Mercredi 19 mars 2025

Environnement

Mukike/Mugongo-Manga : L’arbre sacrifié au profit de la pomme de terre

19/03/2025 0
Mukike/Mugongo-Manga : L’arbre sacrifié au profit de la pomme de terre
Une plantation déjà coupée sur la route menant vers Mayuyu

La culture de pomme de terre est devenue une culture prisée par les agriculteurs. Dans les communes Mukike et Mugongo-Manga de la province de Bujumbura, des plantations d’arbres sont détruites pour avoir de l’espace. Certains craignent des conséquences sur l’environnement.

La commune Mukike est connue pour son paysage verdoyant et sa fraîcheur provenait des plantations d’arbres sur toutes les collines. Elle l’est aussi pour son froid légendaire et des brouillards de chaque moment. Tout cela appartient petit à petit à l’histoire. Des collines se dénudent en effet progressivement. Il est aujourd’hui facile de localiser toutes les maisons d’habitation qui étaient jusque-là cachées par des plantations d’arbres de toutes sortes.

Avec le temps, des plantations privées entières ont été coupées et déracinées pour éviter toute nouvelle pousse. Tout cela est fait au profit de la culture de la pomme de terre devenue de facto un business rentable rapportant plus d’argent que la culture industrielle de la localité, à savoir le thé.

Tout le long de la route, ce sont des sacs de pommes de terre déposés, des camions remplis et des motos devenues des moyens de transport de ce nouveau or dans la commune Mukike.

Selon une étude publiée par l’Institut des Sciences agronomiques du Burundi (Isabu) en 2021, au Burundi et spécialement dans sa zone de production (région du Mugamba), la pomme de terre est la 1ère culture vivrière en termes de revenus (22%) ; la 1ère culture à racines et tubercules la plus appréciée et la plus consommée dans les milieux urbains et la 4e culture du point de vue sécurité alimentaire (16,7%).

« Depuis six ans, des plantations entières d’arbres ont été déracinées pour y mettre de la culture de la pomme de terre. C’est une culture qui rapporte plus d’argent dans moins de temps soit trois mois seulement. Un investissement de 10 millions peut apporter un bénéfice de 20 millions. Mais, pour une plantation d’arbres, il faut attendre au moins cinq ans pour faire la coupe », fait savoir Jean Claude Ndayegamiye, un cultivateur de la colline Mayuyu.

Dans la zone Rukina, des collines sont dénudées. Toutes les plantations d’arbres ont été détruites. Des champs de culture de pommes de terre encore vertes et celles qui sont encore à maturité sont visibles sur les collines. « La culture de pommes de terre est devenue la source de revenue loin devant la culture industrielle du thé. Même ces champs de thé devraient être déracinés car on ne gagne beaucoup. Bien plus, on doit attendre plus de 6 mois sans avoir notre argent. Avec la pomme de terre, on n’a pas d’autres choix que de vivre ainsi » indique une quinquagénaire en sarclant son champ de pomme de terre sur la colline Gatika.

Des conséquences sont déjà visibles

Jean de dieu Ndayitanga, un natif de la colline Rukina exprime son inquiétude. Pour lui, la commune Mukike et la région toute entière risquent d’être victimes de l’irrégularité des précipitations comme dans la province de Kirundo. « La déforestation et le déboisement font des pressions directes sur les sols. Ce qui accentue les risques d’érosion, de désertification qui peuvent nous rendre plus vulnérables aux changements climatiques et aux maladies ».

De son côté, un éleveur de la colline Rukina affirme que des conséquences ont commencé à se manifester. « On a commencé à être victime de l’irrégularité des pluies car les arbres ne sont plus là. Ceux qui ont du bétail manquent du bois pour réhabiliter leurs étables à cause de la déforestation. Ce qui est malheureux, cela se fait au vu et au su des administratifs »

Un autre habitant pointe la responsabilité des hautes autorités du pays dans la déforestation de leur localité. Pour lui, plusieurs autorités civiles et militaires sont devenues des agriculteurs. Ce sont elles qui ont acheté les grandes étendues de terre dans cette région. Du coup, elles ont détruit toute la biodiversité pour y ériger des fermes exclusivement allouées à la culture de la pomme de terre.

Un autre habitant ne comprend pas le silence des autorités administratives quand l’environnement est détruit sans ménagement. « Autrefois, on nous disait qu’avant de couper un arbre, il faut en planter d’autres. Mais, actuellement, c’est la destruction systématique. Même les racines sont arrachées », se désole-t-il.

Un administratif à la base sur la colline Mayuyu qui a gardé l’anonymat semble attester la thèse de ses concitoyens. Il indique que cette situation inquiétante est en partie liée aux intérêts des autorités qui donnent le mauvais exemple dans les communautés. « Notre commune est devenue l’une des grandes communes productrices de la pomme de terre. Donc, l’environnement n’est plus pris en compte. Je ne vois pas le rôle des agents de l’État chargés de la protection de l’environnement ».

Il affirme lui aussi que des conséquences commencent à se faire sentir. Il parle notamment des pluies tormentilles mélangées de grêle qui s’abattent sur la commune ainsi que des vents violents qui emportent les toitures des maisons et des classes.

« Nous craignons des glissements de terrain car, tous les arbres ont été déracinées. Notre commune risque d’être un désert. Ce qui est encore frappant c’est que les gens risquent de couper les plantations d’arbres dans les terres domaniales de l’Etat pour chercher du bois de chauffage. La situation est alarmante même si personne ne s’en soucie » s’indigne un conducteur de moto au centre de Mayuyu.

Un étudiant de la zone Rukina dénonce la destruction méchante de l’environnement. Il explique que les conséquences seront au-delà de l’argent gagné avec la culture de pommes de terre. « Quand il n’y aura plus de précipitations, les cultures seront abandonnées. On ne pourra pas acheter de l’oxygène avec de l’argent ».

Une situation similaire à Mugongo-Manga

Toute une localité qui jadis occupée par une plantation d’arbre est dénudée. La plantation est remplacée par des cultures de pomme de terre sur la colline Rukina

En commune Mugongo-Manga, la situation est similaire. Des plantations sont détruites pour y mettre des champs des pommes de terre. En zone Ijenda, des habitants considèrent que les plantations d’arbres ne sont plus prometteuses en termes de revenus. Ils indiquent que plusieurs hectares sont exploités par des autorités politiques et des commerçants venus de Bujumbura.
« Sur la même lancée, dans 10 ou 20 ans, il y aura des problèmes environnementaux graves. Je doute des irrégularités des précipitations et les glissements du terrain sur des sols en pente. Un autre risque c’est le tarissement des sources d’eau après la destruction de tous les arbres ».

Même lecture chez Sylvère Ndacayisaba, un habitant d’Ijenda. « Cette déforestation systématique entraîne des problèmes de glissement de terrain, des coulées de boue, de l’augmentation des inondations et de la menace les moyens de subsistance des populations ».
Il appelle les autorités à agir avant que la situation ne se dégrade davantage. Pour lui, toute agriculture doit être résiliente à l’environnement.

Iwacu a essayé de contacter Emmanuel Ndorimana, secrétaire permanent chargé de l’environnement au ministre de l’Environnement, de l’Agriculture et de l’Elevage pour réagir sans succès.

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