Par Mames Bansubiyeko*
Je viens de lire et relire ce témoignage d’Aloys, à plusieurs reprises, j’ai dû m’arrêter ; non seulement pour laisser les mots se décanter, mais aussi pour consulter les innombrables autres témoignages qui jonchent mes archives et ma bibliothèque. Certains datent de 1973 à mon arrivée à l’école secondaire de Kamenge. D’autres, plus structurés, datent du début des années 1990.
L’un des aspects les plus frappants c’est que la plupart de ces témoignages se ressemblent. Ils se ressemblent, et cela presque mot pour mot ; on retrouve le même schéma macabre, le même mode opératoire :
– Une convocation rédigée par une autorité locale
– Une convocation ou un ordre du commandant pour les victimes militaires ;
– Ensuite, de bonne foi la victime se sachant innocente se presse à répondre avec une docilité qui frise la naïveté,
– La suite … C’est une disparition pure et simple.
– Quelques jours après, les biens de la victime sont saisis, pillés au vu et au su de tous !
– Tous les voisins savent, tous les « amis » voient et laissent faire.
– Une veuve et ses petits sont jetés dehors sans que personne ne lève le petit doigt.
– Des personnes s’accaparent des biens, occupent la maison des victimes sans que personne ne daigne se sentir coupable d’un silence aussi honteux et criminel…
Un de mes beaux-frères m’a fait part de son témoignage, il est à tout point semblable à celui de Aloys. Une de mes belles-sœurs a déjà pris le temps d’en faire plusieurs ouvrages.
En 1986, un voisin très jeune (+/-13ans) m’a fait part d’un tout autre témoignage, il était né d’un « père » qui aurait commandité la mort de l’ex-mari de sa mère. Ensuite, le criminel s’était accaparé de la veuve. De ce viol était naît le pauvre gamin. Les conséquences sont terribles, car pour la mère, elle ne supportait de voir ce gamin, les 3 premiers enfants ne voulaient plus qu’il approche de leur maison et il s’était réfugié chez-moi. Vers 14 ans, cet enfant a été pris en charge par un ami qui travaillait à l’USAID et qui lui a trouvé un visa pour se réfugier aux USA.
Que dire d’autre : c’est fou ce que le peuple burundais vit et souffre dans le silence et la résignation.
Je reviens sur le passage où la jeune veuve mère d’Aloys se retrouve prise d’assaut par des prédateurs qui en plus de leur forfait cherchent à pousser encore plus loin et occuper le lit du supplicié.
Plusieurs enfants sont nés de ces viols abjects et ils vivent dans le silence et la résignation. Ils sont des milliers dans le Burundi d’aujourd’hui. J’en ai eu plusieurs de leurs témoignages. Pour plusieurs d’entre eux, leur vie est simplement un cauchemar.
Que dire d’autre, sinon un sentiment d’incompréhension, surtout vis-à-vis des membres de la CVR qui des années durant n’arrivent pas à recouper ces témoignages, à interroger les autorités de l’époque, à consulter les archives de l’administration pour retrouver les listes sur base desquelles ces maudites convocations étaient établies.
Bref, j’ai juste une suggestion : pourquoi ne pas organiser des colloques et inviter les auteurs de ces témoignages à les partager avec d’autres Burundais ou amis du Burundi. « Ngo uwuza gukira ingwara arayirate » (pour guérir d’une maladie, il faut d’abord la reconnaître).
*Mames Bansubiyeko est né en 1958. Il est entré à l’ETS (Ecole Technique Supérieur de Kamenge) en 1973 juste après le carnage qui ,une année avant, venait d’emporter un nombre effrayant d’étudiants. En 1985, il est retourné au Burundi après ses études universitaires en Belgique pour repartir à nouveau en 1996.