Deux semaines après l’«embuscade» du chef de zone Rwisabi, commune Mutaho en province Gitega, la tension est toujours palpable entre les Imbonerakure et les militants du Fnl pro Rwasa. Ces derniers se disent traqués. Certains ont même pris le chemin de l’exil.
Lundi 26 septembre, Emery Nemerimana de la colline Kinyinya est arrêté vers 14 h par un certain Elysée Nshimirimana, un jeune du Cndd-Fdd, en compagnie d’autres Imbonerakure. Il est conduit à la position policière de Rwisabi avant d’être envoyé au chef-lieu de la commune Mutaho.
Ce jeune confie qu’il a été reçu par un officier de police judiciaire (OPJ). «Sans aucun interrogatoire, j’ai été emprisonné dans le cachot de Mutaho. J’y ai passé toute une nuit, menotté.» Il a été relâché mardi, vers 16 h, par le même OPJ, sans aucune notification de l’infraction qui pesait sur lui.
Samedi 24 septembre, au quartier Magarama dans la ville de Gitega, le même Elysée Nshimirimana tente d’arrêter Bonaventure Gahungu, un militant pro Rwasa de la colline Kinyinya, zone Rwisabi. Selon Denis Nzoyisaba, membre du conseil communal de Mutaho et représentant communal du FNL d’Agathon Rwasa, il voulait le ramener à Mutaho par force. M. Gahungu a essayé de se défendre. Et des policiers de la position sise à l’endroit appelé communément « Kuri Place », (en face de l’aérodrome) sont intervenus et l’ont conduit au bureau de la Police judiciaire de Gitega.
Il y a rejoint huit autres militants pro Rwasa et un membre du parti Frodebu, poursuit notre source. « Ils y ont été transférés après une semaine passée dans le cachot de la commune Mutaho. Ils sont accusés d’avoir tendu une embuscade à Ferdinand Ndayikengurukiye, chef de zone Rwisabi », précise M. Nzoyisaba. Avant de fuir vers Gitega, ajoute-t-il, M. Gahungu aurait reçu un ordre de payer 150.000Fbu pour ne pas se faire arrêter.
Des pro Rwasa menacés
Après l’arrestation de ces 10 personnes, la tension atteint son paroxysme sur toutes les collines que compte la zone Rwisabi. «Des Imbonerakure des collines Gerangabo, Nyangungu, Rurengera et Kinyinya se rassamblent dès 18h pour traquer les FNL pro Agathon Rwasa ou faire peur à leurs familles », indiquent les habitants de la zone Rwisabi.
D’après eux, ils sillonnent les collines avec des gourdins encastrés de clous. «Ils sont nombreux. Quand ils passent, nous avons peur», confie un habitant de la colline Rurengera. «Dimanche dernier, ils étaient plus d’une centaine à traquer les Fnl de Rwasa», souligne un autre habitant de cette localité.
Depuis, les militants du FNL pro Rwasa et leurs familles vivent dans la peur. «Les Imbonerakure font des rondes pour nous intimider. Certains ont même des armes», raconte un militant du FNL de Rwasa. « J’ai été attaqué trois fois.
J’ai appelé la police, mais elle a brillé par son absence. L’administration et la police soutiennent les Imbonerakure», précise F.N., un militant du FNL de la colline Kinyinya.
D’après lui, le chef de zone Rwisabi, Ferdinand Ndayikengurukiye, travaille avec un groupe d’Imbonerakure, conduit par un certain Elysée Nshimirimana, pour traquer et rançonner les militants du FNL. « Je ne dors plus à la maison, depuis 2 semaines. A 16 h, je mange et je pars me réfugier dans les bois. Je reviens le lendemain quand mes amis me disent qu’il ne s’est rien passé. Je laisse mon épouse et mes enfants chez des amis sûrs », témoigne F.N.
Des mensonges, selon l’administration
D’autres militants FNL ont fui dans les communes et provinces frontalières de Mutaho. «Les Imbonerakure m’ont envoyé des messages par le biais des membres de ma famille. Ils disent qu’ils me tueront lorsqu’ils m’attraperont. Comme ils sont soutenus par l’administration et la police, j’ai préféré fuir dans une autre province », précise T.M, enseignant. « J’ai pu échapper aux Imbonerakure dans la nuit du 13 septembre 2016 sur la colline Kinyinya. Je me suis, dans un premier temps, réfugié chez une famille des environs. Un ami Imbonerakure m’a prévenu que ses amis sont à ma recherche ainsi que mon grand frère et notre voisin Jérôme. Il m’a dit qu’ils comptaient nous égorger», raconte C.S. Cet élève déplore qu’il ne puisse plus aller à l’école.
Le chef de zone Rwisabi nie l’existence d’un groupe d’Imbonerakure qui fait des entraînements militaires et intimide les membres des autres partis. D’après l’administrateur de la commune Mutaho, Denis Niyomuhanyi, la sécurité est totale dans sa circonscription. «Personne n’est encore venu me dire qu’il est persécuté. Même les rapports des chefs de colline ne mentionnent aucun cas. Ces sont des mensonges.»
Pour cet administratif, certaines personnes profitent de petits incidents pour faire parler d’eux. « Personne ne peut fuir à cause de son voisin. Le premier refuge est chez l’administrateur ou chez une position de police. Alors où se sont-ils refugiés?», s’interroge l’administrateur. Ce dernier pense qu’ils sont allés en Tanzanie pour chercher du travail. «C’est une pratique qui se fait à Mutaho.»
Controverse autour d’une «embuscade»
Divergences de vue sur l’«embuscade» tendue au chef de la zone Rwisabi, le 13 septembre 2016 sur la colline Kinyinya, considérée comme l’origine de cette crise.
La tension couvait depuis les élections de 2015 entre les Imbonerakure et les fidèles à Agathon Rwasa. La goutte qui a fait déborder le vase est le passage à tabac du chef de zone Rwisabi, Ferdinand Ndayikengurukiye, dans la nuit du 13 septembre 2016 sur la colline Kinyinya.
«Il était vers 16h et on était chez Jérôme. Nous étions au nombre de 12 ou 15 personnes. Nous étions en train de boire de la bière en bavardant. On parlait aussi d’un peu de politique. Un groupe d’Imbonerakure a commencé alors à nous encercler », raconte R.H, un militant pro Rwasa. Le groupe décide de quitter le domicile de Jérôme. «Nous sommes partis au cabaret se trouvant à « Kwibubu ». Là aussi, les Imbonerakure ont commencé à former de petits groupes. Nous avons décidé de rentrer », ajoute un autre militant.
Selon les informations recueillies sur place, un groupe d’Imbonerakure accompagné du chef de zone ont encerclé la maison de Jérôme. «Ils l’accusaient d’avoir organisé une réunion du parti FNL d’Agathon Rwasa. Ils ont voulu alors défoncer la porte et Jérôme a crié au secours », indique un voisin. Des voisins et d’autres militants du FNL ont accouru, et une bagarre générale s’en est suivie, d’après les témoins.
«Au cours de cette nuit, des Imbonerakure de différentes collines se sont rassemblés sur la colline Kinyinya et ils nous ont encerclé », témoigne un militant du FNL. Ils ont commencé à nous frapper, poursuit-il, et les policiers ont été débordés. « A cause de nos cris, un des policiers a tiré en l’air et certains FNL en ont profité pour s’échapper. Les autres ont été battus, neuf ont été appréhendés.»
Les administratifs ont une autre version
Selon les militants pro Rwasa, c’est un Imbonerakure du nom de Pierre qui a frappé le chef de zone. « Il lui a donné des coups de machette et de gourdin en pensant que c’est Jérôme car il faisait sombre.»
Néanmoins, le chef de zone réfute cela et assure qu’il ne connaît ni Pierre, ni Jérôme. Seulement, il reconnaît avoir vu ce dernier sur la liste des présumés auteurs de cette «embuscade».
« C’était vers 19 h 30. Je rentrais à la maison, accompagné de trois personnes. Arrivés tout près d’une maison, je suis tombé dans une embuscade. J’ai reçu un coup de machette à la tête, un coup de couteau à l’avant-bras et des coups de gourdin dans le dos», raconte Ferdinand Ndayikengurukiye, rencontré à Rwisabi, ce mardi. «Soudain, j’ai perdu connaissance et je me suis retrouvé sur un lit d’hôpital.»
Après une semaine d’hospitalisation, M. Ndayikengurukiye dit qu’il a reçu une facture de 140.000 Fbu à laquelle s’ajoutent 14.000 Fbu pour son ticket et celui de son garde-malade. Interrogé sur des probables affrontements entre les pro-Rwasa et les Imbonerakure, sa réponse est claire : « Je suis tout simplement tombé dans une embuscade.»
Selon Denis Niyomuhanyi, le chef de zone a été attaqué par « un groupe de délinquants qui passe toute la journée à se soûler.» D’après lui, les comités mixtes de sécurité se sont lancés à la poursuite des malfaiteurs et il y a eu quelques blessés lors des arrestations.
Même si l’administrateur communal parle d’embuscade, on peut relever quelques divergences avec les propos du chef de zone. Il indique que la victime était seule, mais cette dernière raconte qu’ils étaient quatre. De plus, Denis Niyomuhanyi avance une facture de soins de santé s’élevant à 400.000 Fbu, or le concerné parle d’une somme de 140.000 Fbu.
Le prix de la liberté
Les Imbonerakure et l’administration de base sont accusés de de rançonner les militants du FNL pro Rwasa pour éviter une arrestation. Ils s’en lavent les mains et parlent de mensonges.
«Les Imbonerakure exigent une certaine somme pour nous laisser tranquilles», confie un frère d’un militant du FNL. Selon les témoignages, le prix de la liberté varie entre 20.000 et 150.000 Fbu. «Ils m’ont demandé 30.000 Fbu pour me laisser en paix. Comme je n’ai pas pu les trouver, je continue à me cacher tous les jours», confie F.N, ce militant pro Rwasa. Selon les témoignages recueillis à Mutaho, cette rançon est collectée par Elysée Nshimirimana en complicité avec le chef de zone et l’administrateur communal.
D’après les messages contenus dans le téléphone d’un des hommes qui vit maintenant en exil, cet Imbonerakure lui demandait une somme de 30.000 Fbu pour qu’il revienne dans son foyer. « J’ai déjà discuté avec l’administrateur et le chef de zone, il n’y a pas de problème. Je viendrais moi-même te récupérer car le chef de zone est convalescent », disaient les messages.
Le chef de zone et l’administrateur balaient du revers de la main ces accusations. « C’est faux. Personne n’est encore venu me signaler ces cas. Demander 50.000 Fbu à un habitant de Mutaho, il ne peut pas se taire car il doit vendre sa chèvre ou un autre bien », répond l’administrateur communal. Ferdinand Ndayikengurukiye assure ne pas être au courant de ces demandes de rançon. « Je sais qu’il y a des personnes qui ont fui, mais elles étaient impliquées dans mon embuscade.»
Indexé, Elysée Nshimirimana se défend
Accusé d’être le leader d’un groupe d’Imbonerakure faisant des entraînements militaires sur la colline Nyangungu et commettant des exactions, Elysée Nshimirimana s’en lave les mains. Joint par téléphone, ce mercredi, il dit qu’il n’est pas impliqué dans ce qui se passe dans la commune Mutaho. Par ailleurs, raconte-t-il, il n’était pas sur place quand le chef de zone a été agressé. « J’étais très malade.» Concernant l’arrestation de Bonaventure Gahungu, il assure avoir tout simplement déposé un mandat d’arrêt au poste de police de ‘’Kuri Place’’. « Je l’ai vu circuler dans la ville de Gitega, j’ai tout simplement averti les policiers.»
Accusé de posséder une arme, il indique ne pas avoir touché une arme, depuis 2006, date à laquelle il a quitté les rangs des combattants FNL. Il reconnaît, toutefois, avoir été recruté par un général décédé qu’il nomme « Mutama » au Service national de renseignement (SNR) durant une année (2012-2013). Et ce avant d’aller continuer ses études à l’Ecole paramédicale de Gitega. D’après lui, c’est depuis sa défection du FNL, qu’il a commencé à avoir des ennuis avec les pro Rwasa.
Des sources rapportent qu’Elysée collaborait toujours avec le SNR étant à l’Ecole Paramédicale de Gitega. «C’est quelques jours avant le début des manifestations contre le 3ème mandat du président Nkurunziza qu’il a abandonné ses études pour descendre sur Bujumbura », convergent plusieurs sources interrogées à Mutaho.
Qui sont ces prévenus à la prison de Gitega?
Salvator Barankenyereye
Ce père de cinq enfants est instituteur à l’Ecole Primaire Rwisabi III. Natif de la colline Kinyinya, il est membre du parti Sahwanya Frodebu depuis l’époque de Ndadaye. L’entourage dit que cet homme, la quarantaine, vivait en harmonie et n’est pas, de près ni de loin, impliqué dans cette « embuscade ».
Elie Ndikumasabo
Natif aussi de la colline Kinyinya, il est un des producteurs de pâte de manioc pour Ngozi et Gitega. Il est père de cinq enfants.
Nelly Niyonkuru
Il est taxi-motard et père de quatre enfants. Il est natif aussi de la colline Kinyinya
Nestor Ndayisaba
Natif de la colline Rurengera, il est lui aussi taxi-motard et père de quatre enfants.
Jérémie Ngendakumana
Cultivateur et père d’un enfant. Il est également natif de la colline Kinyinya. Sa femme enceinte dit qu’avec l’emprisonnement de son mari, elle ne passe pas la nuit dans sa maison. Elle précise, par ailleurs, que son mari a été injustement arrêté parce qu’il se trouvait à la maison cette nuit-là.
Désiré Nshimirimana
Il est élève en 8ème au Lycée Saint Vincent de Paul de Mutaho. Il est également natif de la colline Kinyinya.
Antoine Ndayisenga
Natif de Kinyinya, il venait de terminer la section juridique au Lycée Kayero. Actuellement, il faisait le commerce des bananes. Il tenait un petit bistrot de bière de banane.
Vincent Niyongere
C’est un jeune marié cultivateur. Il est lui aussi natif de la colline Kinyinya.
Claude Ndihokubwayo
C’est un jeune lauréat des Humanités, section Lettres Modernes, au Lycée Gishubi. Lui aussi natif de la colline Kinyinya.
Bonaventure Gahungu
Arrêté samedi, à Gitega, c’est un cultivateur de la colline Kinyinya.
Réaction
« C’est le résultat de l’intolérance politique»
«L’intolérance politique atteint de plus en plus des dimensions démesurées. Rien ne justifie tout ce désordre qui s’observe ici et là. Il faut se rendre à l’évidence, quelque part l’autorité fuit ses responsabilités parce qu’il n’y a pas un seul citoyen qui est habilité à arrêter son concitoyen lorsqu’il y a des forces de l’ordre qui sont payés pour garantir le respect de l’ordre public », réagit Agathon Rwasa, 1er vice-président de l’Assemblée nationale et président du FNL non officiel. Une intolérance qui serait d’ailleurs prêchée, explique-t-il, car ce genre d’arrestations s’observent presque partout dans le pays.
Pour lui, cette façon de faire risque de plonger le pays dans le chaos. « Une fois que l’autorité cède ses prérogatives à une partie de la population, cette partie-là risque de se retrouver incontrôlable à un certain moment. » Et de conclure : « En démocratie, on adhère à une formation politique de son propre choix. Donc, cette façon de chercher à militariser la vie politique au Burundi, de laisser des gens se placer au-dessus de la loi, c’est porteur d’un danger que l’on pourrait bien éviter si les autorités assumaient leur rôle. »
Et Nyamitwe de montrer que le monde complote contre le CNDD FDD, eux qui sont choisis par « dieu »…
Il est encore trop tôt pour parler de génocide dans le sens ethnique du terme. Par contre, c’est à un véritable génocide politique ininterrompu auquel on assiste au Burundi depuis 2015 : intimidations, arrestations ou exécutions extra-judiciaires : tout a été mis en oeuvre par le pouvoir pour réduire ses adversaires à néant. Les FNL sont les derniers de la liste, mais auraient tort de penser qu’ils seront épargnés parce qu’ils ont décidé de « jouer le jeu » et de rester dans les institutions. Ils seront éliminés quand même, tôt ou tard, car son Altesse sérénissime ne tolère aucune autre ombre que celle qu’il projette.
Et en 1972, selon toi c’est quel genocide?
Les FNL sont les pionniers dans la lutte pour la démocratie et la justice sociale au Burundi. Ceux qui pensent pouvoir éradiquer ce grand Parti de la scène politique burundaise se trompent lourdement. Persécuter d’honnêtes citoyens ne fait que renforcer chez eux la conviction que le pays est mûr pour un véritable changement de leadership, du sommet à la base.
Ce qui devrait nous préoccuper prioritairement ne sont pas les crimes commis dans le passé mais ceux commis actuellement, sous nos yeux (et avec votre complicité ?). A moins bien entendu que « 1972 », psalmodié tel un mantra, ne soit un écran de fumée destiné à nous détourner le regard des horreurs perpétrées par le régime actuel…