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Société

Muramvya : l’arracheur de dents de Mbuye

03/07/2019 Commentaires fermés sur Muramvya : l’arracheur de dents de Mbuye
Muramvya : l’arracheur de dents de Mbuye
Pour arracher une dent, cela lui prend juste quelques secondes.

Au cœur de Mbuye, en province Muramvya, le domicile de Charles Nkurikiye s’est transformé en un cabinet dentaire. Il reçoit plus de 100 patients par jour. Découverte d’un bienfaiteur, selon ses visiteurs.

Quand on évoque la commune Mbuye, beaucoup de gens pensent à l’endroit communément appelé Kwa Biha (Le Prince Biha, une personnalité très connue dans la région). Mbuye, ce sont ces hautes montagnes comme Saga, surplombant le centre Bukeye, ou moins joyeux,  ses sites des déplacés tels Kabuye, Nyarucamo, etc.

Aujourd’hui, un autre nom est sur toutes les lèvres. Celui de Charles Nkurikiye, alias « Mfatukuguru » (Tenez-moi la jambe).

Une route  bien entretenue bordée de caféiers, de maisons en tuiles, d’une bananeraie touffue et verdoyante, mène chez« Mfatuk uguru » à presque 500 mètres du chef-lieu communal, sur la sous-colline Burambi, colline Buyaga.

A une dizaine de mètres, on est déjà accueilli par des cris, des pleurs des enfants.

Là, des patients de tout âge. Des vieux, des jeunes, des enfants, etc. L’arrière-cour de sa maison en tuiles avec des murs cimentés s’est transformée en ‘’salle d’opération’’.

Par terre, le visiteur a l’impression de marcher sur des graines de maïs. « Non, ce sont des dents », confie un des patients. Des canines, des molaires et  autres incisives  sont éparpillées. Des traces de sang jonchent le sol.

Mines renfrognées, certains tiennent leurs joues  gonflées. D’autres patients attendent patiemment. Peu bavards, ils sont rangés par ordre d’arrivée.  « Cette fois-ci, je suis sûr que je vais être soulagé des douleurs insupportables, je passe des nuits blanches », murmurent-ils, entre eux. Certains ont fait une quarantaine de kilomètres. Ils viennent de Kiganda, Bugendana dans la province Gitega,  même plus loin, de Ngozi, etc.

« Rassurez-vous, tout le monde sera reçu », rassure Charles Nkurikiye, l’arracheur de dents.

‘’Un don de Dieu’’

Né en 1955,  il est encore un petit gamin  quand il arrache la première dent. « Depuis lors, j’ai continué. C’est en 1971 que j’ai commencé à recevoir des visiteurs », révèle-t-il, fièrement. Pieds nus, chauve, il reconnaît qu’il n’a aucune notion en odontologie, aucune formation. Son art, il estime que c’est un «don de Dieu».

« Moi aussi je ne peux pas expliquer comment j’y parviens. Car, tous mes visiteurs  rentrent satisfaits. Même les cas révélés difficiles ou impossibles chez les dentistes spécialisés. »

Il donne l’exemple d’un patient venu du Kenya. « Il m’a dit qu’il a sillonné presque tous les hôpitaux de la région. Mais, moi, ça m’a pris moins de deux minutes. »

Les patients rencontrés sur place parlent de miracle. « Il suffit de tenir sa jambe gauche,  la dent s’arrache d’elle-même », glisse Edouard, un jeune homme de la même localité.

Voisin, il affirme que c’est de là que vient son surnom ‘’Mfatukuguru’’. Ce dernier dit avoir assisté à plusieurs opérations de ce «chirurgien-dentiste». Contrairement aux dentistes modernes, M. Nkurikiye n’injecte pas d’anesthésie, ne prescrit aucun antibiotique après l’opération et ne porte pas de gants.

L’opération est faite en plein air.  « Des femmes enceintes sont aussi les bienvenues », affirme-t-il. Et pour ceux qui le préfèrent, il n’hésite pas à arracher deux, trois voire quatre dents.

Charles Nkurikiye stérilise son matériel.

L’hygiène est un principe chez lui. « Je sais que c’est dangereux. Si je ne fais pas attention, il y a le VIH/Sida, et d’autres maladies ». Dans ses pratiques, il recommande à ses patients de ne pas utiliser un même gobelet pour se brosser, de ne pas cracher du sang n’importe où, etc.  « Avant de toucher un patient, je dois laver mes mains avec du savon».

Son matériel vient d’une forge. « Je passe une commande chez des forgerons de Kayanza ou Ngozi». En tout, il  dispose de 30 pièces. Et chacune d’entre elles lui a coûté 3.000BIF. Ce sont surtout des ciseaux dentaires. Avant chaque utilisation, il les stérilise durant une vingtaine de minutes.

En attendant l’opération, ce père de sept enfants et adepte de l’Eglise FECABU fait la morale  à ses patients. La Bible  reste sa référence. Il les appelle à s’aimer les uns les autres, au respect mutuel dans les couples, dans les partis politiques, etc. Des prédications entrecoupées par des blagues pour redonner le courage, le moral à ceux qui  sont terrifiés  à la vue de son matériel.

« Ça fait peur. Quand il sort son arsenal, on dirait qu’il vient réparer un véhicule », se souvient une ancienne patiente de Muramvya. Mais avec son sens d’humour, ses blagues, ajoute-t-elle, on se sent rassuré, encouragé. « Quelle que soit la douleur, impossible de ne pas rire », glisse-t-elle. Selon elle, cet homme doit avoir une autre source d’inspiration.

200BIF lui suffit

Quelle que soit la durée de l’opération, le type et le nombre de dents arrachées, l’âge du patient, M. Nkurikiye n’encaisse que 200BIF. Et  avec le consentement du patient.

Partiellement édenté, teint noir, taille moyenne et humoriste, ce dentiste renvoie à la Bible : « Jésus  a dit : je vous laisse la paix, je vous donne ma paix. Il n’a jamais dit : je vous laisse l’argent, je donne mon argent. »

Ce qui compte, pour lui, c’est la récompense divine. Il signale d’ailleurs que même cette somme de 200BIF  a été le résultat de la pression de ses patients. « Je n’ai jamais exigé de l’argent pour rendre un service à mes visiteurs. »

Dans son entourage, des témoignages affirment qu’il n’accepte jamais plus de 200BIF. « Un jour, il y a un Kenyan qui est venu. Sa dent avait été coupée. Il souffrait beaucoup. Après l’opération, il a sorti 100 mille BIF. Mais, Mfatukuguru lui a dit d’aller chercher 200BIF. Ce qui était incompréhensible pour ce visiteur », confie Edouard, son voisin. Ce dentiste  reçoit entre 100 et 110 patients  quotidiennement.

Exclusivement kirundiphone,  quand il consulte un étranger, il se sert de ses gestes pour communiquer. M. Nkurikiye fait savoir qu’il a besoin d’une assistance matérielle.

Toutefois, il regrette de ne pas avoir d’héritier : « Aucun de mes enfants ne réussit à m’imiter. J’ai essayé de les initier, sans succès. »  Ce qui inquiète aussi ses patients. « Qui va nous aider après sa mort ? Nous prions pour sa longue vie », espère Anastasie, une femme rencontrée sur place

M. Nkurikiye est aussi un agro-éleveur : « Quand il n’y a pas de patient, je m’occupe de mes porcs, mes chèvres, mes caféiers, mes bananiers, etc. »

Contacté, Jean Berchmans Vyukusenge, administrateur de la commune de Mbuye, se garde de tout commentaire sur le travail de ce ‘’dentiste’’.

Par Fabrice Manirakiza et Rénovat Ndabashinze

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