Voici comment une consultante sur les redoublements au primaire a sauvé la gente carnassière du seul mini-zoo de la capitale burundaise… <doc1839|left>Jango se détourne, repue, des morceaux de viandes étalés devant elle. Jango se pourlèche les babines, les pattes, fixe le ciel, puis les visiteurs autour d’elle, avant de venir se frotter au grillage. Elle réclame des câlins, la gourmande ! En caressant son pelage moucheté, on s’attend presque qu’elle rote, tant ses flancs sont bombées… Parmi les trois mains qui parcourent le léopard, celles d’Armanda (nom d’emprunt), qui sourit. Sa mission de consultante pour le compte du ministère de l’Éducation Nationale – Mineduc- (étudier comment réduire les redoublements au primaire), s’achève en beauté. Dix-sept jours auparavant, cette Canadienne débarque à Bujumbura pour la troisième fois. Les consignes de son gouvernement étaient clairs : le Burundi est classé dans la catégorie « 3 » au niveau sécuritaire (sur une échelle de 4). Ce qui veut dire, presque : « Ne te déplace pas au delà du centre de la capitale. » Or Armanda est une grande amoureuse de la nature. Deux semaines enfermées dans sa chambre chaque soir et durant ses weekends ? « A défaut de parcourir les collines du Burundi, direction le Musée Vivant », demande-t-elle à Bambino, son accompagnateur. L’endroit est calme, non loin de son hôtel. ________________ {>>> Droits d’entrée au Musée Vivant : 5.000 Fbu/ adultes étrangers, 2.000 Fbu/ adultes nationaux et enfants étrangers, 1.000 Fbu/ enfant burundais.} _____________ La première visite est épouvantable : Jango le léopard est d’une maigreur maladive, « Mourante. Elle ne mangeait même plus », précisera un des guides du Musée. A quelques dizaines de mètres plus loin, Tina la chimpanzé est dans un même état : maigre, sale, dépressive… Conditions très dures Car les conditions de vie au Musée Vivant sont précaires. Ici, comme le précise Christophe Banzubaze, conservateur des lieux, « nous nous autofinançons : la ration alimentaire est achetée avec les frais de visite ». Soit (voir les droits d’entrée), 200.000Fbu par mois lors des périodes de très forte affluence (vacances). Or, pour que le Musée Vivant fonctionne correctement, « il nous faudrait autour de 1,5 millions de Fbu de budget » selon M. Banzubaze. Dans ces conditions, comment nourrir la dizaine de carnassiers (voir encadré) qui habitent le coin ? Un casse-tête. « Avant, le Musée Vivant était subventionné par un compte de la Banque de la République du Burundi intitulé ‘Musées, Sites historiques et Monuments’ » précise le conservateur des lieux. Avec la centralisation des dépenses de l’État, le fonds est supprimé. Le Ministère de tutelle (en charge de la Culture) ne peut que fournir le minimum, c’est à dire les salaires de gestionnaires au quotidien des lieux. Les autres, plantons, guides, vétérinaires, sont payés ponctuellement (notamment en prélevant une part sur les tickets d’entrée au mini-zoo, ou la location du théâtre de verdure aux spectacles). Au plus, quand il y a un subside, on s’empresse de payer la restauration de tel bâtiment croulant, de telle allée devenue savane… Une situation désespérante qui explique certainement la méditation de Tina la brave, qui fixe les visiteurs de ses yeux malicieux… mais éteints. Et quand des chimpanzés se mettent à philosopher, il faut crier : « Mais qu’allez-vous faire d’un Musée Mort ? », comme Armanda, s’adressant à ses guides. Action coup de … viande! Le lendemain, c’est le branle-bas général. Aussitôt les réunions au Mineduc finies, elle passe chercher le vétérinaire, qui consulte Jango, et lui prescrit de gros comprimés bleu-ciel. A Tina, qui n’avait plus de toit, habituée désormais à des douches froides à chaque tombée de pluie, les grands moyens, aussi : Armanda lui fait construire une cage métallique couverte au cas où elle voudrait se garder au chaud, puis lui achète une belle couverture douillette. En attendant que les constructions se terminent, Armanda joue avec l’hominidé, le prenant au dos, lui achète un panier de tomates qui sont happées à une redoutable allure… _________________ {Les hôtes du Musée Vivant sont : – Huit crocodiles – Un léopard – Un chimpanzé, et un singe noir – Une volière comprenant neuf pintades, quatre touracos, quatre pigeons – Douze espèces de serpents, dont un python et des cobras – 3 espèces d’antilopes – Une tortue aquatique – Un varan des savanes – Deux aquariums géants… vides (sans électricité, tous les poissons sont morts)} _________________ Mais la plus grande préoccupation reste les gargouillements de faim ! Quelques jours après, Armanda ira au siège de la Société de gestion de l’Abattoir de Bujumbura, pour un accord historique : celle-ci s’engage à fournir, gratuitement, dix kilogrammes tous les deux jours pour les huit crocodiles et le léopard du Musée Vivant. « Nous aurions même pu avoir les 10 kg si nous avions des moyens de déplacement conséquents », hoche de la tête Armanda. En attendant, la consultante et le Ministère paient, moitié-moitié, l’achat d’un vélo de 80.000 Fbu qui servira à assurer le transport du colis saignant de l’Abattoir au Musée. Puis, des rencontres avec la Direction Générale de la Culture, elle passe un accord d’achat au Canada et d’envoi d’une sarbacane (500 dollars canadiens) pour vacciner les hôtes du Musée Vivant. Coût total de toutes ces démarches : plus d’un million de Fbu. Bambino, l’accompagnateur de la consultante, observe tout cela et reprend la place de Tina : « Pourquoi un Burundais n’avait jamais pensé à faire tout ceci, alors qu’il y en a, de nombreux, qui ont les moyens ? »