Dans certaines communes de la province de Muyinga, des barrières sur les routes contrôlées par des jeunes en civil sont décriées par certains citoyens. L’administration assume et explique que c’est pour des raisons de sécurité.
Vendredi 28 décembre, 18h30. Chef-lieu de la zone Rugari, en commune Muyinga. La clarté qui a marqué la journée s’efface, la nuit descend doucement sur Rugari.
A l’horizon, des nuages se forment dans le ciel, un brouillard envahit les collines rapidement. Les gens surpris par le crépuscule et la pluie imminents se pressent de rentrer.
19h, départ pour Murama, l’une des collines de cette zone. Une trentaine de minutes à bord d’une moto. Avant de démarrer, le motard tient à m’avertir: «Vérifie tes pièces d’identité, ce ne sera pas une simple promenade de santé.»
A quelques 500m de la route goudronnée menant à Kobero, ralentissement, frein. C’est à Kavumu sur la colline Mwurire, il est 19h07. Il pleut légèrement. L’endroit est très obscur. Grâce au phare de la moto, on peut distinguer une corde fine en morceaux d’habits usés qui traverse la route. «Une barrière, il faut s’arrêter. Voilà ce que je disais tantôt», murmure le motard.
Apparemment, personne dans les parages. Mais, curieusement, assis au bord de la route sous des caféiers, trois silhouettes d’hommes gardent la barrière. Des jeunes hommes. Ils échangent à voix basse. L’un d’eux se lève, avance, braque une torche sur mon visage. Sans rien dire, il se retourne et enlève la fameuse barrière. «Ce sont des Imbonerakure qui veillent à la sécurité», reprend le motard qui avait gardé son silence pendant ce bout de temps.
A cette colline, de telles barrières sont légion, selon le motard. «Il y en a une ou deux selon la direction que l’on prend. Certaines uniquement pendant la journée, d’autres exclusivement la nuit et d’autres encore le jour et la nuit». En cette soirée, pour la direction Mwurire-Murama, nous en avons traversé deux.
Avant d’atteindre la barrière de la colline Murama, le motard a estimé bon de se faire accompagner par une personne qui, selon lui, a de bonnes relations avec ceux qui font les rondes. Un troisième homme, la quarantaine, a embarqué notre moto. Au niveau de la barrière, celui-ci ne fera que dire ‘‘bonsoir’’ aux veilleurs et la corde tombera.
Renforcer la sécurité : oui, mais…
D’après des sources concordantes interrogées, ceux qui font ces rondes sont tous des jeunes affiliés au parti au pouvoir. «Cela n’est pas rassurant», opine un homme, rencontré au centre de négoce de la colline Mwurire. Pour lui, le besoin de sécurité étant pour tous, il aurait fallu intégrer toutes les composantes de la population, venues de toutes les sensibilités politiques.
Yves (pseudo), un représentant provincial d’un parti dit de l’opposition, soutient avoir demandé, sans succès à maintes reprises, que ces rondes soient inclusives. Ceci d’autant plus que lors des réunions, l’administration évoquait un souci de patrouilles par des comités mixtes de sécurité. L’objectif étant notamment de mettre un terme aux fraudes, monnaie courante en cette circonscription frontalière de la Tanzanie.
Selon Yves, l’administration a toujours répondu qu’elle tenait à l’inclusivité. «Des paroles non honorées, car, quand nos jeunes ont voulu se joindre aux autres dans ces patrouilles, ils ont trouvé ceux-ci avec des badges». Il affirme ignorer où ces derniers ont été distribués. Ces comités, qui ne sont pas mixtes, « devraient être appelés des comités d’Imbonerakure chargés de la sécurité ».
Ce n’est pas tout comme reproches. Un commerçant de Murama reconnaît que ces comités ont le mérite d’avoir réduit les cas de banditisme, mais il déplore le paiement de beaucoup de frais en plus.
«Nous avions des gardiens chargés d’assurer la sécurité de notre marché que nous payions selon une rémunération convenue. Ces Imbonerakure exigent unilatéralement des montants à payer par chaque commerçant».
Mathias, un taxi-vélo habitant la colline Gatongati estime, par ailleurs, que « ces Imbonerakure» n’ont pas fait baisser la fraude. «Au contraire, ces sont des gens très corruptibles. Il suffit de leur glisser quelques billets, votre marchandise passe aisément en fraude». Pour lui, c’est comme si l’administration leur a cherché un moyen pour trouver de quoi mettre sous la dent.
Il pense que si ces comités étaient inclusifs, ils seraient efficaces. «N’étant pas issus d’une même formation politique, ils auraient éventuellement des réactions différentes devant des cas de fraude. Et les pots-de-vin pourraient ainsi être évités ».
D’après ce taxi-vélo, la traversée des barrières avec des clients est un véritable calvaire. «Il y a au moins une barrière à un kilomètre au plus. Et à chaque fois, on doit s’arrêter et décliner son identité. Et ils te fouillent partout jusque dans les poches». Pire, dit-il, même avec une identité sur soi, tu peux être arrêté et subir un interrogatoire. Tu continueras quand tu leur auras donné quelque chose. «Mais ça dépend de la barrière, de ceux qui la gardent».
Pour Mathias, cette situation est incompréhensible dans une province dite en paix totale. «Et même s’il y avait une insécurité, la tâche reviendrait aux agents de police». Toutes les sources interrogées sont unanimes : «S’il faut renforcer la sécurité, il faut que ça se fasse d’une manière claire et rassurante.»
L’administration nuance
L’administrateur de la commune Muyinga, Philippe Nkeramihigo, nie l’existence de ces barrières. Il soutient que les seules barrières érigées dans sa commune sont celles qui contrôlent la circulation des marchandises, où se fait la collecte des taxes communales. «Et il est de notoriété publique que cette tâche est confiée aux civils».
Pour M. Nkeramihigo, il n’est pas en outre anormal que la sécurité soit assurée par des civils et non par des policiers. «La sécurité est en premier lieu pour la population et non pour la police». Ainsi, si un inconnu sur une colline est suspecté, un habitant de la colline a le droit de lui demander ses pièces d’identité. «C’est normal. Nous ne pouvons pas avoir partout des agents de police». L’administrateur Nkeramihigo se réjouit plutôt de la réussite des comités mixtes de sécurité.
Même son de cloche du côté du gouverneur de la province. Aline Manirabarusha explique que ces barrières sont la traduction d’une volonté de renforcer la sécurité dans 3 communes frontalières de la Tanzanie : Giteranyi, Muyinga et Butihinda. Particulièrement «pour en finir avec la fraude et tout autre acte qui ferait objet d’insécurité».
Selon Aline Manirabarusha, l’administration a sensibilisé la population à contrôler les différents sentiers à travers les comités mixtes de sécurité. Elle fait savoir que, depuis 2014, ces comités ont donné de bons résultats après avoir découvert une cache d’armes en commune Giteranyi. «Chaque citoyen étant devenu militaire et policier dans sa localité».
A l’endroit de ceux qui rechignent des montants exorbitants payés notamment pour la sécurisation des marchés, Mme Manirabarusha affirme n’avoir reçu aucun rapport. «Cela doit être du mensonge». Pour elle, chacun devrait comprendre qu’il est de son intérêt de participer à ces rondes.
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