Après les échauffourées du 20 avril sur la colline Rukira, commune Butihinda, province Muyinga, les opposants vivent la peur au ventre. Ils disent être intimidés, arrêtés, emprisonnés, empêchés de faire leur deuil, etc. Ce que rejettent l’administration et la police. Les reporters d’Iwacu se sont rendus sur place.
Sous un ciel gris, lundi 29 avril, Rukira, une colline de la commune Butihinda, se dresse lentement vers Kamaramagambo, en province Muyinga. Une route en terre battue bordée de géants eucalyptus divise Rukira en deux. Cet après-midi, le temps est mauvais sur cette route, et la circulation n’est pas intense. Quelques jeunes hommes, en petits groupes, de deux ou trois, se promènent. Certains d’un pas pressé. «Des Imbonerakure», confie Gaspard, (pseudo) un quadragénaire. «Ils viennent d’une réunion avec l’administrateur», ajoute Jacques (pseudo), l’air méfiant.
Dans notre voiture, les deux hommes, nos sources, détournent leurs visages et, se dissimulent. Ils évitent de se faire repérer par ces Imbonerakure, avec des inconnus dans la localité.
La méfiance politique est totale ces derniers jours. Les deux sont des vétérans du Frodebu, bien connus sous cette casquette, depuis belle lurette.
A un moment, dans un virage, Jacques descend de la voiture. Pourtant il n’est pas arrivé à destination. Les deux sont des voisins. «Nous ne pouvons pas sortir en même temps. Il ne faut surtout pas qu’ils nous voient ensemble», explique Gaspard. Il sortira un peu plus tard.
Au bout de la route, un petit centre. Autour d’une vingtaine de maisonnettes en briques adobes, couvertes de paille ou de tuiles. Des bistros, des petites boutiques, des restaurants, etc. C’est le centre Gisozi. Des jeunes gens commencent à arriver, un à un.
Nous circulons dans des bananeraies, des champs de haricots, une verdure luxuriante, jusqu’à plus ou moins 800 mètres. Là, un nouveau centre, qui ressemble à celui de Gisozi, mais plus petit. Nous sommes à Nyarugunda.
C’est ici qu’ont eu lieu, dimanche 20 avril, des échauffourées entre des Imbonerakure et certains militants de l’opposition. Jacques et Gaspard étaient-là. Ils racontent les faits…
Les affrontements
C’est vers 19h, au centre Nyarugunda. Jibril Niyonkuru, président du parti Cndd-Fdd à la colline Rukira passe un coup de fil à Saïd Nyamarushwa, vice-président de ce parti dans la commune Butihinda. Quelques instants plus tard, trois motos débarquent. Chacune avec trois personnes. Nyamarushwa est avec 8 Imbonerakure munis de gourdins.
Ces derniers s’attaquent immédiatement à ceux qu’ils retrouvent dans un des bistrots à Nyarugunda. Quatre personnes sont sévèrement tabassées. Une femme et trois hommes. Ils encaissent sans broncher. Le reste se sauve. Les attaquants reprennent leurs motos, laissant leurs victimes à demi mortes, gisant à même le sol. Ils se déplacent vers le centre Gisozi pour le même forfait.
Mais sur cette colline, les rumeurs d’une attaque imminente par des Imbonerakure circulaient depuis un moment. «Les Imbonerakure avaient inventé une rumeur faisant état des réunions illégales par des opposants qui se profilaient. Nous savions que c’est leur stratégie pour traquer certains».
Au centre Gisozi, ces jeunes ne trouvent personne. Les opposants avaient déjà été prévenus de l’attaque. Les trois motos rebroussent chemin vers Nyarugunda. Sauf que là, après la débandade, les militants du CNL et du Frodebu se sont entretemps réorganisés et coalisés.
La bagarre commence. Les forces se renversent. Ces envahisseurs sont sérieusement battus. Leurs motos endommagées. Ils appellent alors la police au secours. Celle-ci arrive très vite. Sans rien demander, elle se rallie aux jeunes affiliés au parti de l’Aigle, se bat contre les opposants. Ces derniers se défendent, tiennent debout. Les policiers tirent deux fois en l’air. En vain.
Enfin, le président des Imbonerakure dans la province, un certain Shabani, vient en renfort avec un véhicule plein de jeunes de la commune Muyinga. Deux des opposants, Ismaël Bahati et Antoine Karenzo, sont alors arrêtés. D’autres prennent le large.
Et la chasse commence…
Dimanche 20 avril. Cette nuit, les fouilles par ces Imbonerakure se soldent par l’arrestation d’Etienne Ntegerejimana et d’Elie Nduwimana, des militants du CNL. Emmenés au centre Nyarugunda, ils sont battus à mort avant d’être relâchés.
Lundi 21 avril. C’est le tour d’Aloys Ncishubwenge, militant du Frodebu, de Bernard Mvukiye, Claver Nzitunga, Zacharie Nizigiyimana et Claude Macumi, des militants du CNL. Tous sont tabassés devant leurs domiciles, sous la direction de Saïd Nyamarushwa.
Le premier succombera aux coups sur place. Les quatre autres sont emmenés au centre de la commune Butihinda. Là, ils seront tabassés de plus belle, avant d’être ramenés chez eux, agonisants. Pendant un bon moment, Nizigiyimana perdra connaissance.
Mardi 22 avril. Adamon Nshimirimana, représentant du CNL à Butihinda, ainsi qu’Elie et Manirambona, des militants de ce parti, sont arrêtés à Rukira, alors venus consoler les victimes de la veille. Ils sont emprisonnés au commissariat de police à Muyinga.
Certaines femmes de ceux qui ont pris fuite seront aussi victimes. Entre autres la femme de Révérien Nduwimana, président du parti Sahwanya Frodebu dans la commune Butihinda. Elle est passée à tabac ce mardi-là. Les Imbonerakure n’ayant pas trouvé son mari à la maison, lors des fouilles.
Selon les témoignages, les victimes de ces fouilles ne sont pas celles qui ont participé aux affrontements. Certains individus, identifiés depuis longtemps, étaient en ligne de mire. Le chef de colline Rukira aurait d’ailleurs listé, à la suite des affrontements, 45 personnes à arrêter.
De leur côté, ceux qui sont déjà détenus à la prison centrale de Muyinga, sont désespérés. Ils n’ont qu’une supplication : «Qu’on nous donne l’autorisation pour aller nous faire soigner. Notre vie va de mal en pis suite aux coups », demande l’un d’eux, d’une voix rauque conséquente aux cris poussés lors du passage à tabac, le jour de son arrestation.
La panique
Lundi 29 avril. Plus d’une semaine après, les esprits sont loin d’être apaisés. Les intimidations, les rondes nocturnes des jeunes affiliés au Cndd-Fdd, des filatures… se sont intensifiées. Toutes les sources contactées se montrent réticentes à parler…
La famille de feu Aloys Ncishubwenge dit craindre pour sa vie. Elle ne peut pas accueillir des visiteurs sous peine de persécution. Elle est placée sous surveillance. Des témoignages font état des jeunes qui la surveillent, discrètement. Tout mouvement est suivi et contrôlé.
Ainsi, depuis le décès de Ncishubwenge, cette famille n’a pas eu droit au deuil. « Personne ne peut se hasarder lui rendre visite pour la consoler. Ce serait en quelque sorte nous exposer, nous ne pouvons pas oser». Car, Adamon Nshimirimana (de la colline Kamaramagambo), Elie Nduwimana (Rukira) et Manirambona (Mugongo) qui avaient vaincu cette peur mardi 22 avril, ont été arrêtés sur le champ.
Ceux qui étaient sur les lieux le jour des accrochages, les membres des familles dont les leurs sont emprisonnés ou ont pris fuite, sont plongés dans la même terreur.
Dans un premier temps, terrorisés, les quelques témoins qu’Iwacu a pu rencontrer ailleurs que sur leur colline avaient refusé, toute rencontre avec des journalistes. «Nous ne pouvons même pas nous déplacer, nous sommes suivis.» Il a fallu convaincre, chercher des stratégies de les rencontrer pour qu’ils puissent passer incognito.
Toutes les sources rencontrées à Butihinda affirment que la descente de la gouverneure, du commissaire provincial de police, jeudi 24 avril, n’est pas rassurante « Au lieu d’évoquer des enquêtes pour connaître les auteurs, ils se sont contentés d’intimider les opposants».
Des arrestations se poursuivent. Une source à Butihinda confie que Macaire Banyankindagiye, Idi Itangimana et Issa Bimenyimana ont été arrêtés mardi 30 avril à Cankuzo. « Ils avaient fui Butihinda après les échauffourées de dimanche 20 avril. Nous craignons le pire », ajoute un des proches.
« Butihinda est tranquille »
Côté administration, la situation sécuritaire est bonne. «Personne ne peut dire que des membres des partis politiques se sont affrontés à Rukira. Ce sont des gens qui se sont bagarrés dans un bistrot», soutient Innocent Haringanji, administrateur de la commune Butihinda. Simplement, dit-il, comme c’est dans une période pré-électorale, toute dispute est politiquement interprétée. « La commune Butihinda est tranquille ». Cet administratif rejette cette accusation selon laquelle ce sont surtout les membres du CNL qui sont visés : « Ce parti n’existe pas dans notre commune. Nous avons seulement six partis à savoir Cndd-Fdd, Frodebu, Frodebu-Nyakuri, FNL, Uprona et UPD.» M. Haringanji affirme que la cohabitation est bonne entre eux : « Ils demandent des permissions pour tenir des réunions. Et elle est accordée. » Et d’ironiser : « Malgré cette liste, sur terrain, on ne voit que le Cndd-Fdd. Les Upronistes se comptent par exemple sur le bout des doigts.»
Quid des auteurs de l’assassinat de feu Ncishubwenge ? M. Haringanji assure mordicus que les auteurs ont été arrêtés et confiés à la Justice. Il en appelle à plus d’attention face aux «rumeurs» véhiculées sur les réseaux sociaux. «Ceux qui les propagent le font sciemment ou y ont leurs intérêts ». Un couvre-feu a d’ailleurs été instauré : « Depuis 24 avril, nous avons fixé l’ouverture des bistrots au moins à 13 heures et leur fermeture à 21 heures au plus tard. »
Edouard Nkurunziza & Rénovat Ndabashinze