Bien qu’enclavé, ce petit joyau pittoresque semble survivre sans grand peine, car ses habitants, à côté de l’agriculture, pratiquent plusieurs petits métiers. Ce qui leur permet de braver fièrement la pauvreté.
De vingt kilomètres en retrait de la RN7, Mutambu est joignable en passant par la commune Kabezi. La route montante en terre battue, taillée à même la montagne, évolue dans un paysage idyllique. À l’horizon, le lac Tanganyika, miroitant de mille feux, et tout autour, les collines arrondies, tapissées de plantations bien taillées, ravissent les quelques voyageurs se rendant dans la région.
Bien caché au creux des montagnes, le minuscule centre administratif de Mutambu apparaît à un énième tournant, collé contre une colline. Des maisonnettes presque uniformes pullulent dans un espace restreint, contrairement à l’habitat du reste de la commune, où les habitations sont disséminées sur les montagnes.
Le centre de la commune rassemble en grande partie la vie active de Mutambu, et les jours du marché, à savoir le mercredi et le dimanche, transforment cette localité en une sorte de foire. Des jours privilégiés pour avoir un aperçu complet de la région.
Le marché de Mutambu, un élément rassembleur
Mercredi 24 février. Sur la route et les innombrables sentiers serpentant dans les collines, des femmes dans des pagnes aux couleurs criantes, paniers chargés à ras-bord de manioc sur la tête, avalent allégrement les kilomètres les séparant du lieu de rencontre en ce jour spécial : le marché de Mutambu.
Ces marchands occasionnels envahissent le plateau surélevé de la colline Gasenyi, faisant office de marché à ciel ouvert. Le brouhaha immense est perceptible deux kilomètres à la ronde, et même avant d’y arriver, on assiste en avant-goût aux différentes activités qui s’y déroulent, car le commerce et le marchandage commencent en cours de chemin.
Lamberta Barampama, se rend à ce marché pour acheter la culture-roi de la région, le manioc. Spécialisée dans la fabrication de l’ « uburobe », le chikwangue burundais, cette femme profite de ce jour pour acquérir le meilleur matériau possible.
« L’uburobe est une pâte très appréciée, et j’essaie de faire le produit le plus bon de la région», fait-elle savoir.
Mais l’activité la plus surprenante est de loin le commerce de l’ « ubugoro », le tabac-pâte à chiquer. Les petits sachets dans lesquels est emballée la pâte de tabac sont les produits les plus vendus en quantité sur tout le marché de Gasenyi.
Assises par terre, les vendeuses de ce tabac se font harasser de tous les côtés par des femmes pressées de fourrer la précieuse concoction dans le creux d’une joue, ou dans l’espace entre la lèvre et la mâchoire inférieures. « L’ubugoro est beaucoup apprécié par les femmes, car le tabac à fumer est presque réservé aux hommes, mais aussi, c’est un tabac qu’on consomme en toute discrétion», explique Lidwine Ndikumana, une des vendeuses. Et quand on sait que la discrétion est une vertu et un attribut de la femme rurale, rien de très étonnant que ce soient elles les premières clientes de ce mélange tabac-épluchures de bananes.
La survie de jeunes et des femmes
La pauvreté est une réalité dans la commune Mutambu. Mais certains habitants ne cessent pas de se battre pour s’en sortir, et certains avec une ingénierie basique, mais tout aussi étonnante. Gertrude Simbatorana, est une chrétienne « born again », cultivatrice, brasseuse. À Gasenyi, les jours de marché, elle tient un stand de bière de bananes non alcoolisée dans l’espace couvert, un peu à l’écart, où les marchands vont étancher la soif. Elle explique comment elle fait pour s’en sortir : « Avec la production de ma bananeraie, je fabrique la bière après avoir mis de côté les bananes à manger, puis avec mon bénéfice je me paie les autres besoins, sans oublier que les épluchures de bananes vont servir de fumier dans mes champs. »
D’autres, comme Frédiane Nishimwe, vendent de l’huile de palme, dans une région où les palmiers se comptent sur les bouts des doigts, et où les voies de communication font défaut. Mais rien ne semble les décourager. « C’est un travail difficile est risqué je sais, mais il me permet de survivre et de subvenir aux besoins de ma famille », confie-t-elle. Même réaction pour Angeline Habonimana, vendeuse de charbon.
Les jeunes de la région n’échappent pas aussi à ces petits-boulots-pour-survivre. Victor Manirakiza, vend des arachides grillées à Gomvyi, mais doit se fournir dans la capitale Bujumbura. Toujours la même réponse : tout est bon, si cela permet tenir.
D’autres jeunes, affectés par les temps tumultueux que le Burundi traverse périodiquement, font tout pour ne pas répondre à l’appel du maquis. Désiré Harerimana, coiffeur depuis six ans à Gomvyi fut un temps combattant dans l’ex-mouvement FNL.
Avec un ami, il a ouvert un salon de coiffure à la Paroisse. Pour lui, c’est la meilleure chose qui aurait pu lui arriver, et il ne manque pas de lancer un appel à la paix pour la jeunesse du Burundi. « La vie au maquis n’est pas une vie, c’est l’enfer. Vaut mieux prendre la houe, celle-là au moins ne te fera pas jouer ton existence pile ou face», conclut-il.
Atouts et défis majeurs
Atouts: elle connaît trois régions naturelles, ce qui lui permet d’avoir plusieurs sortes de cultures. Il y a aussi le barrage hydroélectrique de Mugere, et des minerais (terre rare) en cours de
prospection.
Défis: l’enclavement est le premier défi, exacerbé par l’absence et/ou le mauvais état des voies de communication.Le chômage des jeunes constitue un autre défi.
Mutambu en quelques lignes
La commune Mutambu est une des communes de la province Bujumbura, dite Bujumbura rural. Elle compte 50 150 habitants répartis sur une superficie de 102,4 km².
Sur le plan administratif, elle est faite de deux zones, à savoir Gomvyi (composée de neuf collines) et Mutambu (composée de sept collines).
Elle connaît trois régions naturelles, à savoir le Mugamba, les Mirwa et l’Imbo.
Son économie repose principalement sur l’agriculture, la population étant à 90% cultivatrice, mais aussi les petits métiers (commerce, maçonnerie, etc…)
Mutambu s’exprime…
Les jeunes et les femmes de cette région se plaignent d’avoir été laissés à leur triste sort. Mais pour y faire face, ils se disent décidés à prendre leur destin en main, sans attendre une aide quelconque
Victoire Nahimana, « il faudrait des sensibilisations pour redonner confiance aux femmes »
Pour cette secrétaire de l’inspection communale de l’Enseignement, la femme de Mutambu n’est pas considérée ni dans son ménage, ni dans l’administration, ce qui a un grand impact négatif sur son auto-développement.
« Pourtant, c’est la femme qui fait vivre le foyer, quelques fois le mari vivant à ses crochets », s’insurge-t-elle, avant d’ajouter, révoltée : «Et si la femme veut demander de l’aide auprès de l’administration, elle n’est pas écoutée comme il se doit parce que la majorité des postes sont occupés par des hommes. »
Pour elle, « il leur faudra dispenser des enseignements aux femmes pour leur donner la confiance suffisante pour vivre pleinement leur destin sans avoir tout le temps peur de leurs maris. »
Georges Nsabiyumva, « que le travail soit donné selon les compétences »
Ce jeune directeur s’insurge du fait que parfois, le travail soit donné selon les appartenances à des partis politiques. « Pourtant, le chômage touche tous les jeunes, sans distinction de parti », fait-il remarquer.
« C’est vrai les jeunes cohabitent pacifiquement dans notre région, mais dans la pauvreté, la notion de paix perd tout son sens », regrette-il.
Selon lui, « l’Etat devrait faire tout son possible pour fournir aux jeunes du travail, et le faire assez équitablement. »
Pontien Harerimana,« la solution serait que les jeunes se regroupent en associations »
Pour ce jeune président d’une association, « parmi les conséquences du chômage des jeunes scolarisés, il y a la perte de confiance dans les études. Ces jeunes vont se dire qu’ils ont perdu leur temps, tandis que les parents regrettent et disent avoir jeté leur argent par les fenêtres. »
Pour faire face au désespoir de ces jeunes, Pontien préconise « le regroupement des jeunes en associations, pour arriver à bénéficier plus facilement de l’appui des ONG venant en aide aux jeunes. »
Qui est Pontien Harerimana ?
Né en 1988 dans la commune Mutambu, sur la colline Rubanda, il y fait son école primaire et secondaire. Après les humanités, il suit une formation pédagogique à Rushubi dans la commune Isare.
Son grand rêve est de« réussir dans la vie via les associations, mais aussi d’être un modèle pour les autres jeunes.»
Pontien Harerimana, le rassembleur tenace
Actuellement président de l’association« Encadrement des jeunes scolarisés pour le développement », ce jeune homme engagé s’est imposé dans sa région comme un modèle à suivre
Tout juste après l’école secondaire, Pontien va se demander ce qu’il va faire de sa vie, au moment où il n’a pas eu la chance d’être admis à l’université. On est en 2007, et Mutambu est cette petite bourgade reculée, qui n’offre pas beaucoup d’opportunités.
Un certain Joseph Bigirimana le contacte pour lancer une association pour les jeunes, ce qui tente Pontien. « Encadrement des jeunes scolarisés pour le développement» naît alors avec comme président Joseph, et Pontien comme secrétaire du comité.
« L’aventure fut de courte durée, deux ans après, on a fermé, ce qui m’est resté en travers de la gorge», confie Pontien.
Pendant trois ans, Pontien fait le tour de plusieurs associations, sans être satisfait. Il pense toujours à la belle aventure mais tout aussi éphémère qu’il avait vécue. En 2012, il décide de reprendre tout à zéro.Avec ténacité, il recrute d’autres jeunes, qui, vu sa ferveur, le nomment président.
Actuellement, il vient d’être reconduit à la tête de l’association, et sa grande fierté est que, « maintenant, avec toutes les cotisations et les projets mis en route, l’association parvient à payer tous frais de soins de santé à ses membres.»