A leur insu, des enseignants se retrouvent membres de deux ou trois syndicats qui prélèvent des cotisations. Scandalisés par cette fraude, des enseignants réclament la restitution des frais retenus sans leur accord.
Muyinga, lundi 18 mars. Le mouvement de circulation est intense vers 7h au chef-lieu de la province. Ecoliers, élèves et enseignants se bousculent vers leurs établissements respectifs. Certains se déplacent à pied, les autres à moto. A défaut, le taxi-vélo est préféré.
Néanmoins, l’angoisse se lit sur les visages des enseignants. A l’origine de cette situation, des frais retenus à la source au profit des syndicats auxquels ils n’ont jamais sollicité l’adhésion.
N.K, enseignant depuis 4 ans au lycée communal Muyinga, membre du syndicat CONAPES, déplore le retrait à son insu de 4000 BIF pendant 2 ans au profit de trois syndicats. «Depuis mon embauche, j’ai intégré le syndicat CONAPES afin de défendre mes droits. Mais, après avoir consulté l’accréditif, j’ai été étonné de constater que des cotisations étaient retenues au profit des syndicats SLEB, SEEPEBU et SIPESBU», s’indigne-t-il.
Pour lui, il est inadmissible qu’un salarié soit contraint de contribuer à un syndicat. Pire encore, de se retrouver affilié à son insu dans plusieurs syndicats du même secteur.
Des enseignants remontés
Même son de cloche chez M.H., enseignante à l’école primaire Muyinga III. Elle s’interroge par quelle magie ces syndicats auraient accédé à leurs données personnelles. A ce titre, elle accuse les agents du ministère de soutenir ce qu’elle appelle ‘‘le vol qualifié’’.
«Nous voulons savoir si c’est l’Etat qui organise des syndicats ou non. Je pense que les agents du ministère de la Fonction publique seraient impliqués dans cette fraude. Sinon, ils n’auraient pas pu trouver nos comptes bancaires et les numéros matricules ».
N.D., un autre enseignant, dénonce une manœuvre visant à enfoncer davantage un enseignant dans le dénuement : «Nous vivons des conditions précaires. Il est inconcevable que nos maigres salaires soient ainsi ponctionnés.» Au sujet du retrait pour l’aide des sinistrés de Busoni, il comprend le geste mais, regrette tout de même qu’ils n’aient pas été consultés.
La même grogne se retrouve chez les enseignants affectés aux écoles de la commune Gasorwe. Au lycée communal de Gasorwe, au moins quatre enseignants ont été incorporés dans des syndicats du primaire. Une situation qui leur est incompréhensible. Ils affirment n’avoir jamais enseigné au primaire.
M.K affecté en 2016 au lycée communal de Gasorwe explique que son salaire fait l’objet de retrait forcé à la source au profit de deux syndicats. Cela avant qu’il n’ait fait même une année de service.
Il n’en veut pas : «Je n’ai besoin d’aucun syndicat dont on ne m’a pas expliqué la finalité. Que toutes les contributions que j’ai payées indûment me soient restituées.» Il déplore que sa requête n’ait pas été exaucée au ministère de la Fonction publique. «Ils m’ont répondu qu’il n’est pas possible de me désengager sans l’aval de ces syndicats».
Son collègue n’y va pas à du dos de la cuillère. Il appelle le ministère de la Fonction publique à «arrêter de cautionner ce vol via des syndicats malhonnêtes». Il exige la restitution de leurs frais doublés des réparations pour des préjudices causés.
Le ministère dit ne pas être impliqué
Renée Mpabonyimana, présidente du Syndicat des travailleurs de l’enseignement du Burundi à Muyinga (STEB), rappelle que chacun est libre d’intégrer le syndicat de son choix avec lequel il signe au préalable un engagement. «Même nos membres n’ont pas été épargnés. Nous ignorons par quel mécanisme nos amis d’autres syndicats ont pu recruter les autres indépendamment de leur volonté».
Cette syndicaliste salue tout de même les efforts du ministre de la Fonction publique pour résoudre ce problème. «La question est en passe d’être résolue. Une campagne de désengagement a été lancée le 13 novembre 2018. Des fiches de désengagement provenant du ministère ont été présentées aux enseignants par un comité des représentants des syndicats».
Le travail n’a pas été effectif, explique-t-il, pour plusieurs raisons. «La fiche permettait de se désengager mais, personne n’était autorisé à tout quitter. Rester au moins dans un seul syndicat était obligatoire. Aussi, les enseignants qui n’ont pas consulté leurs accréditifs ne se sont pas rendus compte qu’ils sont concernés».
Pierre-Claver Kararoba, directeur de la gestion des traitements au ministère de la Fonction, reconnaît cette situation. Pour lui, toutes les provinces sont concernées surtout dans le secteur de l’enseignement.
Il nie néanmoins une responsabilité de sa part dans cette fraude : «Nous traitons des dossiers présentés par les syndicalistes. Savoir comment ils ont pu rassembler les membres, ce n’est pas notre travail. Le ministère ne se mêle pas dans les affaires internes des syndicats.»
Il appelle ceux qui ne se sont pas encore désengagés des syndicats mis en cause à écrire des lettres à leurs présidents et de le mettre en copie. «Ladite lettre devrait comprendre le numéro matricule et mentionner le syndicat dont il veut rester membre».
Au sujet de la restitution des frais déjà retenus, M. Kararoba explique qu’ils virent directement à leurs comptes. « Ce n’est pas notre ministère qui gère les cotisations des syndicats. Je ne suis chargé que des questions purement techniques. A ce sujet, je n’ai pas de réponse claire», conclut-il.