Par *Régine Cirondeye, Ottawa (Canada)
C’est un livre qui se lit très chaud et très vite, comme on mange la pâte de manioc et un poisson (Imboga) baignant dans la sauce rouge à l’huile de palme chez moi dans la plaine de l’Imbo, au Burundi.
C’est un livre profond, car à la fin, le lecteur ou la lectrice s’interroge. « Tout ce que je sais c’est que je ne sais rien », a dit Socrate. A la fin de la lecture- j’ai su que je ne savais rien.
En fait, « Hutsi, au nom de tous les sangs » est tout ça et bien plus.
De père Hutu et de mère Tutsi (plus précisément Ganwa de la famille royale), dans sa débâcle avec son identité au Burundi qui a viré au binaire (Hutu Tutsi ou rien), Aloys de Gonzague Niyoyita a revendiqué ici une autre identité, « Hutsi », et non Hutu, et non Tutsi.
Cela fait parler bien sûr les « puristes», le débat est vif sur les réseaux sociaux. Tant mieux. Mais Niyoyita a ce droit, car dans son corps, son acide désoxyribonucléique (ADN) est Hutsi. Merci de considérer à juste titre la part des femmes dans ta vie.
Ce livre est un témoignage personnel et historique, une réponse à ma myriade de questions et à celles des générations actuelles, mais surtout des générations futures sur l’Histoire mal contée des deuils du peuple burundais dont les « évènements » de 1972, tenez-vous bien, qui ont eu lieu de mon vivant et dont certains des acteurs et victimes sont encore vivants et connus, dans nos proches pâturages.
Et plus encore, jai découvert dans ce livre l’univers et le dilemme peu connu, celui des « Hutsis » pour reprendre le mot de Niyoyita.
Le livre, une cloche distincte dans l’univers de l’Histoire du Burundi.
C’est un livre à ne pas rater, une approche inédite. Ligne après ligne, paragraphe après paragraphe, les pages peignent le Burundi en porcelaine de nos ancêtres qui s’est brisé à chaque coup de sifflet d’un mauvais commandant à bord. Avec par la suite, l’inévitable lot de morts, de misères, de haines viscérales et de colères.
Ce livre nous brosse l’humanisme de mon pays, l« Ubuntu » fracassé.
Entre nous, le point de départ de la vengeance est la flamme de la colère, le sentiment juste ou faux d’un affront intolérable.
Ce sont ces potentielles sources infâmes de rhétoriques de revanche que Niyoyita a questionné avec un point d’interrogation plus grand que le Burundi meurtri.
Symbiose d’une belle plume, un coeur ouvert et une âme grandiose
Quid de la plume d’ Antoine Kaburahe! L’écrivain a su reproduire sans entrave le coeur, mais surtout l’âme glabre du résilient « Hutsi », Niyoyita, face au mal qui, en 1972, lui a dérobé un père aimant et innocent et dans la foulée « fracassé » toute une jeunesse. Merci Kaburahe.
Niyoyita a survécu par la force et le courage de sa mère Tutsi. Il rend hommage à ses soeurs, Laetitia et Justine, des véritables leaders, piliers de la petite famille meurtrie.
Aloys a tenu aussi grâce à sa croyance. « Jah Live! »
Il est passé jambes jointes du statut de Victime des tristes « évènements » de 1972 au Burundi – qui aurait pu l’armer pour la vengeance – à celui de Survivant. Non sans fractures, entorses et blessures. Ce qu’il reconnaît humblement :
« La mort de papa n’a pas laissé indemne la famille Kanyarushatsi. On a appris à vivre, à survivre avec nos blessures et avec nos questions lancinantes, sans réponses ».
Aloys Niyoyita ne se fait pas passer pour un surhomme. Un tel traumatisme laisse des traces. Il avoue :
« Nous avons pu nous en tirer. Mais peut-être que nous-mêmes sommes atteints. Au fond, quel Burundais est vraiment sain » ?
Mais malgré tout et c’est sa force, Niyoyita prône la paix, l’unité, la réconciliation, et surtout il rêve de léguer aux générations futures un Burundi uni, honneur à son père fauché dans sa jeunesse.
Passé composé, présent indicatif, futur conditionnel
Le coup de cur de Niyoyita lance un débat et parle à la génération actuelle, meurtrie, blessée, celle qui a grandi au rythme dune soupe limpide de mensonges et demi-vérités embaumées dans des adjectifs diminutifs, dans des terminologies destructrices de la personnalité (Abamenja, Inyankaburundi, Mujeri et j’en passe).
Niyoyita défie les dogmes perturbateurs et rancuniers de toutes les époques, instigateurs de tueries tous azimuts d’innocents au nom de tous les sangs des innocents versés sur le chemin de notre Histoire.
Il nous rappelle que nous, Burundais et Burundaises, sommes une esperluette (&) et même un signe de linfini (∞) tiré de tout côté. Amen.
Bémols nécessaires : Privilèges
Niyoyita avait une mère Tutsi. De prime abord, du jour au lendemain, cette dernière est devenue veuve. Néanmoins, son coussin social – la source ultime de rebondissement de tout humain en détresse – est resté plus ou moins intact.
Je n’ignore pas du tout le dédain, l’exclusion sociale vécue par certaines veuves Tutsi et la gourmandise masculine qui les a harassés, les prenant pour des proies faciles, puisque fragiles. Je pourrais écrire un livre là-dessus. Je tiens néanmoins à souligner quil va sans dire que certaines veuves Tutsi, ont pu rester dans leurs maisons et garder certains biens de la famille « uwuhagarikiwe ningwe aravoma ».
D’autres femmes veuves Tutsi au foyer, ont pu occuper de petits emplois de secrétaire, d’enseignante, etc.
Juste à côté dans le voisinage, une femme Hutue est devenue dans un clin d’oeil, veuve, orpheline de père tout au moins, quelques-uns de ses enfants – jeunes adultes ou adultes – ont manqué à l’appel, ses oncles, et ses grands-parents ont disparu. Elle est devenue sans abri. Le restant de la famille a pris le large. Pensez à elle. Une fois, deux fois, trois fois.
Quid de la douleur et résilience de ces deux femmes, toutes les deux veuves, appelées à éduquer les enfants qui leur restaient? Quid de l’extrême souffrance de fils et filles hutus (100%), orphelins de 1972, traumatisés jusqu’à la moelle des os, restés vivants par la grâce de Dieu? Le processus de recouvrement dun Hutu de mère et de père a eu sans aucun doute, une trajectoire différente de celui du « Hutsi » qu’est Niyoyita, de part, entre autres, ce seul privilège de sa mère Tutsi de 1972.
Ce processus se retrouve dans d’autres livres et autres témoignages aussi poignants que celui-ci. Et c’est un calvaire.
Le « privilège », de juste être Tutsi en 1972 ou être Hutu en ce moment au Burundi, mérite une attention particulière. Selon moi, ne pas savoir apprécier à juste titre ce privilège est une des raisons de l’éternelle minimisation de la souffrance de l’autre.
Tenez, comme Niyoyita, j’ai fréquenté lAthénée de Gitega. Pour moi, Tutsi, la Prison centrale de Gitega était une prison comme tant d’autres. Mais pour lui cette prison est un « Trigger psychologique » éternel, lisez le livre pour comprendre pourquoi. Cependant,
“We cannot have a world where everyone is a victim. Yes, we are indeed formed by traumas that happen to us. But then we must take charge, we must take over, we are responsible.”
― Camille Paglia
Parlons. Écrivons. Écoutons. Nous en avons besoin comme individus et comme peuple burundais pour guérir, car comme Robert Brisebois le dit si bien, « Le silence et la solitude sont des auges où mangent la haine et le mépris. ».
Et pour terminer, Socrate avait raison :
« Tout ce que je sais, c’est que je ne sais rien. »
Merci Kaburahe. Merci Niyoyita.
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*Régine Cirondeye, vit et travaille au Canada. Elle est très engagée dans la défense des droits de la personne et les droits de la femme en particulier.[email protected]