Dimanche 22 décembre 2024

Société

Mutimbuzi : les déplacés des inondations désemparés

14/07/2020 Commentaires fermés sur Mutimbuzi : les déplacés des inondations désemparés
Mutimbuzi : les déplacés des inondations désemparés
Kigaramango abrite une partie des sinistrés des inondations de Gatumba

« Il faut qu’ils retournent dans leurs quartiers ou sur leurs collines d’origine ». Une sorte d’ultimatum du ministère de la Solidarité donné aux victimes des inondations dues aux crues de la rivière Rusizi. « Une fuite en avant et une fausse solution », rétorquent les concernés et les experts.

Commune Mutimbuzi, sur la route Bujumbura-RDC. Les passants sont accueillis par des centaines d’abris de fortune faits de tentes délavées, de lambeaux d’étoffes voire de moustiquaires déchirés. C’est à droite, à la sortie du quartier Kajaga, vers le pont de la Concorde sur la Rusizi.

Nous sommes au site de Kigaramango. Il héberge une partie des victimes des récentes inondations de Gatumba. 776 ménages selon les responsables du site.

Des hommes, des femmes, des jeunes, … grouillent. A l’intérieur de ces abris, des enfants nus, ou à moitié vêtus, certains ont un ventre ballonné Sous un soleil de plomb, certains déplacés font du petit commerce, ils proposent aux clients des aubergines, des tomates, … Désœuvrés, d’autres sinistrés se livrent aux jeux de société comme le jeu des cartes. Certaines femmes préparent le repas avec le peu qu’elles ont.

Des interrogations, le désespoir se lisent sur leurs visages. « Des informations qui nous parviennent font état d’un projet de nous intimer l’ordre de retourner dans nos quartiers ou sur nos collines. Cela nous inquiète», confie Issa, un de ces déplacés de Kigaramango. Il trouve que le moment n’est pas opportun : « Nos maisons ont été partiellement ou totalement détruites. Tout le matériel de cuisine, de couchage, … emporté par les eaux. Comment allons-nous vivre ? »

Dans ce même site, un autre déplacé, Joseph. Selon lui, avant de demander aux gens de retourner dans leurs ménages détruits, il faut d’abord trouver une solution pour la rivière Rusizi. «Une tâche qui incombe à l’Etat. Notre protection lui incombe ».

D’après lui, il faut construire des digues tout au long de la rivière Rusizi. Et ce, pour éviter, en cas des fortes pluies, que ses eaux se déversent dans les ménages.

Kinyinya II s’inquiète aussi

Mêmes lamentations sur la colline Kiyange, zone Gatumba, commune Mutimbuzi, province Bujumbura dit rural. Là, se trouve le site Kinyinya II. Il abrite plus de 1.000 ménages. Le même calvaire. Des abris faits de feuilles de maïs voire de sachets usés ou de branchages d’eucalyptus. Il faut courber l’échine, il n’y a qu’un mètre de hauteur.

« Nous vivons dans des conditions inhumaines. Nous passons souvent des nuits blanches. C’est vraiment difficile à décrire », lâche Anastasie, une mère rencontrée sur place.

La soixantaine, elle rejette l’idée de retourner dans leurs quartiers sans que la Rusizi ne soit pas canalisée. « Bientôt, c’est le début de la saison pluvieuse. Si on nous force d’aller là, plus tard en octobre, les eaux vont encore une fois nous envahir ». Pour la partie Warubondo à Gatumba, cette maman estime qu’il faut délocaliser toute la population. « Le terrain est encore vaseux ».

Pour rappel, mercredi 24 juin 2020, accompagné par des autorités locales, Félix Ngendabanyikwa, cadre du ministère de la Solidarité y a effectué une descente. A cette occasion, il annonce que tous les déplacés des inondations de Gatumba seront bientôt ramenés sur les parcelles. D’après lui, chaque ménage aura une assistance matérielle composée de deux tentes, d’un demi-kg de clous, … pour installer un nouvel abri. Chaque ménage aura aussi 30.000BIF pour subvenir à quelques besoins.

Planifier

« Obliger ces déplacés à retourner dans cette zone n’est en aucun cas une bonne solution. Même si les eaux ont reculé, les pluies vont reprendre bientôt. Et sur le plan sanitaire, le sol, l’eau sont contaminés », analyse Jean-Marie Sabushimike, Géographe et professeur d’Université. Pour le cas de Gatumba, il rappelle qu’il s’agit d’une zone avec des inondations récurrentes avec des dégâts énormes.

Ce géographe trouve qu’au niveau national, il y a un sérieux problème de planification. Une tâche qui revient au gouvernement : « C’est lui qui devrait le faire. Ce n’est pas la Plateforme nationale. Celle-ci peut donner des orientations ».

Même si c’est la saison sèche, M. Sabushimike indique qu’il ne faut pas se faire trop d’illusions : « Le pire peut arriver. Car, les pluies diluviennes observées actuellement sont associées au changement climatique. Et là, il s’agit d’un phénomène qui est en marche. Il ne recule pas ».

Il propose des études approfondies dans toutes les zones à très haut risque d’inondation. Ce professeur d’Université suggère aussi d’interdire des occupations du sol dans des endroits extrêmement sensibles aux risques de catastrophes.

La délocalisation, la seule solution durable

Tharcisse Ndayizeye : « Les crues de la Rusizi, les inondations ne vont pas s’arrêter vu le changement climatique est devenu irréversible »

« Le gouvernement doit trouver de nouvelles terres dans une zone non inondable à ces déplacés. Et via le fonds d’appui aux bonnes initiatives, il peut leur octroyer des tôles, du ciment, …. pour les aider à avoir de nouvelles maisons », plaide Tharcisse Ndayizeye, un autre expert en environnement.

Pour lui, la délocalisation pure et simple de ces habitants de Gatumba est la seule solution durable. Car, justifie-t-il, les crues de la Rusizi, les inondations ne vont pas s’arrêter vu que le changement climatique est devenu irréversible.

D’ailleurs, prévient-il, la situation risque de s’empirer compte tenu des précipitations brusques, brutales observées ces derniers temps. « Avec les constructions sur les montagnes surplombant Bujumbura, le pavage des rues, … la vitesse d’imperméabilisation du sol s’accélère. Ce qui accentue aussi la montée récurrente des eaux du lac Tanganyika ».

Il propose au gouvernement de penser à d’autres projets pour profiter de cette eau devenue comme un malheur pour les habitants de Gatumba. M. Ndayizeye parle par exemple du développement de la riziculture pour nourrir le pays ou l’arboriculture pour l’exportation.

Cela permettrait au pays de nourrir sa population et d’avoir des surplus à écouler sur le marché extérieur : « Le gouvernement n’aura pas cette fois-ci besoin d’installer des gens dans des sites improvisés suite aux pluies. Et l’eau sera cette fois-ci utilisée pour l’irrigation ».

Appuyés par ses partenaires, le gouvernement peut construire à Gatumba des infrastructures résistantes aux inondations comme des usines de transformation des produits agricoles, etc.

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