Les rideaux sont tombés sur la « 5ème et dernière session du dialogue inter-burundais’ » boycottée par Bujumbura, le Cndd-Fdd et ses alliés. Seule l’opposition dans toute sa diversité était à Ngurdoto Mountain Lodge. Retour sur un échec annoncé de la médiation régionale.
De notre envoyé spécial Abbas Mbazumutima
C’est dans cet hôtel haut de gamme d’Arusha, aux allures rustiques, un complexe noyé dans une nature luxuriante et une nappe de brouillard que les ’’loups honnis’’ de Bujumbura se retirent pour leur cène autour du facilitateur Mkapa.
Cet ancien chef d’Etat tanzanien, qui souffle ses 80 bougies dans quelques jours, le sait et le dit : il joue sa dernière carte. Alea jacta est.
La session censée démarrer le 24 octobre est vite reportée pour le lendemain. 24 heures de plus pour attendre quelques signaux du gouvernement burundais. Peine perdue.
Bujumbura ne sera pas à Ngurdoto. Les raisons avancées: le pays est en deuil, la facilitation ne répond pas aux exigences du gouvernement burundais de fournir la liste des participants et l’agenda de ce round décisif.
Entre temps, la facilitation ne chôme pas : Mkapa reçoit en toute discrétion les ’’envoyés spéciaux’’. Il s’agit de plusieurs diplomates dépêchés par des pays et des organismes qui appuient et suivent de près le processus de résolution de la crise burundaise.
Le trio autour de Mkapa, constitué de son conseiller principal, l’ambassadeur David Kapya, de l’ancien ambassadeur de la République Unie de Tanzanie au Burundi, le Général de Brigade, Francis Mndolwa et de l’ambassadeur du Kenya au Burundi, Ken Vitisia, proche du pouvoir Nkurunziza, multiplie audiences et entrevues. C’est notamment avec les ’’Key-players’’, les anciens hauts dignitaires, les diplomates et autres envoyés spéciaux présents à Ngurdoto.
Pendant ce temps, différentes délégations échangent de manière informelle, Chauvineau Mugwengezo qui se dit toujours président de l’UPD discutent avec le représentant du Parena, Zénon Nimubona avant d’accorder une interview aux journalistes présents.
Marina Barampama, ancienne 2ème vice-présidente discutent avec l’ambassadeur Mndolwa du bureau de la facilitation. Pancrace Cimpaye de l’autre aile du Cnared avec Charles Nditije, François Nyamoya du MSD, échangent avec le président du MRC, Juvénal Ngorwanubusa et le président du Ranac, sous l’air amusé du président de parti Alide, Joseph Ntidendereza et des représentants du Rades, du Paribu et de la président du parti PML Abanyamwete.
«Certains ont pris un coup de vieux »
Il y a deux duos : Evariste Ngayimpenda et Tatien Sibomana de la Coalition Amizero y’Abarundi, ils ne se quittent pas. Il y a également d’autres inséparables : Léonard Nyangoma du Cndd et William Munyembazi.
Aimé Magera, proche d’Agathon Rwasa ne s’éloigne de son patron que quand ce dernier est sollicité pour une audience privée avec la facilitation.
Les envoyés du Dr Jean Minani, président du Cnared, Pamphile Muderega, Gervais Rufyikiri, Anicet Niyonkuru, Aline Ndenzako et Mireille Mizero discuteront pendant longtemps dans leurs coins. Ils maugréent, écrivent beaucoup de textos. Ils ne sont interrompus que par le trio autour de facilitateur Mkapa et par les deux anciens chefs d’Etat, Sylvestre Ntibantunganya et Domitien Ndayizeye.
Ces fins négociateurs, vétérans d’Arusha I, parviendront à les convaincre à apposer leurs signatures sur la ’’Proposition de sortie de crise’’ devant leurs noms et prénoms comme tout le monde et non comme envoyés du Cnared. Ils bataillent et font beaucoup de va-et-vient pour trouver ces délégués de l’opposition radicale en exil.
Parmi les vétérans d’Arusha I, présents à Ngurdoto, il y a Joseph Karumba, pendant longtemps leader du Frolina, Godefroid Hakizimana, président du PSD et Léonce Ngendakumana, ancien président de l’Assemblée nationale, aujourd’hui adjoint de Pierre-Claver Nahimana, président du Frodebu, il sera plusieurs fois en tête-à-tête avec l’ancien chef d’Etat, Domitien Ndayizeye.
Ce parti qui vient de claquer la porte du Cnared pour ne pas subir ses aléas se dit prêt pour les élections de 2020 quoiqu’il arrive. Il le répétera à Ngurdoto mais avec une nuance : «Cela ne nous empêche pas de collaborer avec toutes les organisations tant de l’intérieur que de l’extérieur, engagées à résoudre la crise burundaise actuelle».
Certaines délégations venues de l’intérieur du pays se mettent à chuchoter qu’un tel a pris « un coup de vieux » que telle autre personnalité semble surmonter le poids de l’exil.
Arrivé avec un petit retard à Ngurdoto, l’ancien chef rebelle Jean-Bosco Ndayikengurukiye se met vite dans le bain et on le voit tantôt avec l’ancien vice-président Frédéric Bamvuginyumvira tantôt avec Chauvineau Mugwengezo et d’autres membres de l’opposition. Ambiance plutôt cordiale.
Le silence rompu
Il accorde même une interview à la presse où il insiste sur le dialogue, la voie diplomatique au lieu du recours à la force comme semble le privilégier certains politiciens dépités par l’impasse et l’échec de la facilitation. «Il faut amener et contraindre Bujumbura au dialogue, il ne faut pas recourir à la violence avec tout ce que cela implique comme conséquences. Et je sais ce que je dis».
C’est dans l’après-midi du 24 octobre que le conseiller principal de Mkapa, l’ambassadeur Kapya se résout à annoncer l’absence du gouvernement à ce round : «Aucun signal de Bujumbura». Il n’y a pas de surprise.
Des commentaires fusent de partout : «Le boycott de Bujumbura a cela de positif qu’il permet à toute l’opposition de parler d’une seule voix, de constituer un front sans le gouvernement et ses acolytes qui auraient sans doute usé de manœuvres pour nous diviser. Nous nous entendons comme larrons en foire », dira Pancrace Cimpaye de l’aile dure du Cnared.
D’autres insistent sur le fait qu’il est clair que le pouvoir de Bujumbura ne veut pas la paix, que ce processus du dialogue est le dernier de ses soucis. «Nous sommes à Ngurdoto et tout ce qu’il trouve de bon est de faire le deuil de feu Ndadaye, 25 ans après et d’aller trinquer avec le CCM, le parti au pouvoir tanzanien».
Le conseiller principal de Mkapa annoncera dans la foulée l’ouverture de la 5ème session pour le 25 octobre. Mais au vu des différentes entrevues et échanges, ce round semble déjà entamé.
Quand le facilitateur s’apprête à entrer dans la salle de conférence où différentes délégations l’attendent, un membre de la facilitation annonce qu’il y aura d’abord l’hymne de l’EAC, celui du Burundi et un petit recueillement afin de prier pour ce processus.
Quand les premières notes de l’hymne national, ’’Burundi Bwacu résonne’’, tout le monde se tient tout droit et se met à chanter, martelant chaque mot. Un moment solennel de ferveur patriotique.
Visiblement, ces délégués ne sont pas trop déçus quand Mkapa annonce que c’est sa dernière session, qu’il est au ’’bout de ses efforts’’. Il aura tout fait pour convaincre Bujumbura à ne pas bouder ce round, en vain.
Il demande par la suite à ces opposants de préparer une feuille de route à la lumière de celles de Kayanza et d’Entebbe. «C’est pour que dans mon rapport final au médiateur et au sommet des chefs d’Etat de la région, je fasse une compilation de la feuille de route de Kayanza et celle que vous allez produire».
C’est après le départ du facilitateur qui, du haut de ses 80 ans s’appuie désormais sur une canne, que le consul burundais à Arusha, Amos Ndimurwanko passe à Ngurdoto, ’’pour saluer des amis’’. Quand il sort de sa voiture, bon nombre de politiciens, d’un air taquin, crient à l’unisson que «le gouvernement est représenté».
Après sa confession assortie de confidences sur les croques-en-jambe, les volte-face et autres pirouettes de Bujumbura, pour imposer sa vision, le facilitateur s’en remet à collectionner les feuilles de route.
L’ancien chef d’Etat tanzanien fera tout pour amadouer Bujumbura. Le gouvernement burundais se cabre toujours quand quelques noms de sa liste noire d’intouchables sont parmi les invités au dialogue.
Comme corollaire, Mkapa ne parviendra jamais à mettre les envoyés de Bujumbura et ses détracteurs dans une même salle. Même pas dans un seul hôtel. «Il n’a pas non plus pu définir les parties aux conflits. Il n’a pas eu de soutien du médiateur encore moins du sommet des chefs d’Etat et c’est pourquoi il a tiré sa révérence. Il en a marre de ce processus et il l’a signifié à qui veut l’entendre», lancera un membre de l’opposition.
«Il avait remis son tablier au dernier sommet des chefs d’Etat de le région mais ils lui ont forcé la main l’obligeant à organiser ce round des opposants».
Mais pour sa ’’5ème et dernière session’’ de Ngurdoto, le facilitateur réussira un coup de maître : inviter la plupart des ’’moutons noirs’’ non pas sous leurs couleurs, mais comme acteurs politiques ou représentants de leurs partis, du moins pour ceux qui ne sont pas encore évincés. Une petite bataille gagnée. Aucune personnalité parmi le camp du Cnared ne mentionne son entité devant sa signature.
Après la présentation à huis-clos de la feuille de route consensuelle de toute l’opposition, sous forme de ’’proposition de sortie de crise’’, les délégués présents à Ngurdoto le disent. Ils ne sont pas dupes. «Inutile d’apporter ce document à Museveni et à ses collègues. Pour la forme oui. Nous avons réservé une copie à l’ONU et à l’UA, ces sont des garants de l’Accord d’Arusha, il faut qu’ils prennent le relais sans perdre du temps».
Une autre équation : les amitiés et les désamours régionaux
C’est ce que dira Anicet Niyonkuru, secrétaire exécutif de Cnared : «La facilitation a échoué sur toute la ligne». Même son de cloche du côté de la Coalition Amizero y’Abarundi.
Selon Tatien Sibomana, ce groupe, il est grand temps que l’ONU et l’UA prennent le relais ou la relève. «Il est clair que la région a échoué. Il faut passer à la vitesse supérieure. Le principe de subsidiarité ne marche plus pour ce dossier». D’après Pierre-Claver Nahimana, président du parti Sahwanya Frodebu, le vrai dialogue va commencer après ce constat amer d’échec.
Un diplomate approché confiera qu’il sera difficile aux chefs d’Etat de la région de se rencontrer pour se pencher sur la crise burundaise : «Il y en a qui sont à couteaux tirés, sans parler des embrouilles diplomatiques entre Bujumbura et Kigali, ce qui complique davantage l’UA, pilotée par le chef de l’Etat rwandais, à prendre à bras le corps cette question. C’est gênant, une épine dans le pied de cette organisation».
Selon cet analyste, il va falloir chercher d’autres leviers, sinon toutes ces feuilles de route risquent de moisir dans quelques tiroirs au grand bonheur de Bujumbura. «Entre temps, 2020 approche à grands pas. Il y aura d’autres priorités, d’autres contraintes, d’autres alliances, d’autres surprises».
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