Au-delà du ruisseau Nyaburiga, Musigati est cette contrée rurale, à la nature mi- sauvage mi- civilisée,et dont les habitants vivent un peu retirés du monde, mais se suffisent à eux-mêmes.
Une quarantaine de kilomètres en dehors de Bujumbura, et une vingtaine de minutes après avoir dépassé le centre urbain de Bubanza, on ne s’attendrait plus à voir une région habitée. Pourtant, bien caché du regard des passants, un petit centre très animé vit en symbiose avec l’environnement naturel qui l’entoure : le centre de Musigati.
Et quand on parle de nature, la commune Musigati en a à revendre. La Kibira, forêt au paysage à moitié sauvage, occupe une place non négligeable dans la superficie et la vie de la commune. Et même le nom de la commune, Musigati (littéralement « canne à sucre»), qui renvoie à une culture, renforce l’idée d’une région verte.
Le centre Musigati, situé à trois kilomètres en retrait de la RN9, la route aux mille et un tournants, fait figure d’une tache pourpre dans un tableau immaculé, tant la nature est prépondérante dans cette région. Une partie de cette localité est collée sur les hauteurs et tandis qu’une autre, située dans la vallée, regroupe l’essentiel des activités qui se déroulent dans l’agglomération
Prendre son destin en main
Au centre Musigati, à une distance raisonnable du marché central, des boutiques à l’architecture presque identique se succèdent. Quatre sur six de ces commerces installés au bord de la route à ornières menant vers les bureaux administratifs sont tenus par des femmes.
Jacqueline Niyongere est une de ces femmes boutiquières, tendance assez nouvelle dans une région assez conservatrice. « Avant les femmes ne pouvaient pas faire du commerce au bord de la route, leur quotidien se limitait au parcours champs-maison-champs, le reste étant réservé aux hommes», nous rappelle cette jeune mère de trois enfants. Elle a commencé avec des produits simples, et maintenant son commerce ne ferait pas rougir les mamans-commerçantes de Bujumbura.
Ces débuts modestes renvoient à Divine Nshimiyimana. Cette jeune restauratrice de 19 ans tient son business dans une petite chambrette sombre, volée à une maison en construction, tandis que son mobilier est limité à une table basse et une planche clouée sur des troncs en guise de siège. Mais la jeune mère ne se plaint pas et a espoir de voir son commerce décoller. Sa grande fierté est qu’actuellement, son petit restaurant installé à l’entrée de Musigati, lui permet de compenser les lacunes d’une agriculture de survie, mise à mal dernièrement par les intempéries.
Mais si on parle de courage, on pense directement à ces petits bouts de femmes, aux visages sans âge, qui avalent des kilomètres innombrables à pied pour aller vendre des pots au marché prospère de Kivyuka, 100 Fbu la pièce ! Odette Minani et ses compagnes sont twa. Tout comme ses ancêtres, la poterie n’a pas de secret pour elle. On la rencontre sur laRN9, en route pour vendre ses produits.Elle nous résume sa petite vie quotidienne : « On arrive à se nourrir grâce à la poterie, mais le matériau est difficile à acquérir, car le propriétaire du terrain où on l’extrait nous pourchasse.»Mais pour ces femmes dégourdies, au rire facile, jouer au chat et à la souris n’est pas du tout un problème. Elles arrivent toujours à chiper un peu de cette argile qui parvient à nourrir leur progéniture.
Une jeunesse éclairée
Tandis que les femmes du centre Musigati troquent une activité contre une autre, le jeune Simon Hakizimana vient presque de rien. De chômeur sans avenir concret, ce jeune de 23 ans est devenu un tailleur talentueux, qui gagne raisonnablement bien sa vie. Au centre Musigati, lui et sa petite machine à coudre ne chôment jamais. Il ne se lasse pas d’énumérer les bienfaits de son travail : « Ce travail m’évite plusieurs choses. Je ne peux pas penser à aller voler car tout ce que me rapporteraient ces larcins, je peux l’avoir ici, où je ne manque strictement de rien.» De lancer un appel aux autres jeunes pour apprendre des métiers pour ne pas sombrer dans certaines voies répréhensibles.
Mais tous les jeunes de Musigati n’exercent pas de petits métiers, car la plupart d’entre eux sont toujours sur le banc de l’école. Ce qui ne les empêche pas d’avoir plusieurs sortes d’occupations, encadrés par le Centre Jeune de Musigati. Sous la houlette du président du centre, Ernest Minani, un jeune tout ce qu’il y a de plus dynamique, ces jeunes mènent des activités qui sont louées jusqu’au sommet de l’administration communale.
Chaque jour à 15h, ils investissent les rues du centre Musigati pour des travaux de salubrité. Une initiative gratuite qui fait leur fierté et la joie des habitants du centre. Pour cette jeunesse, dire qu’ils sont la force du pays sans le démontrer ne serait pas loin de ces politiciens qui font des promesses aux jeunes qu’ils ne tiennent jamais.
Musigati en quelques lignes
Musigati est une des communes de la province Bubanza. Sa superficie est de 293,82 km². Elle connaît deux régions naturelles, les Mirwa et le Mugamba. Sur le plan administratif, elle est composée de quatre zones, à savoir Muyebe, Musigati, Kivyuka, Ntamba.
Elle est frontalière aux communes Bukinanyana (province Cibitoke), Muruta, Matongo (province Kayanza), Bukeye (province Muramvya), Rugazi et Mpanda (province Bubanza).
Selon le recensement de 2008, sa populationest estimée 107807 habitants.
Son économie repose principalement surl’agriculture, l’élevage, et le petit commerce.
Atouts et défis majeurs
Atouts
Une population très active, la fertilité du sol, la proximité avec la forêt de la Kibira, etc.
Défis
Les aléas climatiques, des maladies infantiles et endémiques, absence d’un réseau routier performant, etc.
Ernest Désiré Minani, le leader né
Président du Centre Jeune de Musigati, dirigeant de l’association ZIRAJE, délégué dans la plupart des classes qu’il a fréquentées, ce jeune homme de 26 ans est un modèle dans la société de Musigati.
Entouré d’une dizaine de jeunes, Ernest, houe à l’épaule, monte le talus qui mène au monument Prince Louis Rwagasore du centre Musigati. Des blagues fusent de toutes parts. Après un dernier coup d’śil vers le Centre Jeune pour voir si « ses »jeunes filles sont en train d’arriver pour leur répétition quotidienne, Ernest se tourne et nous dit, un grand sourire sur les lèvres : « Aujourd’hui, on va refaire une beauté au Prince. » Rire général.
En quelques minutes, la place Rwagasore est désherbée, le gazon est planté. Ernest est le plus actif dans le groupe, à rire au bon moment, et à donner des indications, de sa voix douce qui change un ordre en sollicitation. On s’exécute de bon cśur, dans une bonne humeur contagieuse.
Après la place commémorative, c’est le tour des bordures des routes. Mais à un certain moment, Ernest s’éclipse, il est déjà 16h. Il faut aller voir si ses « inyambo » sont là. Si la répétition a commencé, et si tout se déroule bien. Voilà le quotidien de Minani. Le quotidien d’un jeune qui a consacré sa vie à défendre la cause des plus jeunes.
Un parcours hors du commun
Né en 1989 dans la zone Musigati, Ernest fait une partie de son cursus scolaire à Musigati, puis un détour à Bubanza, pour terminer ses études à Bujumbura à l’École des Technique Commerciales. Son diplôme de Gestion en poche, il rentre chez lui.
Entre temps, il avait déjà créé des associations, et malgré ses absences répétitives (qu’il essayait de compenser en « montant » chez lui chaque week-end), rien n’est tombé à l’eau. ZIRAJE (« ce sont les inyambo qui viennent, pas autre chose », souligne l’espiègle Ernest) marche comme sur des roulettes : le chant et la danse traditionnels n’ont plus de secret pour les jeunes membres de l’association. Les performances des danseuses, couplées au service des jeunes serveurs de l’association, font des ravages dans différentes cérémonies au centre Musigati. ZIRAJE commence alors à se faire rémunérer.
Pendant ce temps, Ernest est élu président du Centre Jeune, « une place qu’il mérite amplement» selon Joachim, ami et mentor, qui ne tarit pas d’éloges sur son poulain. Cela constitue une ouverture pour Ernest Désiré, qui peut alors mettre en pratique ses idées et les expériences qu’il a eues d’ailleurs.
En premier lieu, des travaux de salubrité,« pour rendre la ville propre comme un sou neuf.»Et tout récemment, un projet de vannerie pour les jeunes chômeurs. Si on lui demande pourquoi il fait cela, humblement, il répond que c’est pour la postérité, pour servir d’exemple aux générations futures. Pas étonnant qu’il se soucie autant du monument Rwagasore.
Musigati s’exprime…
Quand le travail fait défaut, et qu’il y a carence de soutien, la vie du jeune devient un combat quotidien. À côté de cela, les femmes de la région réclament toujours l’égalité des genres.
Emmanuel Ndayisaba, « le chômage, phénomène à effet domino désastreux. »
Conseiller chargé des ressources humaines à la DCE Musigati, Emmanuel énumère les conséquences découlant du manque de travail : désespoir des jeunes, comportements délinquants débouchant à des grossesses non désirées, suivis d’une démographie galopante, puis la pauvreté,… une chaîne de problèmes.
De plaider : « au moment où des jeunes commencent à créer des associations, pourquoi ne pas leur venir en aide ? »
Emmanuella Ndayizeye, « égalité entre les genres! »
Pour cette secrétaire à l’Inspection générale, les tourments vécus par la femme dans le foyer et dans l’entourage découlent des rapports entretenus avec le sexe masculin. Mais aussi de l’ignorance des femmes qui se laissent manipuler.
« Il faudrait que la femme ait une place suffisante partout, dans l’administration comme dans les ménages, et l’égalité entre les genres en est la seule solution », tranche-t-elle.
Adronis Minani, « il faut soutenir les jeunes »
Ce jeune instituteur trouve que les jeunes de Musigati vivent relativement en bonne intelligence. « Même si les frictions ne manquent pas, ils essaient de trouver des solutions ensemble », relève-t-il.
Et selon Adronis, pour conserver cette concorde, il faudrait s’attaquer à la pauvreté qui résulte du chômage, en créant du travail pour tout le monde, sans distinction aucune.
Voilà un article à vendre! Bravo Iwacu!