Vendredi 22 novembre 2024

Société

Murwi, la commune des battants

12/04/2016 3

Au centre de la province Cibitoke, des jeunes et des femmes essaient de s’adapter aux aléas malheureux qui ont fait irruption dans leur vie paisible, avec détermination et courage

Le commerce d’ananas, une roue de secours pour les foyers de Murwi
Le commerce d’ananas, une roue de secours pour les foyers de Murwi

On aura d’abord fait la cinquantaine de kilomètres séparant Bujumbura de la commune Buganda, avant de bifurquer à gauche vers Murwi. À l’entrée de la commune, des bananiers forment une haie d’honneur au-dessus de la route en terre battue et accueillent le voyageur. Il n’y a pas très longtemps, les habitants de la région auraient déclaré fièrement, « bienvenue dans la commune de la banane ».

Le paysage de Murwi, alternant monts habités et vallées cultivables, donne une idée claire sur l’activité principale de la région : l’agriculture. Des silhouettes courbées sur des houes peuvent être aperçues de loin, et au bord de la route, des barques de brassage de vin de bananes attestent de l’esprit d’économie des cultivateurs de la contrée.

Le centre de Musigati, joignable la plupart du temps à moto, se trouve dix kilomètres en retrait de la RN5. Le fouillis des maisons rend parfois le chemin difficile à retrouver, mais la plupart du temps, cette localité est calme, à part les mardi et vendredi, jours de marché.

Le drame des bananes

Pour les habitués de la région, il y aura toujours eu au marché de Murwi deux incontournables, l’ananas et la banane. Ce dernier produit est à la base d’une crise socioéconomique dans la commune, à cause d’une maladie de bananiers, le BXW (Wilt bactérien ou flétrissement bactérien de la banane (FBB). «On a commencé à voir les bananiers dépérir sous nos yeux, sans pouvoir faire quoi que ce soit», évoque Joséphine Ntahimpera, regardant tristement sa bananeraie à moitié décimée.

Rencontrée au marché de Murwi, Fabiola Ngendakumana exhibe de pauvres régimes de bananes, rabougris, tout juste bons à jeter. Cette femme a vu ses recettes se réduire comme peau de chagrin, et elle doit la survie à son talent de marchandage.

Cette pénurie de bananes a des répercussions sur d’autres activités génératrices de revenus, principalement sur la brasserie traditionnelle.

Sœur jumelle de la commune Mugina, Murwi s’était spécialisée dans la fabrication du vin de bananes. Mais ces derniers temps, cette production a chuté sensiblement, et au marché de Murwi, dans la partie réservée au marchandage de produits bananiers, les gros camions venus de la capitale ne font plus la queue comme avant.

Mais pour tenir le coup, ces cultivateurs se sont regroupés en association, ou se sont tournés vers le commerce d’autres produits. C’est le cas de Médiatrice Ndikumana, qui vend des ananas au marché, une activité très prospère et qui symbolise actuellement la commune Murwi.

Ces jeunes qui refusent de croiser les bras

Pour Fabrice Tuyisenge, échouer à l’école n’est pas échouer dans la vie
Pour Fabrice Tuyisenge, échouer à l’école n’est pas échouer dans la vie

Les victimes de la maladie BXW ne sont pas que des cultivateurs, des jeunes entrepreneurs ont dû aussi revoir leur façon de faire. Steve Nishimwe, un instituteur, s’est rabattu sur la raffinerie d’huile de palmes pour compenser le manque à gagner dû au dépérissement des bananiers. «J’avais commencé avec un projet de 250 palmiers, qui n’a pas très bien marché.

Maintenant j’en ai un autre de 200 palmiers qui est au tout début», nous renseigne-t-il.

À Murwi, ce n’est pas seulement Steve qui a pris l’option de mettre la main à la pâte. Cyriaque Ndikumana, finaliste en Lettres Modernes, vend du carburant dans des boîtes en plastique, mais aussi du savon et du charbon. «À la fin de mes études, je me suis constitué un petit capital pour commencer ceci. Je gagne 200fbu par litre d’essence, autant par sachet de charbon, et avec ça je suis devenu indépendant des parents », témoigne-t-il.

Certains jeunes ont dû embrasser des carrières auxquelles ils ne s’attendaient pas pour survivre, comme Fabrice Tuyisenge, surnommé Brice. Vivant à la sous-colline Bukoroka, ce jeune fabricant des beignets s’est fait une réputation solide dans la localité. « Je n’étais pas fait pour les études, et avec un petit capital, j’ai commencé à fabriquer des beignets que je revends aisément au marché », confie-t-il.

Pour joindre les deux bouts, plusieurs jeunes de cette région préfèrent combiner plusieurs activités. Emmanuel Ndayizeye est diplômé en informatique de maintenance. Sans boulot, il s’est tourné vers la coiffure, mais vend aussi des unités et occasionnellement, solde des téléphones usagés. Sinon, l’exemple le plus marquant est de loin Fabien Ndimurukundo, cultivateur et réparateur de bidons. Souriant dans ses haillons de travail, il ne se lasse pas de faire des témoignages aux jeunes chômeurs sceptiques. « Qui aurait pu croire qu’on pouvait s’acheter trois parcelles en bouchant les trous des bidons usagés? », s’étonne-t-il lui-même.


Murwi en quelques lignes

Murwi est une de communes de la province Cibitoke. Sa superficie est de 256,66 km². Elle se trouve dans la région naturelle des Mirwa. Sur le plan administratif, elle est composée de cinq zones, à savoir Buhayirayo, Buhindo, Buzirasazi, Murwi et Ngoma.

Selon le recensement de 2008, sa population est estimée à 103 650 habitants.

Son économie repose essentiellement sur l’agriculture, l’élevage, et le petit commerce.

Atouts et défis majeurs

Atouts

Un sol fertile, des cultures d’exportation comme l’ananas, une population jeune fournissant une main d’œuvre suffisante, …

Défis

Le chômage des jeunes, le manque d’unités de transformation pour les exploitants d’ananas, le mauvais état des routes qui ne facilite pas l’écoulement des produits,…


Steve Nishimwe, l’homme-orchestre

Instituteur, président de deux clubs sportifs, entrepreneur, ce jeune homme de 27 ans ne tient littéralement pas en place. Avec lui, c’est toujours « place à l’action ». Rencontre

Steve, un jeune qui n’a pas peur de se salir les mains, pour la bonne cause
Steve, un jeune qui n’a pas peur de se salir les mains, pour la bonne cause

Assis dans l’arrière-cour de la maison familiale, Steve presse consciencieusement les noix de palmiers qu’il puise dans un mortier posé en face de lui, le jus s’écoulant dans une bassine en fer. Le postérieur sur un court tabouret et un short remonté à mi-cuisse, personne ne pourrait deviner que derrière ce visage décontracté se cache un jeune des plus sérieux.

Directeur de l’école fondamentale de Bubogora, ce jeune orphelin est couramment appelé dans le voisinage « directeur ». Un attribut qu’il reçoit avec tout le sérieux du monde. Mais chez lui, Steve reste Steve, un jeune qui cuisine, qui prend la houe, qui fait la propreté, bref un touche-à-tout.

Dire peu, mais faire beaucoup

« Je n’avais jamais voulu être enseignant, mais après avoir embrassé le métier, j’ai su que j’étais fait pour ça », confie Steve dans son calme habituel. Contrairement à d’autres, il ne s’est pas focalisé sur cette seule activité. Des aventures dans le commerce de bananes aux tentatives de raffinerie d’huile de palme, le jeune homme ne cesse de vouloir entreprendre.

« La plupart de mes amis ont voyagé, et la plupart sont revenus les poches vides faute d’avoir eu un plan B », confie-t-il en évoquant la maladie qui décime les bananiers dans la région et qui l’a poussé à se tourner vers le palmier. Au moins avec ça, se félicite-t-il, je pense pouvoir arriver à trouver de l’huile pour la consommation personnelle, et pourquoi pas à vendre ?

Steve Nishimwe semble être le genre de personne qui s’engage dans une chose, et s’y investit corps et âme. En atteste la confiance que les jeunes du centre Murwi ont en lui. « Imaginez qu’ils m’ont élu comme président du club de Gym Tonic en mon absence et sans avoir déposé ma candidature », s’étonne-t-il.

Mais rien d’étonnant pour Cyriaque Ndikumana, un ami, qui trouve que tout cela est dû aux vertus du jeune directeur. Selon Cyriaque, si on voulait résumer Steve en peu de mots, ce serait : « Un grand homme qui sait être simple. »

Qui est Steve Nishimwe?

Né en 1988 dans la zone Murwi de la commune Murwi, il y fait ses études primaires, puis une partie de son secondaire, avant d’empocher son diplôme au lycée Cibitoke. Il enseigne actuellement à l’ECOFO Bibogora, mais dirige aussi le Club de Volley Ball et celui de Gym Tonic.


Murwi s’exprime…

La jeunesse de Murwi appelle les autres jeunes à un éveil de conscience. Mais comme toujours, avec les femmes, ils aspirent à une plus grande représentation, et veulent aussi être soutenus dans leurs initiatives

Joseph Martin Bukuru, « jeunes, entreprenons !! »

Joseph Martin Bukuru« En ces temps-ci, beaucoup de jeunes ont fait des études mais n’ont pas de travail! Mais au lieu de commencer à penser à des projets, certains attendent toujours un travail dans la fonction publique », regrette ce jeune paroissien.

Joseph ne manque pas de fustiger les jeunes filles qui se laissent engrosser, mais aussi les parents qui prennent des mesures radicales envers ces enfants, contribuant ainsi « à la ruine de leur vie. »

Jacqueline Ndayisenga, « quota insuffisant des femmes dans les institutions »

Jacqueline NdayisengaPour cette institutrice, l’absence de la femme dans les institutions a des conséquences sur son épanouissement. « Si les femmes ne sont pas associées dans toutes les sphères de la vie communautaire, cela reflète un malaise social », analyse-t-elle.

Mais avant tout, « il faudrait donner des enseignements aux femmes pour qu’elles se prennent d’abord en main elles-mêmes.»

Emmanuel Ndayizeye, « soutenir et faire confiance aux jeunes »

Emmanuel NdayizeyePour ce jeune diplômé en informatique de maintenance, le grand problème pour les jeunes de la région est le manque de soutien auquel ils font face.

« Les jeunes essaient de se regrouper en associations, mais manquent de moyens pour faire fonctionner leurs projets », regrette-t-il.

Emmanuel pointe du doigt aussi la crise de confiance entre les jeunes et les dirigeants. « Quand on regarde bien, on dirait qu’on ne se soucie carrément pas des jeunes. Qu’est-ce qui manque pour qu’on nous fasse confiance et nous donne des responsabilités ? », s’interroge-t-il.

Forum des lecteurs d'Iwacu

3 réactions
  1. MIZA

    Excellent ! Cependant la démographie doit être maîtrisée. Pour ce faire : il faut la paix et le développement des soins : kuko on entend dire reka tuvyare benshi haze hagire agasigara. Deuxièmement, le développement économique intégrant la femme. Celle-ci pensera aux contraceptifs si son niveau de vie et sa formation s’améliorent. Donc se limiter à la limitation des naissances sans appuyer sur les leviers de développement restera sans succès.
    http://www.arib.info/index.php?option=com_content&task=view&id=14633&Itemid=1

    • BAZOMBANZA Nadine

      vous avez tout à fait raison de le préciser, les gens du Burundi doivent absolument essayer d’avoir un peu moins d’enfants pour pouvoir arriver à vivre correctement. Femme française, mais veuve d’un burundais de 1972, je suis toujours à l’écoute du pays. J’ai beaucoup aimé lire l’article sur cette région qui ne baisse pas les bras et il faut continuer, toutefois je me pose une question sur la maladie des bananiers. Au lieu d’abandonner cette culture, quelqu’un peut il s’intéresser à cette maladie, voir d’où elle provient et l’éradiquer. Cela arrive bien sûr qu’une plante ait une maladie, mais il y a des remèdes naturels à tout. Alors je vous dis, méfiance que cette maladie ne soit pas un hasard qui profiterait à quelqu’un au détriment de la population. Je m’explique, je vois qu’on y entreprend de planter des palmiers et c’est cela qui m’interpelle car dans beaucoup de pays pauvres on a poussé les habitants à planter des palmiers ou autres arbres de ce genre au détriment total de ce qui nourrissait les populations et aussi leur permettait de vendre leurs produits qui nourrissent très bien et même de les exporter. Il y a eu un cas aux Antilles avec des bananiers malades, mais tout ce la a été étudié et résolu. En tant que blanche et sachant de quoi sont capables certains pays, à commencer par le mien, pour exploiter les pays comme le Burundi, je soulève ce problème très grave
      pour vous et votre pays, Si le sol est fertile, alors il y a sûrement une solution à cette maladie et à nouveau les bananiers pousseront pour vous. Surtout il ne faut pas tomber dans le piège d’une culture excessive d’autres produits parce que certains pays font miroiter que c’est cela qu’il faut exploiter pour exporter et enrichir le pays. On voit des pays où les gens meurent de faim parce qu’ils se sont mis à cultiver pour exporter et ont perdu de vue que d’abord un pays doit nourrir son peuple avant d’aller grossir des marchés à l’étranger. Le plus grave c’est que lorsque les pays pauvres exportent enfin en grande quantité ces produits qu’on les a incités à cultiver, on leur dit qu’il y en a trop sur le marché et donc les prix chutent inexorablement ; et au final le producteur se retrouve sans rien à manger de chez lui, mais aussi sans argent pour acheter de la nourriture venant d’ailleurs. Ces faits sont vécu depuis très longtemps.
      Certains sont bien aller dans les pays du Sahel, expliquer aux femmes qu’elles devaient nourrir leurs bébés au biberon, avec du lait en boite, alors que chez nous on prone le lait maternel comme étant le meilleur pour tout et pour immuniser les enfants contre les maladies. Bien sûr on a envoyer du lait en boite dans ces pays et qu’à t on vu ? Eh bien outre que les enfants ne profitaient plus du lait maternel, nos pays riches ont eu le culot d’envoyer du lait trafiqué ou périmé pour nourrir ces bébés, des biberons sans doute aussi réalisés avec des produits pas trop louables. L’appât du gain avant tout et tant pis si ces enfants vont mourir ou être malades car les mères n’ayant plus de lait maternel à leur donner ne pourront pas les sauver. Autre point important le coût de ce lait trafiqué.
      Je voulais exprimer tout cela et encourager le Burundi à vivre avant tout de ses propres ressources, il est dit pays très pauvres, mais il est riche de sa population qui aspire à la paix et à vivre sereinement et sainement. Pas besoin de nos faux besoins pour être heureux et en bonne santé.

      • BAZOMBANZA Nadine

        Désolée, je ne vois rien d’immodéré dans ce que je viens d’écrire, mais une vérité que l’on rencontre tous les jours dans les informations

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