A Muyinga, certains commerçants s’adonnent à la fraude au grand jour. Ils justifient cette pratique par la hausse des taxes de l’OBR (Office Burundais des Recettes). L’administration en appelle à une collaboration étroite entre elle, l’OBR et la Brigade anti-corruption pour l’éradiquer. <doc1981|left>Vallée de Mugikwiye, dans la zone Rugari, commune Muyinga. Le ciel est gris en cette après-midi de novembre, avec des signes d’une pluie imminente. Au loin, des hommes, arpentent la colline avec plus de 40 sacs de riz, farine de blé, devant les regards médusés des habitants qui travaillent dans les champs. Les arrivants viennent de Nyabihanga, localité de Kabanga, côté tanzanien. G. H., habitant la localité, est lui aussi un passeur de marchandises frauduleuses. Il confie : « Le trafic illégal existe. C’est surtout des sacs de farine de blé, de manioc et du riz que nous transportons de Kabanga, à plus ou moins cinq kilomètres, en Tanzanie. » Selon lui, des commerçants achètent des marchandises à Kabanga en Tanzanie qu’ils font porter par des paysans vivant près de la frontière pour échapper aux taxes de l’OBR, au poste de frontalier de de Kobero. G.H.indique que chaque passeur reçoit chacun une somme variant entre deux mille et cinq mille, suivant le poids et la nature de la marchandise. Ce trafic, explique-t-il, est facilité par la rivière Kagongoro qui est peu profonde par endroits. Aux dires de notre interlocuteur, ces marchandises sont déposées dans un endroit indiqué par les propriétaires, le plus souvent des commerçants du marché de Muyinga. M. Il indique également que les porteurs arpentent, en pleine nuit, les collines de Kabanga pour échapper au contrôle des douaniers tanzaniens. Ils continuent ensuite leur trajet pendant et traversent la rivière Kagongoro, de jour. Des complicités dans l’administration T. N., un éleveur rencontré dans la vallée de Mugikwiye, déplore que le trafic se passe au vu et au su des autorités administratives à la base : elles ne lèvent pas le petit doigt. Selon lui, certains ferment même les yeux sur la fraude et laissent faire moyennant des pots-de-vin. « Ces porteurs sont connus et payés par ces commerçant fraudeurs. Mais ils ne sont pas appréhendés alors qu’ils vivent près de la frontière », s’étonne-t-il. <doc1985|right>Un commerçant de la colline Kavumu va plus loin. D’après lui, il ne se passe aucun jour sans que des dizaines de marchandises traversent des passages entre le Burundi et la Tanzanie : « Les chefs de secteur sont au courant de cette fraude mais ne font rien pour la stopper. » Ils n’alertent même pas la police, déplore-t-il. Selon lui, ce trafic a des conséquences énormes sur le commerce des gens honnêtes ; car les fraudeurs n’ont pas de scrupules et cassent les prix sur le marché pour écouler rapidement leurs marchandises. Les raisons avancées Pour cet habitant de Murama, une autre localité où la fraude est massive, la raison majeure invoquée par les fraudeurs est la hausse des taxes par l’OBR. Il explique que cet office perçoit 5500 Fbu sur un sac de 100 Kg et oblige les commerçants à aller dédouaner à Kayanza, alors que le sac coute 30 mille shillings à Kabanga, soit 28000 Fbu :« Comment voulez-vous qu’on gagne quelque chose si le même sac doit coûter 31000 mille Fbu au marché de Muyinga alors que nous sommes obligés d’aller dédouaner à Kayanza ? » « A ce rythme, la fraude n’est pas prêt de s’estomper », martèle-t-il. Et pour cause ! Selon cet habitant de Murama, certaines marchandises frauduleuses sont saisies par la police tanzanienne ; mais cela n’empêche pas ces commerçants de récidiver malgré des fortes amendes qu’ils versent chaque fois qu’ils sont appréhendés. L’autre raison est l’attitude qu’il trouve bizarre des agents de L’OBR : « Ils arrêtent tout ce qu’ils trouvent sur leur routes, même si ce sont des articles que nous avons nous- même produits. On n’y comprend plus rien. » Mais un agent de l’OBR au poste frontalier de Kobero dément cette version. Selon lui, depuis deux semaines, les commerçants sont autorisés à dédouaner les denrées alimentaires directement au poste de l’OBR de Kobero. Seulement, déplore-t-il, les commerçants préfèrent la fraude à la voie légale. Pour lui, la seule explication est que l’éducation fiscale laisse encore à désirer chez les habitants de Muyinga : « Nous nous tuons à leur expliquer l’intérêt des impôts et taxes mais rien n’y fait. » <doc1986|left>Une frontière très poreuse Concernant la perméabilité de la frontière qui facilite ce trafic, notre source le reconnaît mais explique qu’à l’heure actuelle, l’OBR n’a pas suffisamment d’agents pour vérifier les entrées tout au long de la frontière. Elle déplore également la complaisance, voire la connivence, de certains responsables administratifs. Plus grave, ajoute-t-elle, certains agents communaux n’hésitent pas à percevoir des « taxes » sur des produits frauduleux. Toutefois, elle salue le travail de la Brigade anti-corruption de Muyinga : elle fournit beaucoup d’efforts et ne cesse d’appréhender des fraudeurs et les envoie à l’OBR. Cette dernière a, aujourd’hui, un stock de marchandises saisies, notamment des produits alimentaires (telles le riz, le sucre) et non alimentaires comme des coussins et matelas. « Nous en avons nous-mêmes saisi certains et d’autres nous ont été envoyés par cette brigade. » Chaque fois que cette brigade appréhende met la main sur des articles la frauduleux, elle dresse un procès-verbal de saisie et envoie les marchandises au bureau de l’OBR. Amuri Selemani, administrateur communal de Muyinga, reconnaît que certains responsables administratifs à la base ont failli à leur mission en couvrant la fraude. Il plaide pour une synergie de l’OBR, la Brigade anti-corruption et l’administration de pour arrêter des stratégies efficaces contre la fraude : « Vu la perméabilité de notre frontière où ce sont de simples ruelles qui séparent nos deux pays, il est difficile de lutter contre la fraude si on ne le fait pas en équipe. »