Selon le règlement de la production de café parche, les sociétés dépulpeuses doivent payer les producteurs avant le 5 juin. Mais, les caféiculteurs qui ont vendu le café à la Sogestal Ngozi n’ont pas perçu un sou. « Ils auront leur paie d’ici peu », rassure Sogestal.
Les caféiculteurs qui ont vendu le café cerise à la Société de gestion des stations de lavage de Ngozi (Sogestal) depuis mars sont dans l’angoisse. Le paiement tarde. Or, la majorité ne vit que de cette culture. Ils ont des familles à prendre en charge. Et au moment où la saison culturale C (septembre) approche, ils manquent de moyens pour s’approvisionner en semences et en engrais chimiques. Le désarroi est total.
« La Sogestal nous avait promis que le paiement se ferait au plus tard le 5 juin. Nous avons attendu en vain », se lamente Léonard Maguru, caféiculteur rencontré sur la colline Camugani, lundi 24 juin.
D‘après ce septuagénaire, jusqu’ à la fin du mois de mai, il a vendu à la station de lavage de Camugani 200 kg du café cerise, d’une valeur de 100 mille BIF. Le prix est fixé à 500 BIF le kilo. Désespéré, il déplore la lenteur du paiement. «Ce retard de paiement paralyse mes activités champêtres ».
La saison culturale C commence bientôt en septembre. Il misait sur cette somme pour acheter les semences, l’engrais chimique et payer la main d’œuvre. Il est déjà en retard. Ses voisins qui ont de l’argent ont commencé à défricher dans les marais. « Nous sommes coincés. Bientôt, ma famille mourra de faim ».
Lambert Nunzubumwe, coordonnateur technique au sein de la fédération des associations des caféiculteurs de la province de Ngozi fait savoir que ce retard de paiement viole le règlement de production de café parche, signé par les sociétés de dépulpage.
Selon ce règlement, les paiements se font en deux tranches. Le premier devrait être fait au plus tard le 5 juin. Le 2e, fin août. Il fait savoir que tous les dépulpeurs, notamment les Sogestal, certaines sociétés et certaines coopératives n’ont pas respecté cette date. « Sur 50 stations de lavage de la province Ngozi, douze seulement ont payé les caféiculteurs ».
Les sociétés qui ont déjà payé sont : Bugestal, Greenco, Procasta Et Gsco. Par ailleurs, en vertu de ce règlement, les caféiculteurs ont le droit de demander des avances auprès de ces sociétés.
Malheureusement, déplore-t-il, aucun caféiculteur n’en a profité. Ils sont dans des conditions très difficiles. Ils souffrent alors qu’ils ont livré leur café à temps.
Ce représentant des caféiculteurs appelle l’Etat à faire respecter le règlement régissant la campagne café. Sinon, les caféiculteurs risquent d’être payés tardivement comme l’année passée. Ce qui les décourage « Cela aura un impact négatif sur la qualité et la quantité de café produite ».
« D’ici peu, ils auront leur paie »
Angélus Baribunyihe, directeur de la Sogestal Ngozi, reconnaît que la date butoir de paie n’a pas été respectée. Selon lui, l’autorité de régulation de la filière café a fixé la dernière paie avant le 5 juin.
Pourtant, les Sogestal n’ont pas payé les producteurs à temps car selon nos informations, les prêts que les Sogestal avaient contractés auprès des banques en 2018 ne sont pas encore remboursés. Ainsi, au cours de l’actuelle campagne, les banques ont exigé l’aval de l’Etat pour débloquer encore les crédits afin de payer les caféiculteurs.
D’après le gestionnaire de la Sogestal Ngozi, l’année passée, les Sogestal n’ont pas pu rembourser les banques parce que les prix ont fortement chuté sur le marché international. Le prix d’un kg de café vert est passé de 210 à 85 cents. Selon lui, le gouvernement avait fixé le prix d’un kg du café cerise à 500BIF sans tenir compte de cette chute. «Ce prix a été de loin supérieur au prix de vente ».
En dépit de cette baisse, les sociétés dépulpeuses étaient obligées de payer les caféiculteurs alors que les prix avaient chuté sur le marché international.
Dans tous les cas, tient-il à souligner, ce problème de financement n’est pas récent. Il date de 2008. Juste après la privatisation. «Avant cette réforme, il y avait un fonds de stabilisation du prix du café. En cas de chute du prix du café vert sur le marché international, cette caisse remboursait les banques qui avaient prêté aux sociétés dépulpeuses.
Aujourd’hui ce fonds n’existe plus, il a été liquidé avec l’OCIBU ».
M. Baribunyihe tranquillise, néanmoins les caféiculteurs : « D’ici peu, ils auront leur paie.»
Comment fonctionnait ce fonds ?
Ce fonds était décrété en 1992 après la dissolution du fonds d’égalisation de la filière café du Ruanda-Urundi créé en 1947. En outre, la donation initiale constituée du solde net du fonds d’égalisation dissous, le nouveau fonds était alimenté par un prélèvement sur chaque kg de café vendu par les producteurs. Au début de chaque campagne, l’Etat déterminait un nouveau prix d’un kg de café. Lorsque les prix sur le marché international s’élevaient au niveau de prix donné au producteur, la différence était utilisée pour financer ce fonds. Et lorsque les cours internationaux tombaient en dessous du prix donné, il couvrait les pertes enregistrées.
Ce fonds servait également la garantie de remboursement des crédits consentis pour financer l’achat, la transformation et l’entreposage du café aux différents stades de production.
Ce fonds a été liquidé avec l’OCIBU lors de la privatisation en 2007. Lors de la libéralisation de la filière café, le fonds de stabilisation avait un solde créditeur de 7 milliards de BIF. Rappelons que cette somme est l’excédent de la campagne café 2004-2005. En 2014, le gouvernement a décidé de transférer cet argent à la Banque de la République du Burundi(BRB). Pour partager cette somme entre les actionnaires, l’Etat a mis en place une commission indépendante de liquidation. Cette dernière n’a pas donné le rapport.
Un saut en arrière
En novembre 2017, se tient à Muyinga le forum du café pour trois jours, réunissant tous les acteurs intervenants dans la filière café. Objectif : échanger sur les problèmes qui handicapent ce secteur afin de donner des orientations visant une bonne organisation.
Lors de l’ouverture dudit forum, Joseph Ntirabampa, président de la Confédération nationale des associations des caféiculteurs (Cnac), n’a pas caché son indignation. Il a réclamé l’excédent du fonds de stabilisation de la campagne 2004-2005 : « Nous avons tellement besoin de cet argent, car le cours du café sur le marché international a fortement baissé. »
Selon lui, cet argent appartient aux caféiculteurs. L’Etat s’est désengagé de la filière café. Il a réclamé également la recréation du fonds de stabilisation du prix du café. Nous devons protéger les revenus des producteurs, explique-t-il, contre les spéculations des cours par ce fonds.
Et Déo Guide Rurema, ministre de l’Agriculture et de l’Elevage, de renchérir : « Rien n’a empêché que ce fonds de stabilisation de la filière café réclamé par les caféiculteurs soit remis en place. Pourvu que tous les intervenants participent à son alimentation.»
Après deux ans, ce fonds n’a pas été constitué. Les conséquences sont là. L’année dernière, jusqu’au moins de décembre, certains caféiculteurs n’ont encore perçu aucun sou. Le problème devient récurrent. En tout cas, ce sont les producteurs qui perdent. Ils livrent leur produit à crédit. Ils n’ont pas de choix. Ils ne peuvent non plus imposer la régler du jeu.