Lundi 23 décembre 2024

Culture

« Nkoni yera », une voix, une femme forte

04/11/2019 Commentaires fermés sur « Nkoni yera », une voix, une femme forte
« Nkoni yera », une voix, une femme forte
« L’indiscipline, le népotisme, la loi du plus fort, la corruption et l’injustice gangrènent notre société.»

Installée à Kirundo, à plus de 230 km de Bujumbura, au nord du pays, Générose Nacumi, auteure de l’épithalame très connu, ‘’Inkoni yera’’, revient sur son enfance, ses œuvres, etc. Elle dénonce une usurpation de ses œuvres et fait un point sur la musique burundaise. Rencontre.

Pour certains, Kirundo rappelle l’ancien grenier du Burundi avec  ses haricots, ses sorghos, etc. Récemment touchée par une famine sévère, l’espoir renaît. Cette région  offre  aujourd’hui un paysage  verdoyant. Des bananeraies très touffues dominent les maisons. Le riz inonde les boutiques alimentaires, etc.

Riche culturellement, Kirundo héberge des doyens de la musique burundaise. Leurs œuvres captivent encore. Générose Nacumi, 73 ans, très populaire avec son « Nkoni yera » s’est établie sur la colline  Kavomo, sous-colline Kabagabaga, à plus ou moins trois kilomètres du chef-lieu provincial.

Une route glissante en cas de pluies mène chez elle. A deux reprises, on a failli se retrouver dans la vallée. A plus de 200 mètres de son domicile, le mini-centre de Kavomo, des gargotes,  quelques petites boutiques, etc. « Cette voiture se rend chez Nkoni yera », crient  des enfants croisés sur le lieu. « C’est là », enchaîne un d’entre eux. En galopant derrière le véhicule, ils nous escortent chez l’artiste.

Enfin, on la voit. C’est une « mama » en ‘’imvutano’’,  portant un foulard sur sa tête, elle sort dignement de sa maison. Teint noir, pieds nus, calme, les joues entre ses mains, elle nous fixe. Le temps de garer la voiture, nous allons vers elle. Pourtant propre, avec un petit sourire au coin de ses lèvres, elle prend le soin de laver ses mains avant de nous saluer.

Soudain, sans avertissement, elle nous tourne le dos. « Vraiment, j’ai peur des visiteurs en voiture. Cela m’attire des ennuis. Après votre départ, les gens diront que j’ai reçu des millions de francs. »

La partie s’annonce serrée, mais nous jouons la diplomatie. Après notre présentation, le contact est établi. « Je pensais que ce sont ces escrocs qui exploitent mon nom, mes œuvres. Bienvenus.»  Et de glisser d’ailleurs que sa maison est un cadeau des journalistes : « C’est un groupe de journalistes qui a donné l’argent. Elle devrait être en durs. Malheureusement, une partie des fonds a été détournée. Certains natifs d’ici se sont mêlés dans la gestion. Et voilà, ce qu’on m’a fait. »

La chanteuse Nacumi devant sa nouvelle maison

De forme rectangulaire, d’environ 10 m sur 7 m, sa demeure est construite en briques adobes. Couverte de tôles, elle n’a que trois chambres et un petit salon. Non cimentée, ses fenêtres et ses portes  sont  faites en bois.  Elle n’a pas de clôture.  Selon elle, ces bienfaiteurs lui avaient même promis aussi de l’argent : « Aucun sou ne m’est parvenu. Peut-être qu’il a été détourné.» Mais, avoue-t-elle, ce n’est pas la faute à ces journalistes.

Sidérée, elle parle d’un autre groupe d’’’escrocs’’.  « Ils m’ont apporté une caisse de Fanta disant que c’est de la part d’un bienfaiteur se trouvant en Suède. Tout mon entourage a cru que j’ai reçu des millions de francs. Or, aucun sou ne m’a été donné. »  Et  cette visite  a fait la Une de certains médias. « Qu’ils arrêtent de mendier sous mon nom. J’ai été délaissée. Dieu seul saura me venir en aide.»

Mère de six enfants, veuve, elle vit en solitaire. « J’ai un fils qui vient de passer plus de dix ans sans mettre les pieds chez moi. Il vit à Bujumbura. »

Une enfance choyée et ses œuvres

« J’ai eu une enfance gâtée.  J’étais la privilégiée de mon père. Je restais à côté de lui quand il échangeait avec ses pairs. Je buvais beaucoup de lait. J’étais très grosse, bonne à regarder  », dit-elle, nostalgique.

En côtoyant les Bashingantahe (notables), en écoutant leurs échanges,  leurs histoires, … elle y a trouvé une inspiration. Elle a grandi aussi dans un mouvement d’action catholique. Et son talent de chanteuse a été vite détecté. Elle a été  désignée animatrice.  Chaque 1er mai,  une occasion de se faire démarquer. Car, explique-t-elle, la fête du Travail coïncide avec  celle de Saint-Joseph.  « A Kanyinya, on organisait des festivités. On s’exhibait devant les hautes  autorités. De là, j’ai pu participer dans un festival de chanson  à Muyinga. Et mon équipe a été la première. » Un déclic pour se lancer.

En 1967, elle sort sa première chanson ‘’ N’amabano y’inka’’, un hommage à la vache. « Elle était un symbole de la richesse. C’était un signe de pouvoir. »  Un  appel aussi au patriotisme, à la bravoure, au refus de l’aliénation.

Une chanson porte-bonheur, car, justifie-t-elle, c’est après sa sortie qu’elle s’est mariée en  1968. La même année, un autre tube est sorti : ‘’Inkoni yera’’. Une dédicace à l’Ubushingantahe« Pour y être investi, certains critères devraient être remplis : dire la vérité, quelle que soit la situation, être réconciliateur, incorruptible, etc. »  ‘’Inkoni’’ signifiant la baguette utilisée par les notables en tranchant les conflits et l’adjectif ‘’Yera’’ renvoie à la couleur blanche, sans tâches, donc à la vérité.  Pour dénoncer la jalousie négative, la chanteuse a sorti : «Mbabaze abahizi».  Elle regrette que ses œuvres aient été dénaturées.

Ses autres chansons ont été censurées. « On y glorifiait les noms des présidents comme Micombero. Quand il a été éjecté, elles ont été interdites. » Elle fait ainsi un clin d’œil aux artistes : «  Lorsque vous chantez de telles personnalités, quand elles partent, vos œuvres aussi s’effacent.»

Traditionaliste et contre l’injustice  

Malgré son âge, Nacumi se produit encore dans des fêtes.  Agricultrice, elle n’apprécie pas le travail de jeunes chanteurs. « J’ai même honte d’entendre certains mots tabous balancés dans leurs chansons. Ils ne chantent que leur corps. Aucun message éducatif. » Au lieu d’éduquer, ils appellent nos enfants au vagabondage sexuel, à l’alcoolisme. « Voilà. Aujourd’hui, on envoie une fille à l’école, à la fin de l’année, elle t’apporte un bébé à la place d’un diplôme. Ils dévalorisent notre culture. » Selon elle, de tels chanteurs méritent  d’être recadrés, formés. « Car, un artiste  est le miroir et l’éducateur  de sa communauté. »

Générose Nacumi dénonce l’injustice dont elle est victime. « Aujourd’hui, engager un procès judiciaire demande un capital. Mes champs sont tout le temps abîmés. Mais, quand je porte plainte, on m’exige des pots-de-vin. » En cas d’assistance aux démunis ou aux plus âgés, les administratifs à la base exigent souvent quelque chose en contrepartie pour figurer sur la liste.  « L’indiscipline, le népotisme, la loi du plus fort, la corruption et l’injustice  gangrènent notre société ». 

A nos chers lecteurs

Nous sommes heureux que vous soyez si nombreux à nous suivre sur le web. Nous avons fait le choix de mettre en accès gratuit une grande partie de nos contenus, mais une information rigoureuse, vérifiée et de qualité n'est pas gratuite. Nous avons besoin de votre soutien pour continuer à vous proposer un journalisme ouvert, pluraliste et indépendant.

Chaque contribution, grande ou petite, permet de nous assurer notre avenir à long terme.

Soutenez Iwacu à partir de seulement 1 euro ou 1 dollar, cela ne prend qu'une minute. Vous pouvez aussi devenir membre du Club des amis d'Iwacu, ce qui vous ouvre un accès illimité à toutes nos archives ainsi qu'à notre magazine dès sa parution au Burundi.

Editorial de la semaine

Que la compétition politique soit ouverte

Il y a deux mois, Iwacu a réalisé une analyse de l’ambiance politique avant les élections de 2020 et celles à venir en 2025. Il apparaît que la voix de l’opposition est presque éteinte. Il n’y a vraiment pas de (…)

Online Users

Total 2 935 users online