Vendredi 22 novembre 2024

Société

« Nous avons tous des blessures visibles et invisibles»

05/01/2021 Commentaires fermés sur « Nous avons tous des blessures visibles et invisibles»
«  Nous avons tous des blessures visibles et invisibles»

Octobre 1993, une jeune fille de neuf ans voit son père et ses deux frères assassinés quasiment sous ses yeux. Elle s’appelle Lydia Ininahazwe-Sentamo. Son père est Tutsi, membre du Frodebu, avec la victoire de son parti, il a été nommé gouverneur de province. Commence alors une terrible errance qui va conduire la famille traumatisée à travers la RDC, la Tanzanie, le Rwanda, toute une région gangrenée par la violence génocidaire. A deux semaines de la sortie de ce livre, l’éditeur, Antoine Kaburahe, s’est confié à un journaliste.

La cicatrice, un titre terrible…

Pas forcément. Quand on a une cicatrice, c’est que la blessure n’est plus béante. La personne blessée est sur la voie de la guérison.

Mais en kirundi on dit que « inkovu iryana » ( la blessure démange)

En kirundi on préconise de mettre un peu de pommade sur la blessure pour l’adoucir. Pour Lydia, sa « pommade » à elle a été l’écriture. Sortir sa douleur par les mots. Mais aussi pour rendre hommage à son père et ses deux frères quasiment tués sous ses yeux. Elle raconte ce que ses yeux d’enfant ont retenu de cette enfance douillette fracassée au lendemain de l’assassinat du Président Melchior Ndadaye.

Est -ce que ce livre ne va pas nourrir la rancune ?

Je ne publierai jamais un livre de haine ! La force de ce témoignage c’est qu’il va justement au-delà d’une vision manichéenne . Le père de Lydia est Tutsi, sa maman est Tutsie également, d’origine rwandaise. Son père et ses deux frères sont tués par des Tutsis. Au même moment, sur les collines, les Tutsis sont en train d’être exterminés par des Hutus. Dans la province de Karuzi, il y a eu des pogroms terribles. La famille fuit jusqu’en RDC, mais là elle est traquée par des Hutus. Elle gagne la Tanzanie. Mais là aussi elle est en danger. La maman rejoint son pays d’origine, le Rwanda, quand le génocide contre les Tutsis commence. La fuite, de nouveau, vers… Le Burundi ! C’est une errance presque sans fin dans une région gangrenée par la haine et la violence génocidaire.

Qu’est-ce que vous avez aimé dans ce livre ?

C’est un livre qui vient bouleverser les certitudes. Il n’y a pas les bons et les méchants. J’aime les livres qui dérangent, qui poussent à nous interroger. Le livre montre que n’importe qui peut être ange ou démon. C’est aussi un hommage à la mère. J’ai découvert la force d’une femme prête à donner sa vie pour protéger les deux enfants qui lui reste dans cette région en furie. Mais surtout, Lydia donne un message fort : pour se reconstruire, il faut pardonner.

Pourtant, même avec Hutsi, un livre qui parle également de la violence et de la résilience, vous avez été très attaqué…

Paradoxalement, ce sont ceux qui ne lisent pas les livres qui attaquent le plus. C’est triste, mais c’est ainsi. Tous ceux qui ont lu « Hutsi » l’ont aimé. Car c’est un livre sincère, presque intime. Mais je n’édite pas des livres pour contenter ou déplaire. J’édite des livres qui, à défaut d’être appréciés aujourd’hui, parce qu’ils dérangent justement, serviront aux générations futures. On ne peut pas bâtir un pays sur le silence ou le déni. Ma contribution à notre histoire difficile, ce sont ces témoignages, ces paroles sauvées de l’oubli. Rien n’arrête un livre. Les paroles s’envolent. Les écrits restent.

Vous avez publié plusieurs ouvrages, vous avez travaillé avec deux anciens Présidents de la République, Pierre Buyoya et Sylvestre Ntibantunganya, un archevêque, un militant des droits de l’homme, etc. Quelle est la personnalité qui vous a le plus marqué ?

Chaque œuvre est unique. Chaque auteur est différent et il a un rapport particulier avec l’Histoire. Mais plus je lis et j’écoute les témoins de notre histoire, plus je me rends compte combien nous sommes tous blessés. En fait, nous avons tous des blessures visibles et invisibles.

Lydia Ininahazwe-Sentamo

Dans ce livre, dites-nous un passage qui vous a marqué

Tout le livre est bouleversant. A un moment, au cours de leur errance, la mère de Lydia a demandé à une amie de lui acheter un short en jeans. L’amie intriguée lui a demandé pourquoi une dame âgée comme elle a besoin d’un short en jeans. Elle lui a dit qu’elle avait peur de devenir folle : «si un jour ma folie se confirme et que j’enlève mes habits en pleine rue, au moins il me restera un short en dessous pour cacher ma nudité… » Le lendemain, son amie est revenue avec le short.

D’autres livres à paraître aux éditions Iwacu ?

Oui, cette année trois publications sont prévues. Deux essais politiques et un roman.

Une question personnelle. Des études universitaires, des articles de presse, des livres, comment faites-vous ?

(Silence) L’exil n’est jamais facile. Le risque de ruminer sur son sort, de sombrer dans les idées noires, le désespoir, est très grand. Travailler, écrire, c’est peut-être une manière de résister…

Propos recueillis par Egide Nikiza

Le livre sort aux Editions Iwacu le 27 janvier. Vous pouvez déjà réserver votre exemplaire (20 euros)

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