Vendredi 22 novembre 2024

Politique

« Nous perdons du temps à nous haïr…»

18/05/2021 1
« Nous perdons du temps à nous haïr…»

Dans le Burundi traditionnel, les discours de haine se distillaient et conduisaient à des conflits violents. Abbé Adrien Ntabona, fin connaisseur de la tradition burundaise, explique que des mécanismes étaient mis en place pour faire la paix.

Dans le Burundi traditionnel, s’observait-il des discours de haine comme on en connaît aujourd’hui ?

Bien sûr. La haine dans la tradition burundaise était tout à fait normale. Parfois obligatoire du point de vue des esprits des groupes. Il y avait beaucoup de parole terrible à ce sujet. Le discours haineux était quelque peu manichéen. Nous sommes bons, vous êtes mauvais. Nous méritons la vie, vous méritez la mort. C’était pratiquement la logique de guerre. La guerre commence par la tête. On commence à se faire ennemis verbalement et finalement on le fait physiquement.

Quelle était la conséquence ?

Les gens considéraient la société comme guerrière, c’est-à-dire une société où la violence est autorisée pour régler les conflits. Les groupes antagonistes se faisaient facilement la guerre. Je dois ajouter que c’étaient des groupes claniques ou bien autour d’un chef ou sous-chef. Ces clans comprenaient des Hutu et des Tutsi portant parfois les mêmes noms. Si bien que des Hutu et des Tutsi, d’un côté, se battaient contre des Hutu et des Tutsi, de l’autre côté. Il n’y avait pas de guerre ethnique.

Comment parvenaient-ils à résoudre les conflits ?

Quand les conflits avaient eu lieu et devenaient violents, il y avait trois moyens pour sortir de la guerre. Primo, le chef envoyait un délégué pour dire d’arrêter la violence. Secundo, quelqu’un qui avait le pouvoir religieux dans la société, un chef du Kubandwa, pouvait prononcer un discours religieux. A ce moment-là, les gens arrêter la guerre.
Tertio, les Bashingantahe (sages traditionnels) venaient étant des deux côtés du conflit et disaient : ‘’ Halte! Vous êtes des frères, ne vous tuez pas.’’ Les groupes belligérants exprimaient leurs litiges et les Bashingantahe tranchaient. On amenait les vivres, on pétrissait la pâte sur place. On amenait de boissons, on tuait un taureau. Les belligérants se lavaient les mains pour dire qu’ils mettaient un terme au conflit. A partir de là, le discours de paix revenait. On disait : ‘’S’il vous plait, ne vous massacrez plus, vous êtes des frères, mariez-vous.’’ Le mariage étant interdit entre ennemis.

Etaient-ils efficaces et durables?

Non seulement les Bashingantahe étaient là pour veiller au grain, mais aussi celui qui recommençait à être violent était puni par les siens. Il fallait surtout ne pas provoquer. Quand tu faisais paître le troupeau dans les champs d’un ennemi, tu étais puni car tu provoquais un conflit inutile. Autrefois, on commençait à battre les vaches avant de se battre.

Les mécanismes utilisés peuvent-ils servir aujourd’hui ?

Ces mécanismes sont extrêmement précieux. Le fait de reconnaître son propre tort au lieu de le jeter seulement aux autres. Le fait de faire rencontrer les ennemis en leur demandant de s’écouter mutuellement et de reconnaître la raison de l’autre, c’est important. Il nous faut ces mécanismes aujourd’hui. Je considère que nous pouvons en profiter. Nous perdons énormément de temps à nous haïr, à nous invectiver, à nous traiter de ceci et cela et finalement à nous tuer. Nous avons donc une grande tâche de sortir de la logique de guerre, de la société guerrière pour une société de paix et de de développement.

Forum des lecteurs d'Iwacu

1 réaction
  1. Kajekurya Gabirya

    Sha uburundi bwakize!!! Nta vyishi nshimwe kuvuga. Merci bcp iwacu qui donne la parole à monsieur et madame tout le monde.

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