Ce matin du lundi 21 mars, tout bascule : commerçants, enseignants, distributeurs de lait, les usagers des deux-roues et des tricycles ont vu leur quotidien bouleversé et pointent du doigt des autorités déconnectées des réalités.
Il est 7 heures et demie au pont de la rivière Muha sur l’Avenue du Large à la jonction entre les communes Mukaza et Muha. Les embouteillages se sont déjà formés à cette heure-ci.
Sur cet artère très fréquentée aux heures de pointe, de grands absents, ceux-là qui animaient cet axe, la hantise des automobilitses : les taxi-motos et taxi-vélos et quelques tuk-tuk.
Sur l’Avenue Nzero et aux abords immédiats de l’Immeuble abritant les bureaux du Fida où stationnaient habituellement des motos-taxis, des vélos-taxis et quelques tuk-tuk, une dizaine de policiers surveillent les lieux.
De haut gradés de la Police ont même fait le déplacement. « Tu as vu ? Même le commissaire est venu ! », murmurent de jeunes hommes en uniforme. Les forces de l’ordre sont sur les dents, ils attendent visiblement d’éventuels récalcitrants.
Ils ne feront pas leur apparition.
7h45. Du côté de l’Avenue Yaranda au quartier Kabondo de la commune de Mukaza, T.W, vendeuse au Marché de Kinindo, prenait d’habitude un tuk-tuk pour aller à son lieu de travail. « Ici, il est quasi-impossible d’avoir un bus de transport en commun. Ils sont tous remplis », se plaint la dame.
T.W confie s’être endettée pour se procurer un tuk-tuk et un vélo qu’elle n’a désormais plus le droit d’utiliser. « J’ai fait conserver mon tuk-tuk à Kanyosha. Quant au vélo, j’ai préféré le garder chez moi et si des policiers le découvrent, je prétendrais qu’il appartient à un de mes fils pour son usage personnel », soutient T.W.
Même si la petite commerçante dit comprendre que les accidents routiers soient un motif sérieux d’interdiction de circuler aux motos, vélos et tuk-tuk, elle dit regretter que cette décision ait été prise sur le dos des citoyens aux revenus modestes.
10h. A l’aide d’un vélo, U.R avait l’habitude d’apporter du lait de Buringa en commune de Gihanga très tôt le matin pour approvisionner des ménages des quartiers Asiatique, Kabondo, Kinindo, Kibenga et Kinanira III.
Au quartier Asiatique de la commune Mukaza, première étape de sa distribution de lait, l’homme en sueur et exténué nous dresse un quotidien sombre qui se profile à l’aune de la décision du ministre en charge de l’Intérieur.
« Nous serons obligés de nous déplacer en voiture. Celle qui m’a amené m’a laissé en Centre-ville et j’ai dû arriver ici à pied sous un soleil de plomb avec un bidon de lait de 20 litres sur la tête ! », se lamente-t-il.
U.R s’est ensuite dit obligé de revoir le prix du lait à la hausse. A 1.400 BIF le litre, ses clients devront désormais débourser 1.600 BIF. « Là, c’est juste un essai pour voir si je pourrais tenir le rythme avec cette faible augmentation.
Si ce n’est pas le cas, cette somme devra encore être revue à la hausse ».
U.R n’a pas des mots assez durs vis-à-vis des autorités à l’origine de la décision prise le 21 février dernier. « Ils oublient qu’avant d’être là où ils en sont aujourd’hui, ils ont vécu les mêmes galères que nous. Quelle ingratitude ! »
A 13h30, à l’école le Bon Samaritain sise au quartier Asiatique, E.O, enseignant à cet établissement, parle d’une mesure qui aura un impact négatif sur les élèves et les professeurs. « Nous avons eu beaucoup de retard ce matin car beaucoup d’élèves, surtout ceux des quartiers sud, venaient à l’école à l’aide de tuk-tuk ».
Ce professeur, habitant un quartier nord de Bujumbura, se dit inquiet. « Moi-même, je me déplaçais à l’aide de ma moto venant de Cibitoke. J’imagine désormais les difficultés pour prendre le bus qui m’attendent chaque matin et cela me rend triste car je dois être ici à 7h ».
E.O ne cache pas son désespoir. « Avec leur adage qu’il ne faut pas revenir sur sa parole, je ne crois pas que nos dirigeants voudront alléger cette mesure ».