Les constructions autour du marché de Ngagara initiées par l’administrateur communal, il y a plus d’une année, sont toujours là. Malgré les injonctions de la mairie et … de la Présidence. Accusé par les chefs de quartiers et le conseil communal de corruption, Désiré Gahungu parle de « lutte pour la propreté » dans sa commune. Édifiant.
La poussière vole, avec elle les mouches, mais rien n’y fait : les affaires doivent continuer dans cette ruelle occupée encore, il y a treize mois, par d’impressionnants amoncèlements d’ordures.
Nous sommes au marché de Ngagara. La chaleur estivale balaie les kiosques et containers entourant les façades est et nord de la place. A l’intérieur, personne ne se doute des joutes politiques qui entourent ces commerces. Et ce depuis plus d’une année.
Mais comment tout cela commence-t-il ? Par un étonnement matinal du chef du Département des recettes à la Mairie de Bujumbura, Patrice Ngomirakiza : « Le 10 avril 2012, vers 20 h du soir, des gens non identifiés ont installé une dizaine de conteneurs et kiosques tout le long de l’extérieur de la clôture du marché de Ngagara, sans demander l’autorisation à la Marie … » Dans cette missive écrite quatre jours après le début des chantiers nocturnes, le Maire d’ alors, Evrard Giswaswa, est interpellé pour « prendre les mesures urgentes à l’encontre de ces [mystérieux] gens afin d’éviter de frustrer et perturber les activités commerçantes qui occupent l’intérieur du marché. »
Aucun frein …
Deux jours après, le maire répond par l’affirmative, demandant à son chef de département de « procéder à l’enlèvement forcé endéans une semaine si les propriétaires ne veulent pas le faire de leur gré ». Sauf que … près de trois mois avant, le marché de Bujumbura avait été réduit en cendres et que des commerçants de la capitale étaient alors, marché après marché, à la recherche de places. Ainsi, non seulement la mesure ne sera jamais mise en application, mais les constructions de kiosques iront de plus belle.
Et rien n’y fait : ni le conseil communal de Ngagara qui dénonce « l’attribution et la construction illégale de ces kiosques et containers dans une place normalement réservée au dépôt des immondices », ni les chefs de quartiers de Ngagara qui, en mai 2012, s’adressent au ministre de l’Intérieur en sollicitant son intervention pour régler leur « mauvaise collaboration avec l’administrateur communal », ni rien, ni personne ne parvient à stopper la prolifération des constructions.
Personne, pas même le ministre de l’Eau, de l’Environnement, de l’Aménagement du territoire et de l’Urbanisme qui, en octobre 2012, se fend d’une lettre à l’administrateur communal de Ngagara pour lui demander d’arrêter les travaux de construction « sans délais ».
La Présidence s’en mêle
Mars 2013 : le cabinet civil à la Présidence de la République s’empare de l’affaire. Auparavant, une association de citoyens de Ngagara a écrit au président de la République pour lui faire part de la situation, soulignant que Désiré Gahungu a vendu plus de 67 espaces aux alentours du marché à raison de 2 millions de Fbu par unité.
Une Commission est nommée pour « enquêter et analyser la problématique de kiosques et containers autour du marché de Ngagara ». Dans le rapport qu’elle dresse, elle fait état, façade est, de 25 kiosques, dont 2 containers sur la clôture du marché, 2 kiosques et 5 containers sur la clôture du centre de santé, ainsi que 42 kiosques et 2 containers façade nord. Un commerçant hostile à cette aventure architecturale serait même mort assassiné, d’après le rapport.
Et les conséquences de ces constructions sont citées : « Les échoppes et emplacements de l’intérieur du marché sont délaissés au profit de l’extérieur [car plus facilement accessible], l’insécurité du marché et des alentours, la violation du domaine public, les difficultés d’intervenir en cas d’incendie, des pertes au niveau des recettes municipales, la violation des normes des marchés …» Pour cette commission, le marché de Ngagara aura été par ailleurs « un site d’escroquerie et de corruption » : son rapport souligne que la liste des propriétaires ne correspond pas au nombre des kiosques et containers identifiés, car certains propriétaires ne sont pas encore enregistrés et identifiés par le commissaire du marché. Des chiffres intéressants sont soulignés : le coût d’un kiosque est parti de 800.000 Fbu à 2,5millions de Fbu, des sommes collectées et gérées à la discrétion de l’administrateur communal …
S’appuyant sur les recommandations de cette Commission, le chef du Cabinet civil adjoint à la Présidence demande au ministre de la Justice d’informer la Cour anti corruption pour qu’elle instruise, contre Désiré Gahungu, un dossier de corruption et d’en tirer les conclusions qui s’imposent.
La Présidence se tourne également vers le Ministre de l’Intérieur, qui est appelé à « demander à l’administrateur de Ngagara, de superviser, avec l’aide de la police municipale, l’enlèvement sans délai de tous les kiosques et containers installés autour du marché communal et cela sur les propres frais des propriétaires, sans aucune autre forme de négociation. »
Deux mois plus tard, à part les comparutions à la Cour anti-corruption, aucune démolition.
Ngagara : un conseil communal scandalisé, ahuri, dépassé … quand l’admicom parle de propreté