Par Daniel Kabuto*
L’ancien président Pierre Buyoya n’est plus. Il est passé de l’autre côté du rideau. Car la vie et la mort sont des sœurs jumelles qui savent s’éviter et se succéder selon les caprices du Créateur du monde visible et invisible.
En ces moments de deuil pour sa famille et des amis du défunt, la culture burundaise et humaine recommande de respecter le deuil. J’allais dire que les bonnes manières recommandent de laisser le mort en paix, face au jugement du Maître de la vie.
Or, ce serait hypocrite de faire croire que le deuil nous prive à nous les hommes du droit aux anecdotes, aux critiques, à la parole. Même lors des veillées autour du feu, les hommes donnaient libre cours à leur imagination pour pimenter certains faits et gestes du disparu. Si on se garde de dire du mal du mort lors des oraisons funèbres, les conversations autour d’un verre ou du vin de bananes lors des veillées n’occultent rien de la vie de la personne que la famille pleure. Car, comme dit l’adage burundais : « Qui ne laisse pas de descendant, laisse au moins un conte derrière lui » !
Pierre Buyoya, un homme courageux face aux missions délicates
Lorsqu’il accède au pouvoir pour la première fois en 1987, c’est à la faveur d’un putsch non sanglant contre son cousin Jean Baptiste Bagaza. A cette époque, le pays souffre terriblement des folies de grandeur d’un président en conflit ouvert avec l’église catholique, la liberté d’expression, la liberté d’association, etc.
Le régime de Jean Baptiste Bagaza est à son déclin après des années de gloire et des réalisations économiques dignes d’un leadership bien éclairé. En 1987, le major Pierre Buyoya sauve le pays d’un naufrage certain. Il doit sévir pour éliminer toutes les poches de résistance alors fidèle ou nostalgiques du règne déchu.
Une fois aux commandes, il se heurte à l’épreuve des rivalités ethniques qui accaparent les esprits des Burundais comme des vieux démons qu’ils sont à jamais incapables d’exorciser. C’est l’épreuve de Ntega et Marangara et son corollaire de massacre, de départs en exil et de traumatismes.
Pierre Buyoya reconnaît rapidement que la rivalité ethnique à la base du mal burundais se nourrit de la diabolisation et de l’exclusion de l’autre. Il se prononce en faveur d’une politique de partage du pouvoir entre les élites des deux ethnies rivales et d’un dialogue tous azimuts en vue de la mise en place d’une charte de l’unité nationale. Un pari risqué, mais apparemment gagné.
Pierre Buyoya est un visionnaire
Hélas la charte de l’unité version Pierre Buyoya occulte les injustices du passé et rien n’est réglé des responsabilités des massacres cycliques qui ont durement éprouvé l’ethnie majoritaire Hutue; rien n’est évoqué des indemnisations ou des réparations au profit des orphelins et des veuves de 1965, 1969, 1972, 1988.
La charte de l’unité en demeure au niveau des bonnes intentions. Et c’est à l’époque de la chute du mur de Berlin, du dégel des relations tendues entre les Américains et les Russes et de la conférence de La Baule : d’où s’est échappé le vent de la démocratie qui s’est propagé dans toute l’Afrique.
Pierre Buyoya accueille favorablement la panacée du jeu démocratique et croit au triomphe de ses bonnes intentions ou de ses calculs d’homme en tenue ayant réussi sa mue en homme politique. Il autorise le multipartisme, la compétition en faveur des suffrages. Sans le savoir, il se trompe de terrain et de remèdes.
Errare humanum est…
Son challenger d’alors, feu Melchior Ndadaye est d’un avis opposé : il prône une transition avec Buyoya aux commandes pour s’attaquer d’abord aux démons qui lorgnent les ailes aux Burundais et les empêchent de savourer les dividendes de la paix sociale. Pierre Buyoya rejette l’offre de Ndadaye et l’invite au marathon électoral. Confiant, Melchior Ndadaye, un inconnu de la veille, remporte haut le poing l’élection présidentielle et les législatives. C’est la catastrophe pour ceux qui misaient sur Buyoya comme un candidat de la minorité Tutsie. Ils espèrent que Buyoya va se montrer digne de ses galons militaires ! A leur grand désarroi, le major Pierre Buyoya choisit de partir par la grande porte comme un homme d’Etat : il s’incline devant le verdict des urnes.
Pour la première fois de l’histoire burundaise, deux présidents se succèdent devant les acclamations du peuple aux anges et de la communauté internationale fort impressionnée. De par le monde, l’on est de nouveau fier d’être Burundais.
Pierre Buyoya rentre dans l’histoire comme un digne fils du Burundi, de l’Afrique voire de la grande famille des démocrates du monde entier. Sans faux semblants, il invite le peuple à soutenir le nouveau régime et les militaires à obéir aux autorités démocratiquement élues.
Trois mois à peine après l’investiture du président Melchior Ndadaye, c’est l’apocalypse. Les militaires, issus essentiellement de la minorité Tutsie, décapitent la République, plongent la nation dans le chaos. Le pays s’embrase, les morts se comptent en termes de centaines de milliers sur les mille et une collines du pays.
Pierre Buyoya aurait-il pu empêcher le forfait contre Melchior Ndadaye ? A-t-il joué quelque rôle dans la conception, l’organisation et l’exécution du plan macabre contre son successeur ?
La casquette de putschiste impénitent !
On ne saura jamais avec certitude si le président Buyoya a pris passivement ou activement part au putsch du 21 octobre 1993. Mais ce gâchis l’aura rattrapé et sans douté eu raison de sa combativité au lendemain de ses soixante-dix ans d’existence.
En 1996, après trois années d’impasse et de désespoir, Pierre Buyoya ramasse cette fois-ci le pouvoir dans la rue. Par abus de langage, on parlera de putsch contre le président Sylvestre Ntibantunganya. Un putsch contre un président fantoche ?
Pierre Buyoya se présente comme l’homme providentiel. Il parvient rapidement à mâter les milices tutsies et hutues qui semaient la terreur dans les quartiers de la capitale : il met un terme à la balkanisation des quartiers, engage le pays sur la voie des négociations directes avec les différents groupes rebelles qui disent se battre pour restaurer la démocratie.
Pierre Buyoya devient le paria de son ethnie. Il est accusé de trahison, d’aucuns mettent en doute son appartenance à l’ethnie tutsie et vont jusqu’à en faire un bâtard « namubonye Buyoya » ! L’homme croit en son grand projet pour des lendemains meilleurs pour toutes les ethnies du Burundi condamnées à vivre ensemble ou à périr comme des idiots ! Il a endossé le costume de Martin Luther King ! Il réussira à décrocher la timbale : l’Accord d’Arusha pour le partage du pouvoir et la réconciliation nationale.
Encore une fois le président Buyoya respecte sa parole donnée et cède le pouvoir, tout le pouvoir. On lui pardonnerait le gâchis de 1993 car l’homme s’est racheté devant la nation et le monde.
Pierre Buyoya, un artisan de la paix au Burundi et en Afrique
En 2003, Pierre Buyoya a quitté définitivement la scène politique burundaise. Il s’est envolé vers les USA pour se former aux rouages et techniques de médiation et de résolution des conflits.
De retour au Burundi en 2005, il est reçu avec les honneurs par le président Pierre Nkurunziza qui, d’ancien rebelle, a troqué le treillis militaire contre le costume d’homme d’Etat. Le président Nkurunziza érige d’ailleurs ses prédécesseurs au rang de conseillers particuliers et les rencontre régulièrement pour puiser dans leurs multiples expériences. C’est l’ère de fumer le calumet de la paix.
Pour ses qualités exceptionnelles de leader et de visionnaire, le major Pierre Buyoya est par ailleurs sollicité dans différents coins du continent pour aider à enterrer la hache de la guerre, renouer le dialogue entre frères ennemis et placer les nation sur l’orbite de la réconciliation.
Ses qualités de médiateur et de conseiller sont partout et par tous appréciées. Il finit par devenir un Haut Représentant de l’Union Africaine. Même le président Nkurunziza vante ses qualités d’homme de dialogue et d’expert de haut calibre pour soutenir sa candidature au poste de Secrétaire Général de l’Organisation Internationale de la Francophonie. Jusqu’à sa mort, le président Pierre Buyoya aura joui d’une reconnaissance internationale comme sage africain et médiateur.
Il n’y a pas de rose sans épines
Pierre Buyoya, produit de la société burundaise toujours confrontée aux haines fratricides, à l’hypocrisie volcanique et à l’opportunisme à outrance, n’aura nullement pu échapper au compte à rebours des erreurs qu’il a pu commettre durant ses deux règnes.
A côté du putsch contre le président Ndadaye qui a été érigé par le régime de Nkurunziza finissant au rang de crime contre l’humanité, Pierre Buyoya est pointé du doigt dans les assassinats qu’il aurait déguisé en accident d’hélicoptères. Dans cette jungle burundaise, la survie politique se gagne encore par l’élimination d’adversaires ou d’allié redoutable. Pierre Buyoya n’était pas du genre à faire l’agneau dans une tanière de loups ! Il a pris des coups et a su en donner, même mortels : la loi de la jungle politique a la Burundaise !
Le régime burundais en place est allé jusqu’au bout de l’acharnement de Pierre Nkurunziza à faire porter à Pierre Buyoya le chapeau de Caïn de Ndadaye. La condamnation de Pierre Buyoya par contumace; à la réclusion criminelle à perpétuité alors que le prévenu avait vu ses avocats interdits d’accès au dossier et à l’audience aura été un coup trop dur. « Les grandes douleurs sont muettes » et Buyoya est parti sans avoir eu le temps d’ouvrir son cœur sur son expérience de la nuit fatidique de Ndadaye et de ce qu’il a pu ou tenté de faire.
Pourquoi le régime de Nkurunziza a-t-il attendu plus de 15 ans avant de monter un procès qui devait finir en fiasco judiciaire ? Après l’assassinat de Rwagasore, la colonisation belge a condamné un aventurier grec pour mieux bâcler les enquêtes et se racheter une conscience. De nos jours, ce n’est qu’un secret de polichinelle que le héros de l’indépendance nationale a été tué sur ordre et moyens fournis par la tutelle belge.
Pierre Buyoya s’en va. Mais la vérité sur les auteurs et commanditaires du martyre de Melchior Ndadaye se cherche toujours, même au sein de ses anciens compagnons de lutte : Jésus Christ n’a-t-il pas été trahi par celui qui plongeait la main dans la même assiette que lui lors du dernier repas et faisait office d’économe de la bande à douze ?
L’histoire retiendra que Pierre Buyoya a réalisé en partie son rêve d’aider les Burundais à sortir de l’ornière et relever les défis épineux de leur nation : oser mettre les mots sur les maux et s’engager sur l’honneur à partager les joies et les peines.
Et qui a trahi la parole donnée lors de sa prestation de serment comme président de la République et a par machiavélisme enterré l’esprit et la lettre de l’Accord d’Arusha ? Ce n’est pas feu Pierre Buyoya, mais un autre Pierre. Si ce dernier est enterré dignement au Burundi, peut-on refuser à Pierre Buyoya l’honneur d’être inhumé au Burundi ?
Quoi que le pouvoir de Gitega dise ou concocte, l’ancien président Pierre Buyoya mérite les obsèques nationales. Il faut un Burundais au grand destin, au courage mémorable. Dans les moments difficiles, il a pris les devants de la scène politique et a placé, mutatis mutandis, la nation au cœur de son action. Comme tous les héros, il a sa part d’ombres et de lumières. Je souhaite que la terre de nos ancêtres burundais lui soit légère.
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Daniel Kabuto*, juriste de formation et écrivain a été Conseiller Principal à la vice-présidence de la République du Burundi (2008-2010) et porte-parole du ministère des Affaires étrangères du Burundi (2013-2015)