Au moment où les dates (1961, 1962, 1972) nous invitent à revisiter nos mémoires, retour sur une pièce qui a marqué l’été de Bujumbura. C’était à l’IFB, et la troupe Lampyre présentait M. le Président…
Ils sont trois, tenant rencontre des puissants. C’est un verre entre Présidents. L’un d’eux, Ilounga : « Je vous assure, le champagne, c’est magnifique … Importé tout au loin de la France! » Le second hôte, Kayitare, dans l’incompréhension que le laisse le regard froid que jette l’interpellé sur son verre: « Alors, vous avez mal? », demande-t-il à … Yuboba. Réponse de ce dernier : « Un oracle… [qui] m’avertissait que la question ethnique va durer et s’aggraver! » Il finira par en boire. La scène est forte, elle campe le personnage principal de cette pièce écrite à deux, Dan Desjardins et Freddy Sabimbona (metteur en scène et à la tête de la Troupe Lampyre). Yuboba est président donc d’un pays qu’il a pris par force et avec envie en criant : « Aujourd’hui, le 3 septembre 1987, je proclame la fin de la corruption, le blocage des institutions, le favoritisme, le manque de démocratisation, l’étouffement des libertés religieuses, les emprisonnements abusifs, la dégradation de relations extérieures, la prédominance des étrangers dans le secteur économique, et… la fin à une minorité de nationaux qui s’enrichit aux dépens du peuple ». Yuboba, luttant contre sa conscience (sous forme de L’Oracle) et son Chœur (le peuple). Yuboba, ce président au front toujours soucieux, à la voix impérieuse et à la gestuelle saccadée (on finira par découvrir qu’il est militaire, en fait, major, pour être plus précis) ; Yuboba qui tempête : « Non ! Laissez-lui la parole. À chacun son droit ! » Yuboba le bel homme…
Écouter
Ce président là écoute aussi, beaucoup, même s’il supporte mal la critique. Ainsi s’énerve-t-il contre l’Oracle : « Madame, les réalités sociologiques profonds du Burundi ignorent ce genre de clichés ethniques. La preuve est que le changement du régime a été soutenu, béni par toute la population ». Plutôt, on le mettait en garde contre sa toute fraîche équipe gouvernementale, dans laquelle « aucun membre n’a jamais servi auparavant, [alors] que dans le Comité Militaire [qui dirige de fait le pays], les Hutu sont totalement absents. Votre gouvernement ne comprend que cinq Hutu sur vingt. Et il n’y a point de Batwa ! » Bien après cette mise en garde sera créée une Commission chargée de préparer la venue de la démocratie, « présidée par un éminent magistrat ». Puis des élections. Et si vous demandez au Président-Major sa définition de la démocratie, « ce n’est pas la liberté, mais une méthode de contrôle » vous rétorque-t-il.
Surprise
Puisant son histoire dans Quand le passé ne passe pas (Marc Manirakiza, 2002, Paris) {Monsieur le Président} renvoie à l’actualité : « A l’époque, on amputait l’absence de démocratie, un manque de cohésion sociale au sein de la population… à un gouvernement à dominante Tutsi. Maintenant, ce sont les mêmes maux, mais dans le sens inverse, avec un gouvernement à dominante hutu. » Un constat, « et non un jugement » comme le souligne Freddy. Mais surtout, c’est le portrait du Président qui surprend. Dans cette fin des années 1980, où l’Afrique est encore, et pour un bon bout de temps encore, aux mains de dictateurs de tous poils (Mobutu, Moussa Traoré, Khadaffi, Samuel Doe, …), Pierre Yuboba est certes tout en ego, mais d’une grandeur lucide, à l’opposition des princes du pouvoir de l’époque. Avant de présenter M. le Président, la troupe Lampyre a hésité… « Mais on s’est dit après tout que c’est notre histoire, et en tant que Burundais, quoi de plus important que de savoir d’où l’on vient, où l’on va et surtout qui nous sommes » explique Freddy. « Certains nous ont reproché de vouloir ramener les Tutsi au pouvoir, d’autres nous en voulaient par rapport aux noms que l’on a donné aux protagonistes », … mais au final, le message est passé. Lequel ? « Buyoya fut un président intelligent », glisse une expatriée quittant la salle de l’IFB. Ah bon ! Parce que Yuboba = Buyoya ?!