Par Dr Gérard Ndayizamba
Mon très cher ami,
C’est par ces mots que nous commencions souvent nos échanges, qui continueront désormais sous d’autres formes… Je fais partie de ces chanceux qui ont eu le privilège de t’avoir comme ami depuis plus de quarante ans. Pour les plus jeunes qui n’ont pas eu le temps de te connaître suffisamment, j’aimerais leur livrer ces quelques souvenirs que je garde de toi.
Un certain Tite Gatabazi qui a eu l’occasion de te fréquenter a récemment écrit dans un article largement partagé et intitulé « La famille francophone en deuil » :
« Il avait l’intelligence et la tempérance qui forçaient le respect. Homme de convictions et de dialogue, il avait un excellent relationnel. Il est de ces personnes qu’on rencontre et qui deviennent des lumières pour nous ».
L’auteur avait vu juste, car tu as éclairé beaucoup de gens au cours de ta vie, en commençant par moi-même.
Pasteur laisse plusieurs familles en deuil, et plus particulièrement celle qu’il a fondée et que nous entourons aujourd’hui.
Mon très cher ami,
Tu forçais le respect par ton humilité, ta bienveillance et le goût de l’effort, des valeurs transmises dès ton enfance. Je sais d’où tu viens, nos parents étaient déjà très proches.
En regardant ton parcours, d’aucuns diraient que tu as eu beaucoup de chances dans ta vie. Mais, comme on dit en Kirundi : « Imana irafashwa », autre ment dit : « Aide-toi, le ciel t’aidera ».
Comme beaucoup de jeunes de ton époque, tu as dû surmonter d’incroyables obstacles pour suivre une scolarité. Du petit centre de Muzuga perdu dans le bois, à l’école primaire de Bururi, en passant par celle de Ndagano, tu as dû marcher beaucoup, bravant à plusieurs reprises la tristement célèbre rivière Siguvyaye qui a failli t’emporter plus d’une fois.
Visiblement doué pour les études, tu fréquenteras les meilleurs établissements scolaires du pays avec la même constance dans tes résultats. Une vocation sacerdotale te traverse l’esprit lors de ton passage au séminaire, mais tu changeras finalement d’avis. Tu y puiseras néanmoins la foi qui ne t’a jamais quittée. Nous avions parfois des discussions métaphysiques captivantes, mais elles étaient toujours apaisées, sans gagnant ni perdant.
D’abord tenté par des études médicales, tu étudieras le droit pour mieux soigner la justice. Reconnu unanimement comme le meilleur Président de la Cour Suprême que le Burundi n’ait jamais connu, tu feras respecter le droit pendant les dix ans passés à la tête de la plus haute juridiction du pays.
Convaincu que sans institutions judiciaires fiables il n’y a pas de développement possible, tu as su protéger l’Etat de droit par ton travail et ton comportement exemplaires. Ce n’est d’ailleurs pas un pur hasard que cette période corresponde aux dix années les plus glorieuses en matière de développement économique du Burundi.
D’une sobriété à toute épreuve, tu n’aimais pas les mondanités et préférais rentrer tôt. Ceux qui te connaissaient savent aussi que tu ne ratais jamais aucune occasion d’aider, même si les sollicitations étaient nombreuses.
Toujours courtois, tu étais aussi un homme de conviction, n’hésitant pas à contredire les puissants quand il le fallait.
L’intérêt général chevillé au corps, tu t’es toujours passionné pour l’éducation et la santé.
De 1976 à 1977, tu exerces, parallèlement à tes fonctions de Conseiller juridique à la Présidence de la République, comme professeur à temps partiel du droit social à la Faculté des sciences économiques et sociales de l’Université du Burundi et à l’Institut Supérieur des Cadres Militaires.
Vice-Président du Conseil d’administration de l’Université du Burundi pendant presque dix ans, tu as contribué à son essor. De nombreuses facultés sont mises en place et de nouvelles résidences universitaires sortent de terre. Je me souviens de ta fierté non dissimulée au début des années 80, non loin du Président Bagaza félicitant les premiers médecins formés à Bujumbura.
En 1987, tu es nommé Ambassadeur Extraordinaire et Plénipotentiaire du Burundi auprès, excusez du peu, de : la France, l’Espagne, le Portugal, Chypre, la Grèce, la Turquie, l’Algérie, le Maroc, la Tunisie, l’UNESCO et la Francophonie, avec résidence à Paris, une mission diplomatique à la hauteur de ta personnalité.
Pendant cinq ans, tu vas porter haut et fort l’image de ton pays. Grâce à ton action déterminante, le Burundi intègre le Bureau exécutif de l’Unesco en 1989. La coopération entre la France et le Burundi, un temps refroidi par le conflit Eglise-Etat s’améliore spectaculairement dans tous les domaines. De nombreuses bourses d’études, notamment en spécialisation médicale, sont délivrées.
Tu négocieras personnellement la mise en place des études de troisième cycle dans la Faculté de Médecine à l’Université du Burundi. Ne ménageant aucune peine pour promouvoir des projets de coopération ou de jumelage, tu vas sillonner ta large mission diplomatique avec des succès concrets.
Tu avais aussi le don de saisir les bonnes opportunités. Je me souviens de ton escapade presque impromptue au CHU de Rennes en mars 1990. Profitant du célèbre Congrès socialiste de Rennes où tu étais invité, tu rencontres les médecins en formation en France pour s’enquérir de leur situation, avant d’aller négocier la même journée avec les autorités hospitalières des projets de coopération. Il s’en suivra de nombreux stages offerts aux agents du CHU de Kamenge, dans presque tous les domaines.
L’amitié entre le Burundi et la France est tellement excellente à cette époque qu’une distinction exceptionnelle t’ait attribuée. Tu es désormais Commandeur de la Légion d’Honneur de la République Française. Ton charisme et ta prestance forcent dorénavant le respect dans les cercles très fermés des milieux diplomatiques à Paris, mais ton bureau est toujours ouvert aux Burundais, comme ta résidence à Saint Cloud, où ton épouse et toi-même saviez si bien accueillir.
A partir de 1992, tu es appelé à d’autres fonctions, d’abord comme Directeur du Bureau Régional de l’Agence de la Francophonie en Afrique de l’Ouest, puis Directeur de la Coopération juridique et judiciaire de la Francophonie de 1999 à 2005. Devenu globe-trotter avec plus de cinquante pays visités, tu vas sillonner le monde avec la même soif de découvrir des cultures différentes. Peu de gens connaissaient tes qualités de sociologue acquises en observant soigneusement les différentes civilisations sur les cinq continents. Romantique assumé, tu savais apprécier les beautés de la nature avec une curiosité qui pouvait parfois détonner !
Une fois ta carrière internationale terminée, tu renoues avec la toge en créant un cabinet d’avocat à Bujumbura, tout en participant à différents projets de développement du pays.
Connaissant ta passion pour la médecine, les promoteurs de l’hôpital Bumerec de Bujumbura te choisissent naturellement pour présider son Conseil d’Administration, tout en assurant les fonctions de conseiller juridique du centre de Kigutu.
Toujours porté par l’intérêt général, tu explorais toutes les pistes, quitte à sortir des sentiers battus. Je me souviens d’un projet que nous avions monté tous les deux en 2007. Il portait le nom de Burundi Energies Alternatives (BEA) et ambitionnait de développer l’énergie solaire. Nous étions en avance, mais faute de soutien, nous réussirons juste l’électrification du centre de santé de Ndagano. Nous avions le sentiment d’avoir échoué, mais ce sont les petites gouttes d’eau qui font les océans. Savoir échouer, c’était aussi une de tes grandes qualités qui n’est pas donnée à tout le monde. Homme de justice, tu as expérimenté à ton tour l’injustice, sans jamais verser dans la colère ni la haine, mais continuer à réclamer tes droits, tout simplement.
Pasteur Nzinahora ou la bienveillance incarnée.
Mon très cher ami,
Tu avais compris plus que les autres, que le contraire de l’amour n’est pas la haine, mais l’indifférence. Tu t’adressais aux gens, quelle que soit leur condition sociale avec la même empathie, avec le style qu’on te connaissait et qui comprenait souvent un verbe, un sujet et un grand compliment qui ne laissait jamais indifférent.
Avec tes qualités humaines unanimement reconnues, tu symbolisais mieux que quiconque l’Ubuntu, une valeur qui s’est encore mieux révélée au cours de ces deux dernières années, marquées par les ennuis de santé. Peu de gens te savaient souffrant, car tu n’étais pas l’homme à te plaindre. Tu as affronté la maladie avec courage et dignité jusqu’à la date fatidique. On n’est jamais assez préparé, mais ton entourage n’aurait jamais imaginé un départ aussi rapide. Beaucoup de gens se sont étonnés que deux heures avant ta disparition tu discutais encore avec passion de projets de développement pour les Burundais. Ils ignoraient sans doute combien tu étais très attaché à ce pays. Nous garderons de toi le souvenir d’un homme intègre, un chef de famille attentionné, un père aimant et un grand humaniste.
Les historiens trouveront matière à écrire un ouvrage sur ta vie, dont Rudyad Kipling a déjà écrit la préface à travers son Poème « Tu seras un homme mon fils » :
(…)
« Si tu peux rester digne en étant populaire,
Si tu peux rester peuple en conseillant les rois,
Et si tu peux aimer tous tes amis en frère,
Sans qu’aucun d’eux soit tout pour toi ;
Si tu sais méditer, observer et connaître,
Sans jamais devenir sceptique ou destructeur,
Rêver, mais sans laisser ton rêve être ton maître,
Penser sans n’être qu’un penseur ;
Si tu peux être dur sans jamais être en rage,
Si tu peux être brave et jamais imprudent,
Si tu sais être bon, si tu sais être sage,
Sans être moral ni pédant ;
Si tu peux rencontrer Triomphe après Défaite
Et recevoir ces deux menteurs d’un même front,
Si tu peux conserver ton courage et ta tête
Quand tous les autres les perdront,
Alors les Rois, les Dieux, la Chance et la Victoire
Seront à tous jamais tes esclaves soumis,
Et, ce qui vaut mieux que les Rois et la Gloire
Tu seras un homme, mon fils. »
Tu fus un grand homme cher ami, et comme disait Paul Valéry, « Les grands hommes meurent deux fois : une fois comme homme, et une fois comme grand ».
Tu viens de disparaître comme homme sur cette terre européenne, mais tu meurs comme grand dans ton Burundi natal que tu as tant aimé et si bien servi. Alors, aux grands hommes, la patrie devrait être reconnaissante.
Au revoir notre frère bien aimé.
Docteur Ndayizamba Gérard
Correction:
– inneffables qualités
– personnes grandes et moins grandes
Un merveilleux hommage qui met en lumière non seulement les innéfables qualité du cher disparu, mais tout autant la beauté d’une longue amitié digne de respect.
Par ailleurs, je partage les sentiments exprimés avec sobriété et tact au dernier paragraphe de ce bel adieu : que ne reconnaissons-nous jamais les personnes, grandes et moins simples qui ont servi le pays admirablement sans être nécessairement des représentants politiques d’un parti ou d’un quelconque groupe d’intérêt ?
La patrie reconnaissante à des « Patriotes » qui ont forcé le respect et l’admiration, tout simplement ?
Excellent hommage rendu par Dr Gérard Ndayizamba
à Feu Pasteur Nzinahora, un grand serviteur de l’Etat Burundais et de l’espace francophone, un modèle de compétences, d’intégrité et d’éthique sur tous les plans.
Que la terre lui soit légère!
Docteur Gérard NDAYIZAMBA,
Merci, pour le sublime Hommage à Monsieur NZINAHORA Pasteur.
En toute humilité,pour avoir eu l’honneur d’être son employée, en tant que greffier à la Cour Suprême et Cassation, alors qu’il en était le Président,
j’aimerais simplement dire ceci:
Encore une fois, ma Patrie vient de perdre UN GRAND HOMME, UN FILS DIGNE, UN ETRE JUSTE.
Monsieur, le Président de la Cour Suprême et Cassation; MERCI D’AVOIR EXISTE.
Comme on dit: » LES GRANDS HOMMES NE MEURENT JAMAIS »
REPOSEZ EN PAIX, MONSIEUR.
toutes mes condoléances à toute sa Famille.
mme astérie