Le centre des métiers de la commune Rugari est à l’agonie. Il n’a plus aucun moyen de fonctionnement. La commune Muyinga décline toute responsabilité. Chronique d’une mort annoncée.
Lundi le 11 décembre. Il est 9h du matin, au centre d’enseignement des métiers de Rugari en commune Muyinga, à 15 km de la province de Muyinga. À l’entrée de cet établissement aux locaux flambant neuf, le calme règne.
Les apprenants de la filière agri-élevage ont terminé la formation. Pensif avec un air désespéré, Léopold Ruberintwari, directeur est au bureau. « La seule filière agro-élevage qui fonctionne jusqu’à maintenant risque de fermer», explique ce responsable. « Venez voir les conditions dans lesquelles vivent les vaches, les chèvres, les porcs, les poules et les lapins servant de matériel didactique aux élèves », dit-il.
D’un geste de la main, il nous invite à le suivre derrière le bâtiment. On découvre alors de trois vaches de race frisonne, 9 chèvres, 6 porcs, 6 poules et quelques lapins, tous maigres. Ils n’ont aucun point d’eau à leur disposition. D’après ce directeur, ces animaux sont mal nourris. Ils n’ont pas les soins nécessaires, faute de moyens.
La chèvrerie est à ciel ouvert, une partie n’a pas de toiture. A l’intérieur, neuf chèvres, dont des chevreaux, des boucs, sont dans un même compartiment. A côté, des lapins enfermés dans un petit compartiment cimenté, à défaut d’un clapier. « Ils sont exposés à la gale. Dans de telles conditions, ils ne peuvent pas se reproduire, tous les lapereaux qui naissent, meurent après quelques jours ».
L’étable et la porcherie sont également à ciel ouvert. Elles sont à moitié couvertes par des tentes déchirées. A l’intérieur, les vaches et les porcs pataugent dans plusieurs centimètres de boue.
L’étable n’a ni de couloir de contention (un couloir construit en bois ou en métal pour faciliter et sécuriser la manipulation des bovins avec un effectif réduit d’hommes) pour soigner les vaches, ni d’abreuvoir. Pas d’aires d’exercices. Ce centre n’a pas d’espace pour planter le fourrage.
Le manque de frais de roulement est un autre problème épineux. Depuis le 10 janvier 2018, le jour de la réception du bétail, le directeur se débrouille pour soigner, nourrir le bétail et payer les gardiens et les veilleurs. Hormis les aliments concentrés qui n’ont duré que peu de jours, Léopold Ruberintwari témoigne n’avoir reçu aucun soutien communal.
Centre laissé à l’abandon
Ce responsable estime qu’il a déjà dépensé plus de 1,6 millions de BIF. Ce bétail consomme un budget de 990 mille de BIF par mois. Face à cette situation, cet ingénieur agronome de formation fait savoir qu’il n’est pas resté les bras croisés. Il montre les copies des correspondances envoyées à l’administrateur de la commune de Muyinga et aux autorités de l’enseignement des métiers et formation professionnelle en province de Muyinga.
Dans une lettre récente d’octobre dernier, il alerte le président du conseil communal de Muyinga : « La santé du bétail et le bâtiment se dégradent jour après jour, suite au manque d’appui et de moyens financiers.»
Il déplore que personne n’ait répondu à son appel. « Ce centre est laissé à l’abandon par la commune qui devrait l’appuyer ». Si rien n’est fait, prévient-t-il, ces animaux servant de matériel didactique pour les élèves en formation vont mourir d’ici peu.
Léopold Ndayizeye, chef de service chargé de l’enseignement de métiers et de formation professionnelle en province de Muyinga, indique qu’il est au courant de ces problèmes. « Ce centre fait face au manque de fonds de roulement, depuis le début ». Il fait savoir qu’il a alerté l’administrateur communal et le gouverneur, « mais jusqu’aujourd’hui rien n’a été fait pour secourir ce centre ».
D’après lui, les autres communes de la province Muyinga interviennent dans la prise en charge de leurs centres d’enseignement des métiers. « Au départ, il était prévu que les communes appuient ces centres nouvellement créés jusqu’à ce qu’ils deviennent autonomes ». Il soutient que le centre de Rugari a bénéficié d’un grand nombre de bétails par rapport aux autres de la province de Muyinga.
La commune décline toute responsabilité
Il prédit lui aussi que le bétail va mourir d’ici peu. « Le projet qui a coûté à l’Etat autour de 30 millions BIF va tomber à l’eau. » La responsabilité revient à la commune qui a financé ce projet. Ce cadre soutient que les concepteurs du projet ont commis une erreur en ne prévoyant pas de fonds de roulement.
Par ailleurs, martèle Léopold Ndayizeye, ce projet était destiné au développement de la commune. Ces centres ont été créés pour former les jeunes qui ont échoué au concours national de l’école fondamentale. « L’habitat du bétail est en piteux état. J’ai prévenu, dès le début, que ce dernier ne remplissait pas les normes, en vain ».
Laurent Kayumba, conseiller technique chargé des affaires économiques et du développement de la commune de Muyinga, déclare que la commune n’a aucune responsabilité dans cette affaire. Il donne la genèse du projet et explique que le ministre de la Fonction publique est le concepteur du projet. Il a demandé l’appui au ministre de l’Intérieur qui a ordonné aux communes d’accompagner son collègue dans l’exécution du projet. La commune a exécuté à la lettre le devis du projet, tel que demandé par le ministre de la Fonction publique. « Notre tâche consistait à fournir du matériel et des intrants agricoles pour l’équipement de la filière agro-élevage, l’achat de gros et du petit bétail et des bancs pupitres ». Après, insiste-t-il, ce n’est plus l’affaire de la commune.
Selon M. Kayumba, le centre de métiers de Rugari n’a pas été pris en compte dans la préparation du budget annuel 2017-2018. Et de signaler que depuis l’ouverture des centres d’enseignement des métiers et de formation professionnelle de la province de Muyinga, les enseignants n’ont pas encore perçu leurs salaires.