Installée à Kirundo, à plus de 230 km de Bujumbura, au nord du pays, Générose Nacumi, auteure de l’épithalame très connu, ‘’Inkoni yera’’, revient sur son enfance, ses œuvres, etc. Elle dénonce une usurpation de ses œuvres et fait un point sur la musique burundaise. Rencontre.
Pour certains, Kirundo rappelle l’ancien grenier du Burundi avec ses haricots, ses sorghos, etc. Récemment touchée par une famine sévère, l’espoir renaît. Cette région offre aujourd’hui un paysage verdoyant. Des bananeraies très touffues dominent les maisons. Le riz inonde les boutiques alimentaires, etc.
Riche culturellement, Kirundo héberge des doyens de la musique burundaise. Leurs œuvres captivent encore. Générose Nacumi, 73 ans, très populaire avec son « Nkoni yera » s’est établie sur la colline Kavomo, sous-colline Kabagabaga, à plus ou moins trois kilomètres du chef-lieu provincial.
Une route glissante en cas de pluies mène chez elle. A deux reprises, on a failli se retrouver dans la vallée. A plus de 200 mètres de son domicile, le mini-centre de Kavomo, des gargotes, quelques petites boutiques, etc. « Cette voiture se rend chez Nkoni yera », crient des enfants croisés sur le lieu. « C’est là », enchaîne un d’entre eux. En galopant derrière le véhicule, ils nous escortent chez l’artiste.
Enfin, on la voit. C’est une « mama » en ‘’imvutano’’, portant un foulard sur sa tête, elle sort dignement de sa maison. Teint noir, pieds nus, calme, les joues entre ses mains, elle nous fixe. Le temps de garer la voiture, nous allons vers elle. Pourtant propre, avec un petit sourire au coin de ses lèvres, elle prend le soin de laver ses mains avant de nous saluer.
Soudain, sans avertissement, elle nous tourne le dos. « Vraiment, j’ai peur des visiteurs en voiture. Cela m’attire des ennuis. Après votre départ, les gens diront que j’ai reçu des millions de francs. »
La partie s’annonce serrée, mais nous jouons la diplomatie. Après notre présentation, le contact est établi. « Je pensais que ce sont ces escrocs qui exploitent mon nom, mes œuvres. Bienvenus.» Et de glisser d’ailleurs que sa maison est un cadeau des journalistes : « C’est un groupe de journalistes qui a donné l’argent. Elle devrait être en durs. Malheureusement, une partie des fonds a été détournée. Certains natifs d’ici se sont mêlés dans la gestion. Et voilà, ce qu’on m’a fait. »
De forme rectangulaire, d’environ 10 m sur 7 m, sa demeure est construite en briques adobes. Couverte de tôles, elle n’a que trois chambres et un petit salon. Non cimentée, ses fenêtres et ses portes sont faites en bois. Elle n’a pas de clôture. Selon elle, ces bienfaiteurs lui avaient même promis aussi de l’argent : « Aucun sou ne m’est parvenu. Peut-être qu’il a été détourné.» Mais, avoue-t-elle, ce n’est pas la faute à ces journalistes.
Sidérée, elle parle d’un autre groupe d’’’escrocs’’. « Ils m’ont apporté une caisse de Fanta disant que c’est de la part d’un bienfaiteur se trouvant en Suède. Tout mon entourage a cru que j’ai reçu des millions de francs. Or, aucun sou ne m’a été donné. » Et cette visite a fait la Une de certains médias. « Qu’ils arrêtent de mendier sous mon nom. J’ai été délaissée. Dieu seul saura me venir en aide.»
Mère de six enfants, veuve, elle vit en solitaire. « J’ai un fils qui vient de passer plus de dix ans sans mettre les pieds chez moi. Il vit à Bujumbura. »
Une enfance choyée et ses œuvres
« J’ai eu une enfance gâtée. J’étais la privilégiée de mon père. Je restais à côté de lui quand il échangeait avec ses pairs. Je buvais beaucoup de lait. J’étais très grosse, bonne à regarder », dit-elle, nostalgique.
En côtoyant les Bashingantahe (notables), en écoutant leurs échanges, leurs histoires, … elle y a trouvé une inspiration. Elle a grandi aussi dans un mouvement d’action catholique. Et son talent de chanteuse a été vite détecté. Elle a été désignée animatrice. Chaque 1er mai, une occasion de se faire démarquer. Car, explique-t-elle, la fête du Travail coïncide avec celle de Saint-Joseph. « A Kanyinya, on organisait des festivités. On s’exhibait devant les hautes autorités. De là, j’ai pu participer dans un festival de chanson à Muyinga. Et mon équipe a été la première. » Un déclic pour se lancer.
En 1967, elle sort sa première chanson ‘’ N’amabano y’inka’’, un hommage à la vache. « Elle était un symbole de la richesse. C’était un signe de pouvoir. » Un appel aussi au patriotisme, à la bravoure, au refus de l’aliénation.
Une chanson porte-bonheur, car, justifie-t-elle, c’est après sa sortie qu’elle s’est mariée en 1968. La même année, un autre tube est sorti : ‘’Inkoni yera’’. Une dédicace à l’Ubushingantahe. « Pour y être investi, certains critères devraient être remplis : dire la vérité, quelle que soit la situation, être réconciliateur, incorruptible, etc. » ‘’Inkoni’’ signifiant la baguette utilisée par les notables en tranchant les conflits et l’adjectif ‘’Yera’’ renvoie à la couleur blanche, sans tâches, donc à la vérité. Pour dénoncer la jalousie négative, la chanteuse a sorti : «Mbabaze abahizi». Elle regrette que ses œuvres aient été dénaturées.
Ses autres chansons ont été censurées. « On y glorifiait les noms des présidents comme Micombero. Quand il a été éjecté, elles ont été interdites. » Elle fait ainsi un clin d’œil aux artistes : « Lorsque vous chantez de telles personnalités, quand elles partent, vos œuvres aussi s’effacent.»
Traditionaliste et contre l’injustice
Malgré son âge, Nacumi se produit encore dans des fêtes. Agricultrice, elle n’apprécie pas le travail de jeunes chanteurs. « J’ai même honte d’entendre certains mots tabous balancés dans leurs chansons. Ils ne chantent que leur corps. Aucun message éducatif. » Au lieu d’éduquer, ils appellent nos enfants au vagabondage sexuel, à l’alcoolisme. « Voilà. Aujourd’hui, on envoie une fille à l’école, à la fin de l’année, elle t’apporte un bébé à la place d’un diplôme. Ils dévalorisent notre culture. » Selon elle, de tels chanteurs méritent d’être recadrés, formés. « Car, un artiste est le miroir et l’éducateur de sa communauté. »
Générose Nacumi dénonce l’injustice dont elle est victime. « Aujourd’hui, engager un procès judiciaire demande un capital. Mes champs sont tout le temps abîmés. Mais, quand je porte plainte, on m’exige des pots-de-vin. » En cas d’assistance aux démunis ou aux plus âgés, les administratifs à la base exigent souvent quelque chose en contrepartie pour figurer sur la liste. « L’indiscipline, le népotisme, la loi du plus fort, la corruption et l’injustice gangrènent notre société ».