est claire et compréhensible pour tout le monde, » confie-t-il.
Et de poursuivre : « Nombreux sont des gens de cette localité qui ont apprécié l’indemnité assignée. Ceux qui disent qu’elle est dérisoire ont d’autres idées en tête et spéculent. »
Répondant aux doléances de ceux qui affirment que les parcelles proches du palais présentiel s’achètent à plus de 20 millions par are et que l’indemnité devrait être calculée en se référant au coût des parcelles, le directeur rappelle qu’une ordonnance montre comment est répartie l’indemnisation suivant l’emplacement des localités.
Ce n’est pas parce que les commissionnaires de maisons ou parcelles fixent des prix dans une quelconque localité que ce doit être une unité de référence : « Non ! Imaginez-vous qu’au centre-ville un commissionnaire peut vendre une parcelle de 30 ares pour 3 milliards ? Est-ce logique ? Où est-il écrit que les parcelles dans des localités proches du palais présidentiel doivent s’acheter à plus de 20 millions ? » Pour lui, l’ordonnance qui fixe la manière dont se fait l’indemnisation au centre-ville de Bujumbura et à la périphérie de la ville est bien conçue : « C’est cette ordonnance que nous devons mettre en application. Dans son intégralité et sans violation de la loi. »
Ndayirukiye fait enfin savoir qu’il n’est mentionné nulle part que les propriétaires des parcelles à Gasenyi bénéficieront d’autres parcelles. Mais il tranquillise. Selon lui, la population de cette localité sera indemnisée en bonne et due forme.
Ces gens ont un agenda caché derrière ce soit disant plan.L’avenir nous le dira.
Nous avons déjà l’expérience où les papiers valeurs – billets de 5’000 et 10’000 – ont été d’un seul coup transformés en vulgaires bouts de papiers. Allons-nous cette fois-ci revivre la même situation où les titres de propriété obtenus en bonne et due forme vont être transformés en vulgaires bouts de papiers? Je parle bien sûr des propriétaires qui ont acquis des parcelles par vente/achat légalisé par les Titres fonciers, mais qui pour une raison ou une autre ne peuvent ou ne souhaitent pas les construire tout de suite. Je mets aussi une réserve pour les cas d’expropriation pour utilité publique, mais on ne va tout de même pas construire des hôpitaux et des écoles… sur toutes les parcelles non bâties!
None ga yemwe,1m² =150000
za mpangu za 4 ares mwumva arangah?Imana ituzigame
Prière de penser à l’amélioration de la vie sociale des gouvernés au lieu de construire de chateaux en Espagne.
C’est comme si on voulait s’aventurer à prendre une 2ème femme au moment ou on est pas à mesure de ravitailler en vivres la 1ère et ses enfants.
@Zaire James
« C’est comme si on voulait s’aventurer à prendre une 2ème femme au moment ou on est pas à mesure de ravitailler en vivres la 1ère et ses enfants. »
La polygamie est-elle encore permise au Burundi?
Attention tu es en train de donner des idées (pas bien) à quelques personnes!
Quelle est cette démarche de développer des immeubles dans un pays aussi pauvre qui n’a pas de routes dignes de ce nom?
La première chose serait peut être d’aider les burundais à trouver à manger convenablement.Combattre la malnutrition.A quoi vont servir des immeubles quand la majorité des burundais n’arrivent pas à se nourrir?Et pourquoi 2045 a été abandonné pour 2060?Avec la famine qui sévit il restera peu de burundais pour contempler le résultat de leur plan urbain en 2060.Est-le but de construire des chimères?Soyons réalistes.
1 m carré, 150.000
1 are = 100 m carrés
4 ares = 100*150000*4= 60 Millions, un peu moins de 15000 dollars Américains. A ce prix, il faut acheter si on en a les moyens.
Le souci serait que dans le pays, 80% de ménages seraient incapables d’économiser ou d’emprunter et rembourser une somme pareille. Devrons-nous vivre au rythme des quelques 20% de privilégiés dans ce pays?