Exclusion dans les projets de développement social, refus de parole dans les réunions publiques, intimidation, etc. Ce serait le lot quotidien des déplacés du site de Ruhororo. L’administration réfute toutes les accusations.
Route Nationale n°15 (Ngozi-Gitega), à 21 km du chef-lieu de la province Ngozi. Des maisons rectangulaires de 5 mètres sur 4 s’étirent de part et d’autre de cette artère récemment goudronnée. Elles sont construites en briques adobes et couvertes de tuiles.
Le site des déplacés de Ruhororo, commune Ruhororo, province Ngozi au nord du pays abrite depuis octobre 1993, les personnes qui ont fui les tueries éclatées sur leurs collines après l’assassinat du président Melchior Ndadaye.
Situé à la jonction des collines Rwamiko, Kinyami, Rukamihigo et Nyamugari, il abrite actuellement autour de 15 mille personnes réparties en 2400 ménages.
Le site Ruhororo a l’allure d’un village. Des jeunes jouent aux cartes pour tuer le temps, des femmes font la vannerie, des vieux et vieilles mamans font le lézard sous les bananiers. Quelques produits vivriers tels que le haricot, le maïs, le manioc, … sont exposés au soleil.
Il est 13 h 30. Le trafic y est intense. Des véhicules types Probox, Fuso, Hiace,… assurent le transport Ngozi-Gitega. Sous un ciel clair, tout semble normal. Néanmoins, dans ces maisons dominées par des bananiers verdoyants à perte de vue, les esprits ne sont tranquilles.
« Nous vivons la peur au ventre. On ne sait plus si nous sommes des Burundais ou des étrangers », se plaint une maman. Assise devant sa maisonnette, cette veuve a perdu son mari et ses quatre enfants durant la crise de 1993
Pour survivre, la soixantaine, elle fait des kilomètres pour aller cultiver sa propriété d’origine. Ses petits enfants sont obligés de travailler dur ou de mendier. « Avec un peu de chance, ils peuvent rentrer avec 2000 BIF, 3000BIF. Mais, il arrive aussi qu’ils rentrent bredouilles ».
Exclusion
«D’autres reçoivent des vaches mais nous, nous ne sommes pas associés», dénonce-t-elle, sidérée. Ce qui révolte I.K, un autre déplacé croisé sur place. « Tout autour de notre site, des organisations font des dons des animaux domestiques. Mais nous ne sommes jamais concernés.» Même le robinet alimentant ce site en eau, n’est plus réparé.
Cet homme, la quarantaine, y voit une tactique voilée de les contraindre à regagner leurs collines d’origine. Il accuse l’administration de les avoir exclus dans le projet d’alimentation en électricité. « On nous a signifié que le site ne sera pas concerné tant que nous serons encore là.»
D.M, signale d’ailleurs qu’une opération de recensement de maisons y a été effectuée, il y a environ deux semaines. « Quatre chefs collinaires ont fait irruption et ont recensé toutes nos maisons. »
Après, une injonction de ne plus construire de nouvelles maisons, de cuisine, … leur a été donnée. « Un frein aux jeunes de notre site à se marier, à fonder leurs foyers.»
Ce qui empêche également ces déplacés à réhabiliter leurs maisons dont la plupart sont déjà vétustes.
Il ajoute qu’après ce recensement, des jeunes affiliés au parti au pouvoir sont passés. « Ce qui nous a beaucoup terrifié parce qu’ils scandaient des slogans hostiles. Ils disaient qu’il faut quitter ce site et retourner sur nos collines d’origine.»
Il souligne que lors des réunions publiques organisées par l’administration communale, « ils sont menacés de rentrer ».
Pire encore, la parole leur est refusée pour exprimer leurs préoccupations.
« Au lieu de nous permettre de faire entendre notre voix, on nous intimide, on nous accuse de tous les maux, d’être des opposants, etc. ».
Suite à cette situation, ce père de famille révèle que certains déplacés ont commencé à migrer. Sans donner un chiffre exact, il signale que la plupart vont s’installer dans la ville de Ngozi, à Bujumbura, etc. « Les plus démunis ne peuvent que se soumettre ».
L’administration tranquillise
« Personne n’est en train de les intimider ou de les contraindre à rentrer par force. Ceux qui retournent sur leurs collines d’origine le font volontairement », réagit Mme Mamerte Birukundi, administrateur de la commune Ruhororo.
Elle assure que la sécurité y est bonne. « Même les boissons prohibées qui étaient en partie à la base de l’ivrognerie, des violences dans ce site n’existent plus.»
Néanmoins, la vente illégale des parcelles inquiète l’administration et y crée une situation tendue. Sans donner le nombre exact, elle dit que beaucoup de déplacés ont déjà quitté les lieux. « Malheureusement, ils partent après avoir vendu des terres qui ne leur appartiennent pas. »
Or, Mme Birukundi rappelle que le site de Ruhororo s’étend sur deux propriétés : « Une domaniale et une autre partie appartenant aux particuliers. »
Ainsi, toute nouvelle construction y est interdite. Et ce, pour couper court avec ces ventes illégales. « Normalement, avant tout départ, le déplacé doit remettre sa parcelle aux propriétaires ou à l’Etat. Ces déplacés n’ont pas le droit de vendre ».
Cet administratif rejette l’accusation selon laquelle des jeunes affiliés aux parti au pouvoir intimideraient les déplacés. « Ils passent pour se rendre aux travaux communautaires. Et pour se donner le moral, ils chantent mais je ne les ai jamais entendus en train de menacer ces déplacés. Seulement, il y en a qui font une mauvaise interprétation».
Quid de l’exclusion dans les projets de développement ? Ici, Mme Birukundi signale que pour bénéficier d’une vache, il faut d’abord construire une étable, avoir planté des herbes fourragères, etc. Or, observe-t-elle, ces déplacés n’ont qu’un petit lopin de terre.
Pour elle, ce sont des accusations mensongères et sans fondements. Et de conclure : « On ne peut pas refuser la parole aux déplacés. Seulement, parmi eux, certains ne veulent pas évoluer avec le temps et ont toujours tendance à ressusciter des dossiers déjà clos.»