Les jeunes, non diplômés, pour la plupart, de Ngozi et Kayanza, pour des raisons de pauvreté ou de suivisme, se rendent en Tanzanie à la recherche du travail. Malheureusement, à leur retour, ils sont dépouillés de leurs biens. Les chanceux débarquent chez eux avec un peu de sou. Récit.
Dieudonné Tuyishime de la colline Kinyinya, zone Mugomera, en commune Ngozi est rentré de la Tanzanie il y a plus d’une semaine. Depuis 2016, il se rend en Tanzanie pour travailler dans les champs des agriculteurs tanzaniens. Rencontré mardi à Kinyinya de la commune et province Ngozi, il fait savoir qu’il est revenu pour faire soigner sa femme qui est malade. « Quand elle sera rétablie, je retournerai travailler en Tanzanie », raconte-t-il.
Travailler en Tanzanie pour lui est devenu une habitude. Il s’estime très chanceux. D’après lui, il est allé travailler en Tanzanie 3 fois de suite sans problème. « C’est pour la 4e fois que des bandits tanzaniens et burundais m’ont ôté tout ce que je transportais sur le chemin du retour, dont un montant de Shillings tanzaniens équivalant à 600 mille BIF », se rappelle Tuyishime.
Ce qui l’a poussé à décider d’aller travailler en Tanzanie, raconte-t-il, c’est d’avoir vu d’autres jeunes partis là-bas et revenir avec des objets de valeur comme des téléphones portables, de postes radio, des plaques solaires, etc. Toutefois, reconnaît-il, partir en Tanzanie à la recherche du travail n’est pas sans danger. Il voyage de Ngozi à Kigoma à vélo. Il traverse d’abord les provinces de Gitega, Rutana et Makamba et passe par Malagarazi avant d’arriver à Muyama en Tanzanie. Sur son trajet, il dort là où la nuit le surprend.
Un périple semé d’embûches
Une fois sur place, il fait toute sorte de travaux manuels pour gagner de l’argent. À moins qu’il trouve un emploi au Burundi, il ne projette pas d’abandonner de travailler en Tanzanie. Il se félicite d’avoir pu construire sa maison et fonder son foyer grâce aux rémunérations qu’il a eues en Tanzanie : « Je gagne au moins 160 mille BIF par mois. »
Léonard Bucumi, 31 ans, se rappelle avec tristesse les 500 mille Shillings tanzaniens que des policiers de ce pays lui ont pris sur le chemin de retour de la Tanzanie en 2020. Ce jeune de Kinyinya confie qu’il était parti à cause de la pauvreté et que ses amis partis en Tanzanie avant lui avaient raconté des histoires de gain d’argent. N’ayant pas de papiers de voyage, les policiers l’ont arrêté, mis au cachot et en profité pour lui voler son argent. Maintenant, il est découragé et n’envisage plus aller travailler dans les champs tanzaniens.
En tout cas, ces jeunes affirment quitter leur pays natal à cause de la pauvreté qui les gangrène. «J’étais jeune marié, moi et mon épouse n’avions pas de vêtements et j’ai décidé d’aller labourer pour de l’argent en Tanzanie », indique Thaddée Niyonganji un jeune de Kinyinya en commune de Ngozi. Il y est allé, il a eu des vêtements pour lui et son épouse, et regagné son toit. Néanmoins, il jure ne pas vouloir retourner en Tanzanie. « Les travaux champêtres en Tanzanie sont pénibles. Tu cultives de l’aube à 17 h 30. » Il a décidé de pratiquer l’élevage pour les autres et gagner de l’argent. Un client achète par exemple une vache à 1 million BIF et la lui donne. Il l’élève une certaine période, s’il la revend à 1.300.000, ils partagent le bénéfice. Il préfère travailler comme ça au lieu de retourner en Tanzanie pour y travailler.
Partir à tout prix
Désiré Kwizerimana, un jeune de 23 ans, regrette qu’il ait commencé à se rendre à Tanzanie pour travailler alors qu’il était encore enfant. « C’est un homme qui me trompait. J’ai travaillé gratuitement pendant deux ans en Tanzanie. » Devenu adulte, il affirme qu’il a continué à travailler dans ce pays voisin. Pourtant, il indique que sa vie ne s’est pas améliorée pour autant. « Moi, je suis gaspilleur, je dépense mon argent pour des consommations sans importance », reconnaît ce jeune homme.
N’ayant pas encore de ticket pour repartir en Tanzanie, il cultive les champs de ses voisins pour gagner de l’argent en contrepartie. Son voisin Arthémon Nkazamyampi vient de passer une année et un mois après son retour de la Tanzanie. Il se rappelle avec regret le calvaire vécu en Tanzanie. « J’ai eu un accident, je n’avais pas le droit de me faire soigner. Un infirmier m’injectait des médicaments là où je vivais comme un animal domestique » Pire, à son retour, les policiers tanzaniens lui ont tout pris, il est arrivé au Burundi, les mains vides.
Ce phénomène d’exode rural s’observe également à Kayanza. La commune est l’une des communes les plus touchées. A la colline de Ndava, nos sources indiquent que le phénomène ne date pas d’hier. Parmi eux, Jean-Marie Nduwimana, 28 ans. Il explique qu’il est revenu de la Tanzanie il y a trois ans. Il comprend d’autres jeunes de cette colline qui sont en Tanzanie. « Si tu restes ici, il t’est difficile de trouver de l’argent afin de t’acheter un pantalon. » Il explique que la rémunération de 2000 pour un travailleur journalier ne peut permettre d’acheter un pagne pour son épouse. «D’ailleurs, si je n’étais pas allé travailler en Tanzanie, je ne me serais jamais marié. » Selon lui, en Tanzanie, il pouvait gagner 40 mille shillings par semaine.
Certains parents déboussolés
Le phénomène des jeunes qui partent vers la Tanzanie est en train de durer selon les parents des jeunes de Kinyinya. Vénérande Nyandwi raconte l’histoire de ses trois fils qui n’ont pas eu de la chance en Tanzanie. « Un vient d’y passer huit ans sans jamais revenir. J’ai trois fils qui sont allés chercher du travail en Tanzanie », raconte notre source triste.
D’après elle, deux autres sont repartis l’année dernière à cause de la pauvreté. Un peu avant, ils étaient rentrés bredouille de la Tanzanie, car des malfaiteurs leur avaient tendu une embuscade. « Ils sont arrivés ressemblant à des malades mentaux. Même leurs vêtements étaient déchirés », raconte cette mère de 65 ans. Mais à cause de la précarité, ils ont décidé d’aller de nouveau en Tanzanie.
Pour cette mère, les jeunes qui vont en Tanzanie vivent le calvaire. Ils demandent à l’autorité de penser à la création d’emplois suffisants pour les jeunes à l’intérieur du pays. « Ceux qui ont l’âge de se marier se trouvent dans des conditions dans lesquelles ils sont incapables de se construire une maison et décident de partir à leurs risques et périls. » Elle indique qu’elle n’est jamais tranquille pensant surtout à ses deux fils qui ont respectivement de 20 et 22 ans.
Princia Gakobwa, une grand-mère de ladite colline, soutient que les jeunes partent suite au manque de savons, de vêtements… « Mon fils y est allé et a pu se construire une maison et puis s’est marié » témoigne-t-elle. Elle aimerait que des jeunes restent chez eux. Mais, elle comprend qu’ils ne peuvent pas résister à la faim et à la pauvreté. « Certains partent même sans dire au revoir. »
Désiré Ndihokubwayo, de la colline Mubira en commune de Ruhororo lui, a un fils de 22 ans qui vient de passer plus de trois ans en Tanzanie. Il est impatient de le revoir. Il raconte qu’il est parti suite à la pauvreté qui se trouve dans sa famille. « Mon fils m’a quitté parce que je n’avais pas de moyens pour le prendre en charge. Il vivait une vie difficile. » Pour lui, son fils prend des risques à la recherche d’une vie meilleure.
Mais la pauvreté n’explique pas tout…
Léonard Bitangimana, un commerçant de la colline Ndava de la commune Muhanga, soutient que ce n’est pas seulement la pauvreté qui pousse les jeunes à quitter chez eux pour aller dans d’autres pays. « Les jeunes d’aujourd’hui sont difficiles. Moi, j’avais tout, mon fils ne manquait de rien, mais il a décidé de partir. »
Ce père de famille constate que les jeunes d’aujourd’hui veulent s’enrichir rapidement à tout prix : « Certains refusent même d’aller à l’école. Ils disent qu’à l’école, il n’y a pas de l’argent. » Ce père de cinq enfants devenus adultes est pessimiste : « Je pense que la fin du monde est arrivée. » Il déplore le fait que les jeunes qui reviennent de la Tanzanie sont incapables de réaliser des projets d’auto développement. Car, explique-t-il, ils achètent des plaques solaires, des pantalons ou poste radios et les revendent en moins de quelques mois. Pour lui, aucune solution efficace n’est possible. « Les jeunes d’aujourd’hui sont incorrigibles ».
Ces jeunes semblent moins intéressés par l’appel du gouvernement à se regrouper dans des coopératives ou concevoir leurs propres projets. Les jeunes approchés à Ngozi et à Kayanza ne sont pas membres des coopératives Sangwe. Pire, ils ne sentent pas le besoin d’intégrer ces coopératives qui sont financées par le gouvernement sur toutes les collines du Burundi.
Pour certains, Sangwe ne les intéresse pas parce que ses membres ne gagnent pas beaucoup d’argent. « Quand bien même la production serait bonne, elle appartient à la coopérative », commentent certains jeunes de la colline Kinyinya de la commune Ngozi. Rentré de la Tanzanie, Thaddée Niyonganji a voulu intégrer la coopérative de sa colline. Mais, il n’a pas voulu payer 15 mille qui lui étaient exigés. « Personne dans la coopérative ne possède un bien qui pourrait me motiver. Je ne vois pas un progrès remarquable des membres de cette coopérative sur notre colline. »
Les jeunes et les parents rencontrés à Ndava en commune de Muhanga, reconnaissent certaines réussites du Programme PAEEJ, mais, observent-ils, tous les jeunes ne peuvent avoir la chance d’être financés. D’autres estiment que PAEEJ est plus favorable aux jeunes diplômés ayant des capacités de présenter des projets. Or les jeunes qui vont travailler en Tanzanie sont ceux qui n’ont pas fait l’école ou qui n’ont pas de diplôme.
Un phénomène reconnu par l’administration
Bien qu’ils n’aient pas des chiffres à leur disposition, les responsables administratifs ne nient pas les départs en grand nombre des jeunes pour aller travailler au pays de Nyerere. « Ils partent en grand nombre à cause de la pauvreté tandis que d’autres préfèrent en dehors de chez eux », réagit Joseph Bucumi, chef de la zone Mugomera de la commune de Ngozi.
Il déplore aussi que ces jeunes rencontrent des malfaiteurs qui leur prennent tout ce qu’ils amènent sur le chemin de retour. « Il y a même ceux qui arrivent gravement blessés » Selon lui, ce sont les jeunes non diplômés qui partent, arguant qu’ils vont à la recherche de la vie. Cet administratif à la base trouve pourtant que ces jeunes pouvaient réussir la vie sur place, car il y en a qui l’ont fait individuellement ou dans des associations.
Quant à Émile Karenzo, chef de colline adjoint de la colline Mubira en commune de Ruhororo, il observe qu’il est difficile de changer la donne à cause de la pauvreté qui est dans les ménages. « Et les projets du gouvernement initiés pour créer l’emploi existent, mais tout le monde n’est pas atteint. » Il estime que tous les jeunes ne peuvent pas trouver un emploi dans la coopérative Sangwe qui, en outre, ne donne pas de bénéfices directs : « Tu peux manquer de quoi mettre sous la dent alors que la récolte est bonne à Sangwe. » Ce membre du conseil collinaire affirme que des jeunes estimés à plus de 100 sont pour le moment en Tanzanie pour essayer de gagner leur vie.
Rénovat Sylvestre Sinibagiye, conseiller politique, juridique et social, assure que le départ des jeunes vers la Tanzanie est un véritable problème de société. « En juin et juillet, nous avons appréhendé 44 jeunes entre 18 et 38 années originaires des différentes collines », confie Sinibagiye. Dans les jours qui ont suivi, un autre groupe de 26 jeunes entre 18 et 22 ans ont été attrapés sur le point de partir. Pour la plupart, précise notre source, ce sont des jeunes qui ont abandonné l’école. Ils ont expliqué qu’ils veulent partir à cause de la pauvreté dans leurs familles. Une explication que ce conseiller à la commune accepte avec des pincettes. Il pense que ces jeunes envient d’autres jeunes qui, une fois de retour, portent de nouveaux pantalons, des tricots tanzaniens… et se promènent avec des postes-radios.
Avant de partir, Rénovat Sylvestre Sinibagiye fait savoir qu’ils sont trompés par leurs grands frères partis avant en Tanzanie alors que ce sont des commissionnaires des employeurs tanzaniens. « Cinq parmi eux ont été arrêtés et sont pour le moment locataire de la prison de Ngozi. Pour endiguer ce phénomène, des sensibilisations sont toujours faites dans toutes les réunions tenues par les responsables administratifs à Muhanga.
Vianney Ndikumana, chef de cabinet du gouverneur de Kayanza, déplore que des élèves abandonnent l’école pour aller en Tanzanie. « Les communes de Muhanga et de Rango sont les plus touchées. » Et de faire savoir qu’il y a ceux qui vont chercher du travail dans d’autres pays voisins comme la RDC et le Kenya. Selon lui, ils partent pour deux raisons principales : la pauvreté et le désir d’avoir tel ou tel bien qu’ils ont vu chez quelqu’un venu de la Tanzanie. Il juge que c’est une perte pour le pays, car ces jeunes devraient être en train de travailler pour leur province et le pays. Cette autorité provinciale reproche aussi aux jeunes d’être lents dans la compréhension des efforts du gouvernement pour faire face au chômage des jeunes. « Les programmes comme PAEEJ sont en place, mais il y a de jeunes qui ne les comprennent pas encore. »
Pour éradiquer le phénomène, il promet que l’administration insistera sur la sensibilisation des jeunes pour les intéresser aux projets du gouvernement. Mais, il juge qu’une solution efficace sera la conclusion des contrats d’échange de travailleurs entre le Burundi et d’autres pays comme cela a été fait par exemple pour l’Arabie Saoudite. « En attendant, nous suivons la ligne donnée par le ministère de l’Intérieur qui consiste à expliquer au jeune le risque qu’ils encourent en quittant le pays et les avantages de se regrouper dans des coopératives sur place. »
Quels brave hommes! Rien qu’à penser au trajet qu’ils font à vélo me donne la chère de poule . Pourquoi pas Kigali? Si je me souviens bien, Kayanza-Kigali, c’est même pas 300KM. Mais je me dit qu’ils sont leur raisons.
Il ne faut pas oublier que ce chemin est une école de la vie. Echange culturelle, être exposé aux autres manières de faire, etc… Imaginez vous quelqu’un qui rentre avec un panneau solaire, et si il arrive avec une plaque chauffante, rien que cela sa famille pourra faire a manger avec une énergie moins chère et facilement accessible! Ou éclairer chez lui? Charger sont téléphone ou meme, faire un business de chargement de telephone des autres au fin fond de Ngozi? La crème remonte tjrs à la surface.
En tout cas, coup de chapeau jeunes hommes! Je vous souhaite que du bon vent dans vos entreprises.