Cinq réfugiés du camp de Gasorwe, membres de l’Association pour la défense des droits des réfugiés (ADR) sont incarcérés depuis 11 mois à la prison de Muyinga pour atteinte à la sûreté nationale. Leurs proches accusent les responsables de l’ONPRA (office national de protection de réfugiés et apatrides) d’être derrière cette détention.
<doc2736|left>Camp des réfugiés de Gasorwe, à trois kilomètres de la route macadamisée menant au chef-lieu de la province Muyinga. Bitondo Mbaruko, épouse de Swedi Fataki Mutambala, représentant de l’ADR, a le regard triste. « Mon mari est emprisonné parce qu’il a tout simplement défendu les droits des réfugiés », lâche-t-elle avec colère. Selon elle, M. Bitondo a été arrêté comme un vulgaire bandit sur ordre de Melchior Sindayihebura, chef d’antenne de l’ONPRA à Muyinga et Patrice Ciza, administrateur du camp.
Selon cette mère de six enfants,tout a commencé le 30 mars 2011 :« Il était 15 heures et nous avions passé une journée tranquille quand une camionnette de la police est arrivée chez nous. » Elle indique que des policiers ont commencé à tabasser son mari sans aucune autre forme de procès. « Ils lui ont enlevé ses habits devant nos enfants avant de l’amener comme un chien », dénonce-t-elle.
« Ce jour-là, une réfugiée du même camp, quatre autres membres de l’ADR dont Félix Kasongo, chef d’antenne de l’association à Muyinga ; Obengi Songolo, porte-parole ainsi que Tundula Maneno et Ciusi Kalimbiro, respectivement conseiller et membre de l’association, ont aussi été arrêtés », ajoute Cécile Ngarukiye.
Des conditions de détention difficiles
Selon des sources dans le camp de réfugiés, les prévenus ont été d’abord conduits à la Brigade de la police à Muyinga où ils ont passé trois semaines, enfermés dans une cellule de trois mètres sur quatre avec une dizaine d’autres prisonniers. Mulu Lubingo Bin Kitete, un autre membre de l’ADR affirme qu’ils ont été battus et torturés.
Le 11 avril 2011, les cinq réfugiés ont été transférés à la prison de Muyinga. « Le Procureur accuse deux d’entre , dont Swedi Mutambala et Félix Kasongo, d’être respectivement rwandais et burundais », croit savoir Mulu Kitete.
Puis, le 23 mai. Coup de théâtre. Le chef d’accusation change. Le parquet accuse les cinq prévenus d’atteinte à la sûreté intérieure de l’Etat. Accusation formulée d’ailleurs par l’ONPRA dans une plainte contre les cinq membres de l’ADR à travers une correspondance adressée au procureur, le 28 mars 2011.
Dans cette lettre, Melchior Sindayihebura, chef d’antenne de l’ONPRA à Muyinga, accuse Swedi Mutambala d’avoir créé l’ADR, en mai 2009, avec pour but de dresser les réfugiés congolais contre le gouvernement burundais et le HCR par des marches manifestations interposées. Et d’ajouter que cette association est illégale.
Contradictions
Pourtant, sur des documents dont Iwacu a pu se procurer des copies, plusieurs permissions de sortie du camp ont été délivrées à ces membres avec comme motif de se rendre, soit à Bujumbura, soit dans d’autres camps à travers le pays pour des réunions de cette même association longtemps après sa création. Sur certains billets de sortie, c’est Patrice Ciza, administrateur de protection du camp, qui a, en personne, apposé sa signature.
Melchior Sindayihebura accuse ensuite Swedi Fataki d’avoir diffamé les partenaires du gouvernement en publiant des correspondances sur le site internet de l’ADR dans lesquelles le PAM de est accusé de donner du poison aux réfugiés en leur distribuant du maïs périmé.
Plus grave encore, selon M. Sindayihebura, dans la même correspondance, Swedi Fataki a publié sur ce site internet que le camp de Gasorwe abrite des soldats rwandais. « Ce qui a décrédibilisé le Burundi dans la sous-région et même auprès de la communauté internationale », soutient-il.
Une accusation sans preuves matérielles
Pour Maître Amédée Nzobarinda, avocat des prévenus, cette accusation d’atteinte à la sûreté nationale est sans fondement. Selon lui, le ministère public n’a jamais produit aucun élément à charge pour prouver ce qu’il avance: « Il s’est contenté de dire que l’ADR n’est pas légale. »
Me Amédée Nzobarinda rappelle que ce n’est pas à ses clients de démontrer la légalité de leur association car ce travail appartient au ministère de l’Intérieur. Il rappelle, par ailleurs que tel n’est pas l’objet de leur incarcération. « Plus grave, le Tribunal de grande instance de Muyinga n’est pas compétent pour statuer sur ce cas. Seule la Cour administrative en a les prérogatives», fait-il remarquer.
Après plusieurs audiences, l’affaire a été mise en délibéré le 14 octobre dernier. Et depuis, toutes les parties attendent le verdict. Mais pour la défense, trois mois d’attente commencent à être longs. Malgré tout, Maître Amédée Nzobarinda se dit optimiste car il trouve que rien n’autorise le parquet à garder ses clients en prison.
« Pas de billets de sortie pour les familles… »
En attendant, les familles des prévenus vivent mal l’emprisonnement de leurs proches : « L’administration du camp ne nous donne pas de billet de sortie pour aller leur rendre visite », affirme l’épouse de l’un des prévenus. Elle affirme éprouver des difficultés à partager la ration entre son mari et ses nombreux enfants, alors qu’elle n’a pas de moyens.
L’autre handicap est le moyen de transport pour parcourir les trente kilomètres entre le camp et la prison. Ces familles doivent payer 4000 Fbu chaque fois qu’elles se rendent à la prison, une somme qui n’est pas toujours facile à trouver pour un réfugié.
Toutefois, cet emprisonnement n’a en rien entamé la volonté des réfugiés de défendre leurs droits. Un des membres de l’ADR confie sous couvert d’anonymat que le but de leur association n’est pas de combattre le gouvernement mais de lutter pour la liberté de défendre leurs droits : « Nous ne pouvons pas abandonner notre association car ce serait renoncer au droit d’expression. Nous continuerons notre lutte. »
<doc2734|right>« Nous sommes contre des publications mensongères »
Interrogé, le colonel Didace Nzikoruriho, coordinateur de l’ONPRA nie être derrière cet emprisonnement. Selon lui, l’ONPRA a seulement saisi la justice car des gens dont ils assurent la protection se sont mis à diffamer le Burundi. Il souligne que son office n’a pas envie d’empêcher ces réfugiés de se réunir au sein de l’ADR même si elle est illégale car plusieurs associations ou mouvements œuvrent au sein des camps des réfugiés. Le colonel trouve par ailleurs que ces gens veulent attirer l’attention pour une probable réinstallation à l’étranger.
Il prévient qu’aucun pays ne peut tolérer que des demandeurs d’asile sur son sol sèment le désordre en publiant sur des sites des informations visant à diffamer les gens : « L’ONPRA a porté le dossier devant la justice. Elle en fera ce qu’elle voudra. »
Iwacu a contacté en vain le procureur de la République et le président du Tribunal de grande instance de Muyinga sur ce dossier.